Le jour où Scott Howard a fêté ses six ans, il a aperçu dans le ciel un disque qui est resté un temps SUSPENDU DANS LES AIRS, avant de s’élever et de disparaître dans l’éclat aveuglant d’un soleil de juillet 1983.
La fête se déroulait dans la cour arrière de l’immeuble locatif où il résidait avec sa mère, au sud de Los Angeles. Son père, Bobby, venait de quitter le logement. Cela avait pris quelques jours avant que Scott ne s’aperçoive de son absence. Ce n’est pas comme s’il avait subi une perte. On pouvait presque dire que son père avait disparu sans laisser de traces.
Le jour avant son départ, un vendredi, son père n’avait rien fait de particulier. Il avait donné une grosse tape sur l’épaule de son fils et lui avait dit qu’ils se reverraient un de ces jours. Scott avait acquiescé, bien sûr, et il était sorti du logement en dévalant l’escalier à toute vitesse. Il avait croisé madame Langden sur un palier. Elle semblait toujours l’attendre. Ou alors elle passait des journées entières dans la cage d’escalier avec son regard froid de serpent à sonnettes et cette sorte d’obstination à tirer son chariot d’épicerie.
— Ne va pas si vite ! Où tu crois courir, sacripan ? lui dit-elle.
Les premiers jours, Howard n’avait pas compris. Quelques nuages boueux sillonnaient la voûte d’un bleu cendreux. Ils avaient l’air d’objets indépendants du ciel. Comment dire ? Ils s’accrochaient aux immeubles en aspirant la lumière autour d’eux.
Howard habitait cet espace fantasmatique où le bonheur jaillit d’une remarque obscène aussi bien que d’une catastrophe. Le bonheur était en lui comme une vérité. Il trouvait toujours le moyen de rigoler. Son rire et ses cris étaient ses seules possessions.
À six ans, le bonheur est futile. Il peut ressembler à une marionnette ou à de la camelote enveloppée dans du papier d’emballage. Howard ne se souvenait pas s’il avait reçu un cadeau le jour de son anniversaire.
Le jour de ses six ans, où il a cru voir un ovni, était devenu un souvenir aussi redoutable qu’une forteresse. Il y a quelques instants dans une vie auxquels on ne peut échapper. On peut les désavouer, mais ils reviennent sans cesse vous hanter comme un carrousel.
Les chevaux tournent en rond sans pousser le moindre soupir, emportés par l’orgue de barbarie. Ils sont peinturés de toutes les couleurs. Bleu, jaune, orange ou vert. Ils tourbillonnent sans cesse en flottant, sans toucher le sol. Ils ont beau faire, ils ne pourront jamais foutre le camp et aller cavaler dans les rues. C’est du bonheur et de la magie. Après un temps, on a le goût de s’enfuir.
Il y avait ce soleil de plomb d’une journée de canicule à Los Angeles. Howard était essoufflé, exaspéré et peut-être même plein de rage secrète. Rien ne l’arrêtait, une fois en mouvement. Il tourneboulait, gesticulait et le monde était comme une grande guirlande qu’il essayait de saisir. Scott Howard n’écrirait jamais sa biographie. S’il l’avait fait, il aurait commencé par écrire certains mots comme : soleil et Los Angeles et ballon. Puis il aurait déchiré la feuille. Il aurait eu beau chercher ce qu’il avait dans la tête, il n’aurait trouvé que des confettis.
Un jour, il écrirait sur son site Web un compte rendu de son anniversaire. Il n’avait pas beaucoup de mots à sa disposition pour raconter cet événement. Il n’avait pas les chevaux de manège qui tournent en rond et ce visage de miraculé qui venait parfois le hanter dans ses rêves. Il ne savait pas comment exprimer l’illumination qui l’avait saisi alors qu’il se promenait dans la cour extérieure d’une prison, sous le regard ennuyé des gardes en faction. Il avait compris ce que cette fête signifiait pour lui.
Sa vie n’était plus seulement une suite d’accidents, de hasards, de gens qui disparaissaient dans la nuit, de feux follets, de corridors en forme d’entonnoir, de pensées saugrenues qui lui traversaient l’esprit, de baises, de bières bues au retour du travail qui laissaient son esprit tournoyer sur les pavés, de bulletins télévisés, d’ordures. C’était une forme d’allégresse.