Tchak. Photo noir et blanc d’une femme vêtue d’un tablier à rayures, derrière elle, deux toiles abstraites représentant des formes géométriques.
La voix de Ségolène traverse l’amphi : « Cette artiste, c’est Agnes Martin. Elle est née en 1912, comme Pollock. Les toiles que vous voyez derrière elle, sur la photo, vous ne les verrez jamais dans un musée, tout simplement parce que, en 1959, Agnes Martin a détruit la totalité de ses œuvres. »
Ségolène marque une pause. « Pour beaucoup d’artistes, dans les années 60 et 70, et notamment les peintres, c’est une tentation, à un moment, de saccager leur production. Pour certains, cela signifie un arrêt définitif de la peinture. Pour d’autres, c’est simplement une pause, et ils reprendront la peinture quelques années plus tard. Pour Agnes Martin, c’est encore différent, elle détruit ses œuvres pour pouvoir s’en libérer et repartir de zéro. Faire table rase du passé. »
Tchak. Une grille tracée au crayon sur une toile de format carré.
« Agnes Martin va se concentrer sur un nouveau motif. Elle ne va plus dessiner que des lignes, des horizontales, des verticales, dont elle remplit patiemment la surface de la toile. Avec cette artiste, la peinture ressemble à une profonde méditation. »
Tchak. Photo de groupe en noir et blanc.
« Agnes Martin a longtemps fréquenté le groupe des expressionnistes abstraits, dont elle était la seule représentante féminine. En 1967, alors qu’elle commence à bénéficier d’une forte reconnaissance et d’une exposition personnelle à New York, elle reçoit une bourse d’État de 5 000 dollars. Avec cet argent, elle s’achète un van. Avant de partir, elle distribue son matériel de peinture à ses amis, pinceaux, toiles, châssis. Elle ne touchera plus un tableau pendant sept ans. Elle quitte la ville pour sillonner seule les États-Unis, à bord de son van. »
Tchak. Une toile sur laquelle flottent des bandes colorées, bleues, jaunes, blanches, grises.
« Au Nouveau-Mexique, elle repart une nouvelle fois de zéro. Elle reconstruit un nouvel atelier de ses propres mains. C’est dans la solitude et le silence qu’elle reprend goût à la peinture, loin de l’effervescence du monde de l’art qu’elle ne supportait plus. Elle dit de ses tableaux qu’ils sont lumière, luminosité. Qu’ils ont pour sujet l’absence. »