Te voilà diplômée des Beaux-Arts. Certes tu n’as pas obtenu les félicitations du jury et certes ton diplôme ne vaut pas grand-chose sur le marché de l’art et encore moins sur celui du travail, mais au moins tes trois années sont-elles validées. À vrai dire, 100 % des élèves de troisième année se retrouvent avec le diplôme en poche, l’écrémage se fera plus tard. Lucie est ravie, elle a obtenu les félicitations du jury grâce à ses Crottes sur fourrure synthétique. Son travail a encore évolué et elle s’est mise à la vidéo, à la grande satisfaction de Véra Mornay qui peut se targuer d’avoir pour ainsi dire sauvé son âme de la damnation picturale. Quant à Luc, ses paysages incandescents lui ont valu quelques compliments, mais pas les fameuses félicitations.
Une petite fête est organisée à l’école. Jean-Pascal Lequenne te bouffe des yeux depuis le début de la soirée, comme si la fin de l’année l’avait désinhibé. Tu n’y prêtes pas vraiment attention, soulagée de savoir que c’est sans doute la dernière fois que tu le vois. À vingt et une heures, quand les chips et le blanc municipal sont écoulés, certains décident de poursuivre les agapes ailleurs, dans un bar du centre-ville.
Tu salues ceux qui sont encore là et prends le chemin de chez toi. Mais Jean-Pascal te rattrape dans la rue, « voyons, voyons, où filez-vous si vite ? ». Sa voiture est garée juste derrière, il peut te raccompagner.
Tu as ton diplôme en poche, Jean-Pascal n’est plus ton tuteur, tu n’as plus aucun compte à lui rendre. Qu’il aille se faire voir avec ses histoires malsaines, sa femme et tutti quanti, tu t’en fous. Il est temps de le refroidir poliment. Et pourtant, tu t’entends lui dire, presque mécaniquement, « c’est gentil, merci ». Et tu le suis dans les rues de Lille.
À peine sa portière de voiture refermée, il se jette sur toi. « Vous, vous, enfin. Si vous saviez l’effet que vous me faites depuis tout ce temps. Vous ne vous rendez pas compte. Ce que vous dégagez. Une telle féminité. Je n’en dors plus. J’y pense depuis des mois. Vous cherchez à me rendre fou. » Sa bouche molle cherche la tienne, tu le repousses fermement.
— Jean-Pascal, voyons.
Tu éclates de rire.
— Je suis désolée Jean-Pascal, je ne m’attendais pas du tout à ça. Je vais devoir rentrer à pied.
Tu tentes d’ouvrir la portière.
Elle est verrouillée.
La bouche de Jean-Pascal se tord.
— Un an que tu m’allumes et ça te fait rire.
Tu crois que tu peux jouer avec les hommes comme ça ?
T’as vu comment tu t’habilles ?
C’est pour moi que tu t’habilles comme ça ?
Avoue que c’est pour moi…
Il tente un nouveau rapprochement physique.
Tu le repousses de toutes tes forces.
— J’arrive même plus à baiser ma femme.
À cause de toi.
Ça te fait rire.
Sale putain.
Le coup de poing part.
La tête de Lequenne vacille puis retombe lourdement sur le volant.
Tu te dégages du siège.
Appuies sur tous les boutons du tableau de bord.
Caisse électrique.
Caisse de merde.
Tu es coincée.
Jean-Pascal se redresse.
— Salope.
Il attrape tes poignets et te renverse sur le siège.
Tu voudrais hurler, tu ne peux pas.
Coincée.
Jean-Pascal recule.
Derrière la vitre, tu reconnais le visage de Luc. Il tambourine contre la portière.
— Qu’est-ce qui se passe dans cette bagnole, ouvrez !
— Laissez-moi partir Jean-Pascal, je veux juste rentrer chez moi.
Déverrouillage des portières.
Quelques secondes plus tard, tu es sur le trottoir avec Luc. La voiture de Jean-Pascal démarre brutalement.