APPENDICE 5 LES VERTUS SPIRITUELLES

L’abandon

C’est sans doute le plus nécessaire et le plus difficile pour l’ego. L’ego est l’ensemble de nos mécanismes de défense. Il est là pour préserver notre prétendue identité séparée de ce qui peut la menacer. Il est dans sa nature de contrôler parce qu’il est régi par la peur de la mort. Lâcher prise, c’est accepter de perdre le contrôle ou plutôt de voir que tu ne l’as jamais eu ! Tu crois que tout ce que tu penses et que tu fais vient de ton libre arbitre… Tu n’es en fait pas l’auteur de tes actions : c’est la vie qui agit à travers toi. Seule la source agit toujours et partout ! Tu n’as aucun libre arbitre. Contrairement aux apparences, tu n’es pas responsable de ce que tu fais, pense, choisis, décide… Alors abandonne-toi joyeusement à vivre selon ta libre nécessité : réalise tes désirs avec sagesse en te libérant de tout devoir, de tout but, en voyant que le présent est tout, que tu ne contrôles rien. Il n’y a rien à atteindre, tout à savourer. Vois combien la vie est merveilleuse dès que tu laisses ton Petit Prince intérieur danser sur les plages du présent. Sois seulement conscient de ce que tu es, de ce qui est. Vois que tu ne peux rien contrôler de ce qui arrive. Abandonne-toi à la sagesse de la vie et alors tu atteindras la maîtrise et tu commenceras à ressentir la grâce de te sentir véritablement libre et responsable, à la fois dans l’autonomie et l’autorité…

La lucidité

Quand tu abandonnes tes opinions et tes croyances, que tu ouvres les yeux pour voir le monde tel qu’il est, les illusions tombent et tu peux devenir un véritable philosophe, un amoureux de la sagesse, et un vrai disciple, un étudiant de l’unique maître qui est la Vie. Tu peux alors faire de chaque moment une source d’enseignement pour ton intelligence et une opportunité de joie pour ton cœur. Tu deviens curieux de tout, étonné par tout, passionné par la connaissance du vivant qui devient incroyablement beau et précieux. Toute personne rencontrée devient un maître, tout événement devient un enseignement, surtout quand il est douloureux et tragique. La simple perception du monde devient prodigieusement intéressante. Ta vie entière devient un art. Chaque moment est vécu dans la contemplation et la gratitude de participer à ce grand mystère incompréhensible qui est l’existence dans ce grand jeu cosmique qui est l’univers infini en perpétuelle autocréation.

L’humour

Quand tu abandonnes la volonté de contrôler et que tu deviens lucide sur la simplicité du réel, tu retrouves la joie suprême de l’innocence enfantine et tout devient burlesque, étonnant et comique. Tout devient plaisant et léger : tu ne prends plus rien au sérieux, et surtout pas toi-même ! Tout devient occasion de rire, non pas par les blagues moqueuses d’un humoriste, mais par la perception que rien n’est grave, même si tout est tragique… Tu peux rire de tout ce qui arrive, surtout de tes malheurs, tes échecs, tes difficultés, en voyant que l’univers entier n’est qu’une blague et un cadeau que la Source se fait à elle-même pour mieux savourer l’éveil à travers toi. Chaque instant de tristesse, de colère et de peur peut se transformer en rire si tu sais y voir son œuvre. Au moment où j’écrivais le paragraphe sur le lâcher-prise dans une grande allégresse, je me suis levé pour me faire un thé et je me suis coincé violemment un doigt dans la porte du placard : douleur intense ! Au revoir l’allégresse… Mais immédiatement un grand éclat de rire est arrivé et je me suis réjouis en remerciant la vie pour cette belle leçon de sagesse : attention à l’exaltation ! Lâche prise, oui, mais reste prudent et vigilant dans tes gestes. N’oublie pas d’être un danseur et pas seulement un penseur. Sous l’effet dissolvant du rire, je me suis mis spontanément à danser et la douleur s’est vite transformée en gratitude. L’humour nous amène à l’humilité… « Au plus élevé trône du monde, nous ne sommes assis que sur notre cul », comme le dit élégamment Montaigne. Et même assis sur notre cul nous pouvons voler dans les étoiles par la grâce d’un éclat de rire !

L’humour est peut-être la vertu suprême de la joie parce qu’elle permet de sourire de tout ce qui arrive, y compris le pire. Dès qu’on comprend que tout n’est que l’expression de la Source et de son infinie sagesse, tout devient risible, y compris et surtout le tragique. Ne perds pas une occasion de blague, surtout à propos du pire, de la douleur, de la souffrance, de la maladie, de la guerre, car tout n’est qu’expression de la source qui joue à s’autolimiter pour mieux savourer son éveil en toi. N’oublie pas que tout va disparaître, que tu n’es qu’un néant dans l’infini, une goutte d’eau dans l’océan.

 

Vertu du rire et plus haute forme d’intelligence, cette puissance spirituelle nous donne la force de nous réjouir malgré tout ce qui nous fait pleurer. L’humour est surtout nécessaire pour nous libérer des tristesses de l’orgueil. Quand le soi éclate de rire, l’ego se dissout ou retrouve la douce mesure de sa modestie. Ne pas confondre avec l’ironie : alors que l’humour élève notre humanité, l’ironie la rabaisse en l’humiliant. Plaisanterie, blague, clownerie, l’humour nous donne la joie de nous sentir supérieur, libre, intelligent. Moquerie, mépris, raillerie, l’ironie se réjouit d’une infériorité, d’une incapacité, d’un défaut. Forme magique de générosité, l’humour est pur amour : il célèbre toujours la puissance de la Vie. Encore une vertu majeure de l’éthique : en nous offrant la grâce de sa joie, l’humour allège le poids du monde et nous libère des excès du sérieux et des risques de la duplicité.

L’émerveillement

Quand tu abandonnes la comparaison entre ce qui est et ce qui est censé devoir être, le regard s’ouvre à la splendeur du réel et tu découvres l’extraordinaire beauté de tout ce qui existe. Quand tu te libères des projections imaginaires de ton mental endormi, la Nature apparaît pour ce qu’elle est : une œuvre d’art d’une complexité inouïe et d’une intelligence fabuleuse. La simple perception d’une fleur, d’un nuage ou d’un visage te plonge dans un étonnement infini et une extase mystique sans commencement ni fin. Ta vie devient alors contemplation et tu vis dans une gratitude incessante pour toutes les merveilles de l’univers, des étoiles aux papillons en passant par les symphonies, les toiles de maître et les corps : quelle merveille que notre corps ! Tous les corps sont magnifiques quand on sait les contempler avec le regard de l’amour. Le langage est impuissant à rendre cette extase : le mieux est de se taire et d’ouvrir les sens et la perception. Sous la beauté du monde, on voit alors apparaître la présence radieuse de la lumière du divin.

L’unité

On arrive ici à la véritable destination de la spiritualité. Ce que j’appelle unité est la vertu « religieuse » en prenant ce terme dans son sens étymologique : la vertu qui nous relie à tout. Cette vertu existe indépendamment de toute religion historique, même si elle peut fort bien s’incarner dans le christianisme, le judaïsme, l’hindouisme, le taoïsme, le bouddhisme, l’islam, l’animisme ou toute autre forme particulière de religiosité, et même au sein de l’athéisme. Toutes les religions sont comme des branches d’un même tronc qui est la religion universelle du respect du sacré de la vie. Et l’athée est simplement celui qui préfère appeler « Nature » ce que d’autres appellent « Dieu » et qui de toute façon est innommable. Ce que j’aime avec la biodanza, c’est qu’elle offre une voie simple et directe à la perception du sacré de la vie sans imposer aucune forme de religion ou d’absence de religion. Les exercices de la ligne de transcendance amènent directement à ressentir la vivencia du numineux : l’émerveillement devant le sacré. L’unité intègre la totalité de toutes les vertus, de la simplicité à l’émerveillement en passant par la prudence et la générosité : elle consiste simplement à percevoir et à vénérer la vie en toutes choses au-delà et à travers toutes ses formes. Elle intègre la piété, la foi, la vénération, la dévotion et se manifeste par le respect du sacré de la vie. Elle se traduit par l’engagement de notre vie entière au service du bonheur de tous les vivants, non seulement les humains mais aussi les animaux, les végétaux, les minéraux, de tous les êtres visibles et invisibles. L’unité découle naturellement de l’éveil : on perçoit que tout est vivant et que tout est sacré. Tu es sacré. La vie entière est sacrée. Ce moment que tu es en train de vivre est sacré. Le monde est un temple : la Terre, le Ciel, chaque atome est sacré. Rien n’est profane pour celui qui perçoit la sagesse de la vie cosmique qui anime toute chose, parce qu’il perçoit comme une évidence que tout ce qui existe est la manifestation de l’Un. Quand on parvient à cette perception, on dépasse et intègre toutes les religions et on atteint le sommet de la religiosité. On vit en vénérant la vie et en rendant grâce à toute existence. On ressent l’extase mystique de sentir que tout est un, parfait, éternel, présence simple de la Source à elle-même dans le mystère de l’évolution cosmique. Tous les sentiments du bonheur – amour, sérénité, enthousiasme – sont alors fondus en une joie ultime que le Christ appelle la joie parfaite. Seuls le silence et la lumière peuvent témoigner de sa gloire. Et le sourire du Bouddha.