Lucie arrive dans les box en pleurs. Elle peine à articuler entre deux sanglots :
— Je ne participe plus à l’expo de Véra…
— Mais pourquoi ?
— Il y avait des contreparties… Bref, c’était plus possible, j’ai laissé tomber !
Tu t’approches d’elle. « Calme-toi, ça va aller. »
— Il fallait participer aux répétitions de son groupe, Acouphène autistique, passer je ne sais combien de temps avec eux, même les week-ends… Je ne me sentais plus à ma place.
— Acouphène autistique ? C’est vraiment un nom, ça ?
Lucie sourit à travers ses larmes.
— Au début, je croyais qu’elle aimait vraiment mon travail… mais quand j’ai compris qu’elle n’en avait rien à foutre…
— Ah oui, elle n’est pas con la Véra, elle recrute parmi les élèves…
Lucie se ressaisit…
— Tu sais ce qu’on m’a dit sur elle ?
— Les bruits de couloir arrivent rarement jusqu’ici…
— Il paraît qu’elle a du sang sur les mains, Véra…
— Tu rigoles ? Elle a buté quelqu’un ?
— Elle n’a pas eu besoin de le faire elle-même, il y a eu une vague de suicides à l’école, il y a dix ans…
— Des étudiants ?
— Oui, des étudiants comme nous, qu’elle a poussés à bout…
Tu repenses aux attaques que tu as subies de la part de l’enseignante en première année, à ses mots acerbes : « Vous êtes à côté, complètement à côté ! Inscrivez-vous en arts appliqués ! »
— C’est vrai qu’elle n’est pas vraiment la bienveillance incarnée, Véra, mais de là à se suicider… Merde, j’ai toujours senti que c’était un putain de gourou à la con…
— Pourquoi tu dis ça ?
— C’est ce qu’elle voulait faire avec toi, non ? T’enrôler ! Protège-toi à l’avenir…
— Comment veux-tu qu’on se protège, c’est nos profs !
— Oui, enfin, on n’est pas leurs esclaves non plus !
Lucie essuie ses larmes.
— Allez, c’est bon, y en aura d’autres des expos, d’ailleurs on voulait en organiser une nous-mêmes, avec Luc et quelques potes, dans un bar !
— Dans un bar ?
— Bah ouais, c’est ça ou un squat, enfin, une ancienne usine, un plan d’un pote de Luc, on verra bien, mais ce serait chouette de faire quelque chose ensemble, de pouvoir tout organiser de A à Z…
— Une usine désaffectée ce serait l’idéal pour faire mes graffs…
— Tes graffs ?
— Bah oui, plutôt que décoller des affiches, je peux les travailler directement dans la rue, et puis ça a quelque chose d’excitant, trouver des endroits incongrus pour peindre, savoir que le lendemain, plein de gens verront ton travail… C’est idiot de se battre pour exposer sur les cimaises d’une galerie, alors que la rue est à nous ! Il suffit de l’investir, de la redessiner !
Lucie s’approche du box de Luc.
— Dis donc, c’est Luc qui a fait ça ?
Tu franchis la cimaise qui sépare ton atelier de celui de ton voisin. En lieu et place de l’ancien paysage, il y a deux formats plus petits, carrés. La palette est fauve, expressionniste.
— Ça claque !
— On dirait une rave party…
— Ou un hommage au Déjeuner sur l’herbe…
— Les jardins d’Éden…
— Je ne sais pas ce qu’il a mis dans la texture, mais c’est presque transparent…
— Qu’est-ce qu’il a fumé le Luc ?