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Café des Aubrais, deux ans plus tard.

 

— C’est bizarre, quand je pense que je vais enseigner les arts plastiques à mes élèves, j’ai l’impression que je vais les envoyer dans le mur, dit Lucie.

— Pourquoi ça ?

— Si ça se trouve, dans dix ans, ils supprimeront les arts plastiques des programmes scolaires.

— C’est pas grave, tu enseigneras la biochimie ou la physique des particules !

 

Lucie prend une moue dégoûtée. Tu tends ton bock de bière vers le sien.

— Allons, buvons à ta réussite, et j’ai hâte que tu me racontes comment tu es arrivée cinquième sur la liste du concours de prof d’arts plastiques !

— Du boulot, ma vieille, du boulot, j’ai fait que ça depuis deux ans, bouffer du vocabulaire technico-pédago et les textes du Bulletin officiel. Attention, on ne dit plus « une œuvre » mais « une pièce » ! De même, interdit de prononcer le mot « peinture », maintenant on dit « médium »…

— Médium, mais c’est pas plutôt un genre de voyante ?

— On va dire que la peinture est visionnaire alors, mais je suis un peu flippée à l’idée de passer vingt heures par semaine avec des élèves qui auront à peine cinq ans de moins que moi…

— Je sais, je fais pas mal de surveillance en collège, c’est pas facile… Mais tu vas enseigner où ?

— Versailles pour commencer !

— Oh, mais génial ! Je pourrai squatter chez toi quand je viendrai à Paris ! Allez, reprends une bière, c’est ma tournée !

— Académie de Versailles ma vieille, c’est très étendu, et je ne suis pas certaine que ce soit exactement la vie de château qui m’attende…

 

Tu reviens avec deux bières, et vous trinquez.

— Luc ne nous rejoint pas ?

— Je n’en sais rien, je lui ai dit qu’on était ici pourtant.

— Et toi, l’écriture ?

— J’écris mais en ce moment, mon souci, là, c’est plutôt les thunes. Je cherche quelque chose, n’importe quoi…

— Mais ce roman que tu avais commencé et qu’on n’a jamais pu lire ?

— Je n’ai jamais réussi à le finir, comme s’il restait en suspension…

— Un petit blocage ?

— Un énorme blocage…

— Mais ça parlait de quoi ?

— De nous !

— De nous ? Ça alors !

— De Luc, de toi, de moi…

— Tu avais trouvé un titre ?

— Je serai peintre.

— Oh là là, je suis hors jeu alors…

— Moi aussi je suis hors jeu, Lucie… En fait, il n’y a que Luc qui soit encore dans la course…

— Mais tu as complètement arrêté de peindre ?

— Oui, là je ne fais plus rien, c’est le point mort.

— Pourquoi ne passerais-tu pas les concours, comme moi ?

— Ah non, ce n’est pas moi ça, je n’ai aucune envie d’enseigner, aucune envie de me marier, aucune envie d’avoir des enfants…

— Joli package…

 

Vous riez.

 

— Au fait Lucie, je t’ai dit pour la plainte ?

— Quelle plainte ?

— Celle que j’avais déposée contre Lequenne…

— Elle n’a pas été classée sans suite ?

— Aucune nouvelle depuis deux ans, et puis le mois dernier, un appel de la police. Ils m’ont demandé de repasser au commissariat. Une autre plainte a été déposée contre Lequenne. C’est beaucoup plus grave cette fois.

— Mais c’était déjà grave, tu as toujours sous-estimé ce qui s’était passé avec Lequenne.

— Possible, mais aujourd’hui c’est une plainte pour viol.

 

Lucie blêmit.

— Tu l’as échappé belle ! Il est toujours en liberté ?

— Je n’en sais rien. Mais j’ai dû refaire ma déposition de A à Z.

 

Tu soupires :

— C’est con à dire, mais j’étais contente que la police ne m’ait pas oubliée…

— Y en a un qui nous a oubliées, c’est Luc je crois…

— Il doit se préparer à son diplôme de cinquième année, j’arrive pas à croire qu’il soit encore aux Beaux-Arts, celui-là…

— Il se prépare surtout au Salon de Montrouge.

— Le Salon des jeunes artistes ?

— Oui, il m’a dit qu’il passait à la radio cette semaine. Si ça se trouve, il est sur Paris aujourd’hui.

— Ah, génial, et ça passe quand ?