Lukàs saute sur le capot d’une voiture et se met à danser. Il y a une logique du mouvement, une mathématique, une loi très simple. Comme celle qui régit le déplacement d’un neutron. L’être humain oppose une résistance aux lois physiques. Pour Simon Twins, ce n’est que dans l’immobilité d’un tableau ou d’une photographie de plateau que l’harmonie des corps est saisie, avec la lumière qui s’empare d’eux et creuse les plis des chairs, les jours d’enterrement.
Alors, le modelé des corps prend des reliefs étonnants et on découvre une sorte de paix intérieure comme lorsque le mot exact cesse de se mouvoir dans la phrase et trouve son équilibre, coincé entre deux segments, nécessaire mais sur le point de se rompre.
Lorsque Lukàs danse, il revient dans les dédales des bidonvilles qui évoquent l’atmosphère chaotique des médinas. Là-bas, la peur et l’amour ne sont qu’un même conflit. La destruction des plus forts se fait à un rythme effréné. Les journalistes étrangers viennent y faire des reportages sur « les beautés des favelas » et tout ce qui fait que les pays du grand rêve américain se sentent si bien.
Lukàs danse au milieu de Hollywood Boulevard, dans un de ces coins perdus où il y a un détaillant de Lincoln-Mercury et un autre de Toyota, une clinique médicale et un restaurant chinois. Twins est assis dans le restaurant chinois en train de manger une soupe au porc et il regarde les derniers modèles de camions Toyota.
Il aurait fallu davantage pour illuminer ce coin de rue terne où l’histoire n’a laissé aucune empreinte. L’histoire est transportable, rien de plus qu’un de ces résidus des siècles passés qui nous empêchent de deviner la loi qui régit les événements entre eux, les raisons qui poussent deux êtres à s’approcher l’un de l’autre, à Lukàs de danser. Il se déhanche près des immeubles bas, des entrepôts abandonnés, des échoppes où rôtissent les volailles et c’est l’énoncé d’une volupté parmi les odeurs d’essence, de poivre, d’urine, de sucre d’orge, d’asphalte chaud, de goudron.