CHAPITRE 4 LA SÉRÉNITÉ

Nous voici arrivés au centre le plus sensible de notre étude… C’est que la sérénité est sans doute la condition qui manque le plus dans notre monde. Si la joie peut facilement surgir par la réalisation d’un désir intense, si l’amour peut immédiatement nous réjouir par la grâce d’une rencontre, la sérénité est beaucoup plus difficile à atteindre. Elle ne peut apparaître que quand tu parviens à libérer ton esprit de tous ses soucis. La véritable sérénité n’est pas une simple tranquillité superficielle. Elle naît lorsque notre esprit n’a plus aucune pensée qui le tracasse. Aucune anxiété, aucune inquiétude, aucune angoisse, aucun stress. C’est possible ! C’est même notre état naturel, comme le dit Ramana. Elle se traduit physiquement par une totale détente dans le corps, une totale confiance dans le cœur et un pur plaisir d’exister dans la conscience. La sérénité est le sentiment merveilleux que nous ressentons quand nous sentons que notre bonheur est tellement stable, solide et profond que nous ne sentons aucune crainte de le perdre. Elle suppose une condition que les Grecs appelaient l’ataraxie : l’absence de troubles. La parfaite paix intérieure. Encore une fois, cela nécessite un processus de libération des émotions négatives, et plus encore des pensées qui les génèrent : une thérapie affective doublée d’une libération spirituelle.

Les conditions de la sérénité

La sérénité suppose que tu sois libre de toutes les perturbations intérieures qui agitent ta conscience, de tous les soucis qui créent dans ton corps et ton esprit de la tension. Elle demande, bien sûr, une cessation de l’agitation mentale et surtout la disparition d’un sentiment : la crainte. Si la joie, l’amour et l’enthousiasme sont là mais que tu ressens encore de la crainte, tu ne peux pas te sentir complètement heureux. Dans la crainte, une part de ton énergie est contractée. Ton corps n’est pas dans la détente et ton esprit ne peut être totalement présent à la beauté et la bonté de ce qui est vécu. Ta conscience n’est plus sensible au courant de la joie d’être. Tu n’es plus ouvert à la beauté unique de chaque instant, au charme de chaque chose qui arrive. Souviens-toi : pour être dans la félicité, il est nécessaire que la joie vibre dans la totalité de ton être ; que ton corps et ton esprit soient totalement détendus, totalement en confiance ; qu’aucune contraction intérieure ne limite la résonance de ton énergie propre avec l’énergie de l’univers. Comment te libérer des peurs, des soucis et du stress, ou au moins les réduire au minimum vital ? Il faut comme toujours bien comprendre les mécanismes qui engendrent la crainte d’un côté et la confiance de l’autre.

L’essence de la sérénité

La sérénité est un affect beaucoup plus profond que le calme et la tranquillité. Calme et tranquillité sont plutôt des états psychologiques qui apparaissent lorsque tu es distrait de tes soucis, quand tu ne penses plus à tes problèmes, que ton stress se calme en surface. Tu peux ainsi te sentir calme et vivre apparemment sans agitation mais ne pas être serein du tout. Tant que tu souffres de conflits intérieurs et que tu as des soucis non résolus, tu ne peux sentir la paix intérieure sans laquelle nul bonheur n’est possible. Tu peux vivre sans nervosité manifeste, mais être perturbé par une anxiété inconsciente ou une angoisse latente qui maintiennent un niveau de stress auquel tu es tellement habitué qu’il te semble normal. Dans ce cas, il y a un signe qui ne trompe pas, c’est ton degré de détente corporelle. Tant que ton corps est tendu, plein de tension et de rigidité, tu es loin de la sérénité. Si tu as des soucis non résolus comme le manque d’argent ou simplement un travail, un rythme de vie ou des relations qui ne respectent pas tes besoins, tu es loin de la félicité. Tu pourras toujours réduire ton stress par des activités de bien-être et faire tout le sport, la rigolothérapie ou massothérapie que tu veux, tant que ton esprit n’est pas en paix, le vrai bonheur sera absent. Ce que j’appelle sérénité n’est donc pas un simple état psychologique dû à des circonstances favorables passagères qui permettent au mental de se calmer et au corps de se relâcher momentanément. Un excellent massage, par exemple, peut apporter un immense bien-être, et je recommande à tous d’en recevoir au moins un par semaine, mais jamais il n’amènera la sérénité. Un bon film comique et un atelier du rire peuvent te libérer de tes pensées perturbatrices, mais jamais ils ne dissiperont tes craintes. La sérénité est donc toute autre chose qu’un état psychologique. C’est une disposition spirituelle qui se caractérise par une totale paix intérieure, une complète détente corporelle et une profonde quiétude qu’aucun évènement extérieur ne peut venir sérieusement troubler.

Quel est son lien avec la joie ? Eh bien, d’après mon expérience, je dirais que la sérénité est elle-même une joie. C’est la joie de vivre dans une totale confiance dans la vie. Quand on est dans la sérénité, l’esprit est libre, le cœur est léger, le corps est détendu, la respiration est fluide, les muscles sont dans un juste tonus. Une profonde paix intérieure nous accompagne et une sorte de plaisir liquide irradie tout notre être comme un soleil sur une mer calme. Personnellement, je ressens sa vibration dans le ventre, le cœur et la gorge dès que je me relaxe ou que je médite profondément. La totalité de mon être entre dans une extraordinaire quiétude et c’est seulement à ce moment que ma joie peut s’amplifier et que je peux faire l’expérience de la félicité. L’essence de la sérénité est donc la confiance. Ce n’est pas la confiance dans un être ou une chose particulière. C’est une confiance générale dans la vie qui a pour origine un lâcher-prise qui vient de la compréhension que tout ce qui arrive est juste.

Le secret de la paix

J’ai mis beaucoup de temps à l’intégrer, et il m’arrive encore d’en perdre la perception et de ressentir alors à nouveau inquiétude, trouble et angoisses, mais c’est vraiment là que tout se joue. C’est là le « grand secret » : contrairement aux apparences, il n’y a rien à craindre ! Toutes les formes du « mal » ne sont que des apparences trompeuses. Dès que la conscience s’éveille à l’intuition que tout est un, que tout est créé par la Source d’une manière nécessaire, que « tout est un », que « seul Dieu est », un basculement intérieur a lieu. Une paix totale surgit, accompagnée d’une nouvelle compréhension supérieure que tous les sages et tous les mystiques ont exprimé à peu près de la même manière : que rien n’est séparé, que rien n’arrive au hasard, que tout a un sens, qu’il n’existe ni bien ni mal, que ni toi ni moi ni personne n’avons de libre arbitre, que tout ce qui arrive ne peut arriver autrement… La vie devient alors totalement simple. Une paix complète s’installe spontanément et une incroyable harmonie intérieure se met en place. Tu te sens libéré de la quête effrénée d’un bonheur futur parce que tu sais qu’il n’existe et n’existera jamais que le moment présent que tu vis dans toute sa splendeur à travers la joie simple qui est là : joie de faire ce que tu fais, d’être avec qui tu es, de savourer la beauté unique de ce moment, de laisser la grande symphonie cosmique se dérouler en toi et autour de toi. Et, bien sûr, tu sais aussi que rien n’a de valeur que par la joie et l’amour que tu cultives spontanément de tout ton être en vivant toutes les expériences du quotidien avec le plus de vertu et de sagesse possible. Cela fait aussi partie du grand jeu de la vie !

Ma quête de la sérénité

Pendant longtemps j’étais privé du bonheur à cause d’une anxiété latente que je n’avais pas identifiée. Peu à peu, j’ai identifié mes craintes, j’ai compris quels étaient mes besoins et j’ai créé une vie de plus en plus sécure et paisible. J’ai compris par exemple un jour que j’avais vécu depuis l’enfance dans une peur de la richesse qui m’a privé de vivre dans l’abondance. Je me suis libéré de la croyance que la richesse nuisait à la sagesse. Après avoir fait vœu de pauvreté, j’ai appris à aimer l’argent à sa juste valeur comme une belle énergie et je n’ai plus peur de la richesse et de l’abondance. Je me sens comblé par ce que j’ai et je vis sans la peur du manque. Mais il y a pire que la tentation de la richesse qui fait tant de ravages sur notre planète, qui crée tant de souffrances et d’injustices. C’est l’idéalisme. Sur le plan spirituel, j’étais toujours en quête d’un idéal et je travaillais sans relâche pour l’atteindre. Pendant des années, j’étais un fervent chercheur de vérité. J’avais la crainte de me tromper et je restais dans un radical scepticisme. Tout a changé lorsque j’ai soudain compris l’absurdité de cette quête car mon véritable besoin était de vivre dans la joie en accord avec la Nature et non de connaître la vérité d’une manière intellectuelle et abstraite. J’ai cessé de vouloir atteindre un but. De chercheur je suis devenu un trouveur. Mon attention ne s’est plus dirigée vers le futur mais vers le présent. Du manque je suis passé à la plénitude. De la crainte de l’avenir je suis passé à la joie du présent. C’est en ce sens que la seule voie vers la paix intérieure est l’éveil spirituel : la seule véritable thérapie psychologique est l’apaisement du mental. Je continue ainsi à éprouver des peurs fonctionnelles comme la crainte de la douleur ou de la maladie, mais je ne vis plus dans la crainte et l’anxiété. Je vis de plus en plus dans la confiance et la quiétude que procure la perception que tout est un, tout est juste. Et surtout je ne cherche plus le bonheur ailleurs que dans le présent !

Le détachement du futur

Je suis serein aujourd’hui parce que je sais que mon âme est assez puissante pour vivre heureux dans l’instant présent. Je n’ai aucune certitude sur ce que je vivrai plus tard, mais je sais qu’ici et maintenant, dans la continuité du présent, la joie est là en permanence par le simple fait d’être conscience. La sérénité suppose d’être libre de la recherche du bonheur futur. Que m’importe mon bonheur futur ? Je le désire, bien sûr, je le prépare, mais je n’y suis pas attaché. Seul m’importe mon bonheur présent. Je sais que la joie peut me quitter à tout moment à cause d’un accident et je reste dans la prudence. Mais maintenant, en ce moment même, et depuis des années maintenant, ma joie de vivre au présent est stable, profonde et assez solide pour durer.

Je sais que j’ai en moi et hors de moi toutes les conditions du bonheur. Cela ne veut pas dire qu’il va durer. Cela veut dire que ma confiance est assez puissante pour que ma joie de vivre actuelle soit complète. Et cela suffit. La sérénité est en fait tout simplement un bonheur vécu comme durable : une joie assez stable pour être accompagnée d’une totale confiance.

L’acceptation de la fragilité

Qu’il soit serein ou pas, tout bonheur demeure fragile, car la vulnérabilité fait partie de la condition humaine. Un accident peut me submerger de douleur et me priver des possibilités de la joie, mais je sais qu’il aura son sens, qu’il sera une occasion de progresser en sagesse et d’éveiller mon âme à des vérités plus profondes. Même au maximum de la douleur, lorsque la sérénité est là, la confiance dans la possibilité du bonheur demeure parce que je sais qu’elle ne dépend que de l’activation de ma joie par la pratique des vertus. Même si ma joie n’est pas très haute, ce qui peut arriver dans les moments de fatigue, les périodes d’échec, les instants de tragédie, les crises émotionnelles, le bonheur de fond demeure parce que l’esprit reste toujours en lien avec la joie ontologique, la joie d’être soi, la joie d’être au monde et de réaliser sa vie. La joie surtout d’être la Source. Lorsque l’homme serein vit un coup dur, une souffrance intense ou une grande perturbation émotionnelle, il s’éloigne peu du bonheur parce qu’il sait qu’une fois que la douleur sera dissipée, que la difficulté sera résolue, la joie va revenir et qu’un bonheur plus grand va à nouveau revenir, grandi et enrichi par toutes les relations, les actions et les pensées qui nourrissent son amour et intensifient son enthousiasme. Dans les moments les plus difficiles de ma vie, les très grandes douleurs ou les immenses tristesses, j’ai réussi à rester fondamentalement heureux à chaque fois que la sérénité de fond m’accompagnait. Le seul moment où le malheur m’a réellement touché est celui où j’ai perdu le lien avec la joie et la confiance dans le bonheur possible, parce que j’avais perdu le lien avec l’amour. Là l’anxiété s’est installée, et parfois cette terrible sensation qu’est l’angoisse. Toujours le même désir revenait : mourir ! Le désir de mort a un sens positif : il signifie le désir de changer de vie. Le désir de conversion spirituelle, d’évolution vers un nouveau degré de conscience. Voyons maintenant les causes de la sérénité.

Les voies de la confiance

Qu’est-ce que la confiance ? C’est le sentiment d’être en sécurité. La confiance est à l’opposé de l’intensification de l’énergie vitale qui caractérise le feu de l’enthousiasme. C’est un plaisir de l’âme en repos, comme dit épicure, et on peut le relier à l’élément de la terre perçue comme source de la stabilité et de l’abondance. La terre est assez solide pour accueillir le chaos du feu : la vraie sécurité accueille les incertitudes, les doutes, les évolutions nécessaires. La sérénité est donc aussi la joie de se sentir sans peur du manque. C’est la joie de sentir que tous nos besoins peuvent facilement être satisfaits, parce que l’énergie de la Terre Mere est là pour nous apporter tout ce dont notre corps a besoin. Voilà pourquoi j’ai associé cette énergie de terre à la dimension de la sérénité : même si nos besoins de quiétude sont spirituels, ils se vivent dans le corps comme un accès à l’abondance, à la plénitude.

La sérénité est liée à la possibilité de satisfaire ses besoins. Je ne dis pas les désirs, dont nous parlerons à propos de l’enthousiasme. Tu peux avoir beaucoup de désirs non satisfaits et être serein. J’ai par exemple un désir intense de vivre un jour dans une belle et grande maison dans la nature pour pouvoir y accueillir ma famille et mes amis, ou de créer un jour une magnifique université pour y enseigner l’art du bonheur, mais ce désir non satisfait n’enlève rien à la félicité que j’éprouve en vivant seul dans mon minuscule appartement et de travailler au sein de ma petite école. Il est plutôt source de motivation et d’enthousiasme qui stimule ma créativité et mon esprit d’entreprise. La sérénité n’est donc pas absence de désir, ni même absence de peur. Elle est absence de manque et de crainte.

La transformation de la crainte

La crainte : voilà le véritable ennemi. Et c’est là qu’il faut être lucide. La sérénité n’est pas l’absence de peur, mais l’absence de crainte. Quelle est la différence entre les deux ? La peur est un sentiment vital : elle est dans son essence un désir de ne pas souffrir. C’est l’émotion fondamentale de la protection, dirigée par l’instinct de survie. Comme toutes les émotions, la peur n’est pas mauvaise en soi. Elle est même bonne parce qu’elle nous protège des dangers et nous conduit à la prudence. J’ai peur par exemple de me brûler quand j’allume un feu de bois. Mais je ne ressens pas la crainte parce que j’ai confiance dans mon habileté. Allumer un feu est d’ailleurs toujours une grande joie ! J’ai peur de la maladie, de la souffrance, de la solitude, mais je n’ai pas de crainte parce que je sens la force de ma santé, la vigueur de ma prudence et la présence de mes amis.

La crainte par contre n’est pas bonne, c’est la forme passionnelle et souffrante de la peur. C’est une diminution de puissance, comme dit Spinoza, donc une forme de tristesse et de douleur. C’est elle qui empêche la sérénité. Comment appeler la peur sans crainte, la peur confiante, et qui peut même être joyeuse ? Un magnifique mot existe : l’appréhension. « J’appréhende » est différent de « je crains ». L’appréhension est la forme vertueuse de la peur. C’est la perception du danger qui est la base de la prudence, la plus essentielle des vertus existentielles. L’appréhension est la perception d’un mal possible qui nous préserve de ce mal. J’appréhende le feu parce que je sais qu’il peut me brûler, le vide parce que je peux y tomber ou la maladie parce qu’elle peut me faire souffrir mais je ne ressens pas la crainte du feu, du vide ou de la maladie. Au contraire, comme un escaladeur face au vide, je peux sentir de la joie face au danger. Le feu, le vide et la maladie ne sont pas des maux en soi, mais des risques pour tout être sensible. La sérénité est là quand je sais que les risques existent mais que j’en suis préservé par ma sagesse. Quelle est la source de l’appréhension ? C’est la conscience qui perçoit la réalité dans sa vérité, qui voit bien qu’il y a des risques dans le monde, des possibilités de souffrance, mais qui sait aussi qu’il n’y a rien dans la réalité de fondamentalement à craindre, parce qu’elle sait que tout va bien, que la joie peut être là quoi qu’il arrive. Le travail sur la sérénité consiste toujours à bien distinguer les peurs qui relèvent de la crainte et celles qui relèvent de l’appréhension.

Une femme est venue un jour avec un complexe d’angoisse : elle avait une haute estime d’elle-même, une vie familiale épanouie et une profonde spiritualité mais paniquait à chaque fois qu’elle se sentait jugée et restait toujours seule ou bien s’effaçait quand elle était en groupe. Elle vivait à 3 de sérénité et 6 de bonheur. La peur était celle du jugement des autres. Quelle était sa crainte ? Qu’on la critique. Quelle était son appréhension ? Qu’on ne perçoive pas sa véritable valeur. Tant qu’elle restait dans l’énergie passive de la crainte, elle alimentait son angoisse en restant seule ou effacée. Les autres représentaient une menace. En activant l’énergie active de l’appréhension, elle a nourri le désir d’être vue selon sa véritable valeur. Nous avons alors travaillé des exercices d’affirmation de soi en cultivant son plus grand talent : la poésie. Les autres sont devenus des alliés. Elle a organisé des soirées pour déclamer ses poèmes et a pris confiance en elle. Grand succès et confirmation de sa valeur. L’angoisse a disparu et elle est remontée à 8 de sérénité et 9 de bonheur. Nous avons ensuite exploré la méditation. Elle a découvert l’éternité de son âme et s’est libérée de la crainte de la mort. Elle a alors réussi à atteindre le 10 de bonheur.

La guérison de la crainte

La peur comme appréhension a une origine biologique, c’est le besoin de survie. Au contraire, la source de la crainte est toujours dans le mental. La pensée imaginaire liée aux mécanismes de défense de l’ego. L’esprit ignorant se laisse prendre par l’imagination et la mémoire. Il crée de faux besoins, des craintes illusoires et voit le mal là où il n’est pas. Cette femme imaginait que les autres étaient incapables de l’apprécier alors qu’elle ne s’autorisait pas à montrer sa valeur. Sa véritable peur, c’était d’être reconnue et aimée. Elle voyait la mort comme un mal. Sa véritable peur, c’était de s’abandonner à l’intensité du présent.

Si je vois un feu et que je pense au souvenir d’une brûlure, je vais déjà ressentir une contraction dans mon corps ; le souvenir de la douleur de la brûlure va revenir en voyant une flamme et je vais sentir une contraction intérieure dans mon esprit : la crainte. Même chose avec le vide : regarder vers le bas depuis le balcon du 20e étage crée une crainte parce que j’imagine que je peux tomber, même si je ne risque rien.

La crainte vient toujours du mental. De la représentation du réel et non de sa perception. La crainte est mentale, elle est créée par la pensée inadéquate. Par la duplicité. Alors que l’appréhension vient de la perception de la réalité quand il y a un réel danger. Elle est vitale et raisonnable et nous conduit à l’action. C’est l’émotion qui nous conduit à la fuite et à la protection.

La seule manière de se libérer des craintes est de solidifier sa liberté intérieure par les joies de la compréhension. Comment ne plus craindre la pauvreté ? En comprenant qu’elle suffit au bonheur. Seule la misère est à appréhender. Comment ne plus craindre l’échec ? En voyant qu’il est la condition de la réussite. Seul le découragement est mauvais. Comment se libérer de la crainte de l’avenir ? En voyant que seul le présent existe et en dansant le présent. C’est l’avidité qui est dangereuse. De la crainte de la mort ? En voyant que la vie suffit au bonheur et que la mort n’est qu’un faux concept. Toutes les craintes ont pour cause la projection de maux imaginaires dans la réalité. Elles apparaissent quand on ne voit pas que la réalité est parfaite comme elle est, que la nature permet le bonheur si on en connaît les lois et qu’on comble ses besoins par des actions justes.

La libération de l’avidité

L’autre grande source d’angoisse est l’avidité : le désir de posséder ce dont on n’a pas besoin pour être heureux. C’est ce poison que le Bouddha invite à détruire par la pratique de la méditation. Il n’invite à pas à détruire le désir, comme on le dit parfois, mais la soif insatiable. Le désir de ce que je n’ai pas et dont je n’ai pas besoin. Désirer plus d’argent que je n’en ai besoin, plus de connaissance, plus de pouvoir ou de notoriété que nécessaire… Désirer posséder des biens qui demandent beaucoup de travail et créent beaucoup de fatigue et de stress. Quand les besoins essentiels sont comblés, peu d’argent, de connaissance et de pouvoir suffisent au bonheur le plus haut. Car le bonheur ne demande que de la joie, de l’amour et de la sérénité.

L’angoisse et le souci ne sont donc pas une donnée fondamentale de l’humanité comme l’affirme Heidegger. Ce sont des pathologies qui naissent de l’ignorance. Quand tu comprends que tout va bien dans le monde tel qu’il est, que la nature est source d’abondance suffisante pour combler tes vrais besoins et que la culture est suffisante pour satisfaire tes désirs essentiels, tu ne ressens plus ni crainte, ni avidité, et tu vis dans la confiance dans un constant sentiment d’abondance. Il faut, bien sûr, savoir se préserver de la culture nocive véhiculée par les médias et rester en marge de la société de consommation. Je vis sans télévision depuis plus de quinze ans, écoute peu la radio, lis à peine les journaux, me ressource souvent dans la nature : cela contribue sans doute beaucoup à ma tranquillité d’esprit ! Ainsi avec peu d’efforts et peu de ressources, une grande sérénité peut être savourée et la joie de vivre devient de plus en plus solide, stable et profonde.

Les appréhensions ne disparaissent pas et c’est tant mieux : elles permettent d’éviter les dangers, de limiter les risques, de solidifier le sentiment de sécurité, mais on ne souffre plus de la crainte, de l’anxiété et de l’angoisse. C’est alors qu’on peut prendre des risques et vivre une vie d’aventures pour cultiver de nouvelles joies : relations, projets, entreprises, expériences spirituelles. La sérénité est le contraire de l’ennui ! Plus je suis serein, plus je peux me libérer de la routine et avoir une vie créative et passionnante, pleine de joie et d’enthousiasme.

Vers la quiétude

D’autres conditions que la sagesse favorisent la confiance : la prospérité, la justice, la paix, la connaissance… Ces conditions ne créent pas la sérénité mais la favorisent en apportant plus de plaisir, de détente et de tranquillité. C’est pour cela que nous avons besoin de la culture sous toutes ses formes : de la politique, du droit, de la médecine, de l’économie, du commerce, des activités de bien-être, du sport, de la science, des médias et de toutes les techniques. Quand on vit dans une culture respectueuse de la vie, notre sérénité intérieure s’incarne dans une atmosphère générale de paix partagée avec les autres que j’aime appeler la quiétude : absence de violence, plus de misère, plus de stress… Seulement la joie de vivre dans une société libre et heureuse. Encore faut-il bien sûr que toutes les activités culturelles soient dominées par la sagesse, ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas ! Six vertus constituent cette partie de la sagesse. Je les appelle vertus existentielles parce qu’elles conditionnent notre rapport concret au monde et je les relie à l’élément terre parce qu’elles concernent notre vie matérielle et la satisfaction de nos besoins. Après les six vertus ontologiques liées à la joie d’être et les six vertus relationnelles liées à l’amour, voici les six vertus existentielles qui contribuent à notre sérénité.