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Tu as repoussé les toiles contre le mur et fait un peu de place pour que Luc et Lucie puissent s’asseoir.

Luc prépare une mayonnaise tandis que tu essaies de récupérer trois verres pas trop sales dans l’évier.

— T’as pas un fouet ? demande Luc. C’est pas facile de monter une mayo à la fourchette !

— J’ai une tête à avoir un fouet ? C’est déjà bien galère d’avoir un seul évier pour tout, cuisiner, rincer les pinceaux, se laver les dents…

 

Lucie est postée devant l’unique fenêtre de ton studio :

— Plains-toi ! T’es en plein centre-ville, et puis t’as une super vue sur le beffroi !

 

Tu observes les mains de Luc. Tu n’as jamais vu quelqu’un tenir une fourchette de cette manière, ses doigts sont longs, agiles, et entre ses mains tout paraît si précieux, si délicat.

 

— C’est joli la façon dont tu montes la mayo, très chorégraphique…

 

Lucie se retourne :

— J’ai faim !

— C’est une bonne maladie, m’fille ! lance Luc.

— Je vais chercher les frites ! Vous ne voulez rien d’autre ?

— On a la bière, on a la mayo, tutto va bene !

 

Quelques minutes plus tard, Lucie revient avec des barquettes enrobées de papier translucide, déjà luisant de graisse.

 

Après quelques bières, les langues se délient :

— Et toi Lucie, t’as un mec en ce moment ? demandes-tu.

— Oh, plein ! Mais le dernier avec qui je suis sortie, le pauvre, il n’avait vraiment rien pour lui…

— Ah bon ? s’inquiète Luc.

— En plus, on n’avait rien à se dire !

— Oh là là…

— Et sexuellement, c’était l’horreur !

— Mais qu’est-ce que tu foutais avec lui alors ?

 

Lucie hausse les épaules.

— J’en sais rien !

Vous riez.

 

— Et toi Luc ? T’as quelqu’un ?

 

Luc sourit sans répondre.

Tu montes la musique.

 

— Et si on dessinait ?

— On commence par toi, Luc.

— Ne comptez pas sur moi pour me mettre à poil, les filles !

— On pourrait dessiner tes pieds, tu sais que tu as des pieds magnifiques, Luc ?

— Bien sûr qu’il le sait, dit Lucie, il ne quitte jamais ses sandalettes, afin qu’on puisse les admirer par tous les temps !

 

Tu sors des fusains et du papier.

Luc fait glisser ses sandalettes, simplement ornées de fines lanières de cuir. Il croise et décroise les jambes. « Ça vous va comme ça ? » Ses pieds sont si érotiques que c’en est indécent de les voir nus. Tu te concentres sur ta feuille. Plisses les yeux. Tu te lances dans le croquis. Les pieds de Luc ne sont plus des pieds, ils s’effacent sous les traits de fusain, deviennent ombres, lumières, figures…