Portrait de l’enfance de

Scott Howard en Martien

 

Enfant, Scott Howard habitait avec sa mère un immeuble où, dans le hall d’entrée, de gros néons bourdonnaient, projetant sur les tuiles un éclairage blafard. C’est ainsi qu’il imaginait l’intérieur des soucoupes volantes.

Ce court épisode de la vie de Howard était l’un de ces moments où la mémoire travaille dans un état second. Les synapses transmettent des signaux erratiques d’un neurone à un autre, développant un réseau subtil où le souvenir s’affirme par des associations remarquables.

Une odeur d’urine imprégnait les tuiles, mêlée aux javellisants et à la cire. Un vieux chat venait y marquer son territoire, un matou au pelage râpeux qui s’épanouissait la nuit venue, lorsque son maître le laissait libre dans le corridor. Ces puissantes odeurs d’ennui et de détergent l’étourdissaient.

La lumière froide des néons, un peu répugnante, se reflétait sur les stores métalliques des fenêtres du hall. Le bourdonnement grave, lancinant, semblait une introduction à l’éternité. Il n’existait plus de séparation entre chacune des secondes. Une torpeur le gagnait.

Scott Howard restait figé. Il cherchait confusément ce qui rendait ce lieu aussi séduisant, jusqu’à ce que madame Langden de l’appartement 309 entre avec son chariot d’épicerie :

 Pourquoi tu traînes là, petit morveux ?

Madame Langden avait un visage éteint, gris, avec une peau lisse de nourrisson malgré ses soixante ans. Elle aimait se brosser les cheveux et s’occuper de ses ongles qui étaient impeccables. Howard n’aurait pas dit qu’elle était coquette : elle était vide. Elle adorait regarder les feuilletons en après-midi. En particulier Santa Barbara, où tous les protagonistes pouvaient être des meurtriers. Après toutes ces années à vivre seule, elle était vide et n’avait pas l’air d’en souffrir.

L’agressivité de madame Langden lui plaisait bien. Cette vieille dame avait l’air d’une reine sortie d’un livre de contes. Selon Howard, elle devait avoir plus de cent ans. Au soleil, il pouvait voir son crâne rose sous ses cheveux dégarnis. Elle tirait son chariot d’épicerie d’un air décidé.

Le hall d’entrée de l’immeuble était l’endroit le plus inquiétant que Scott Howard connaissait. Il le traversait avec délectation plusieurs fois par jour. Chaque fois il se disait qu’il n’allait pas survivre. Un rayon laser allait le téléporter dans une autre dimension où il serait dévoré par de grosses cellules qui se nourriraient de son esprit avant de le laisser vide comme madame Langden. Tout juste bon à ressentir un peu de tristesse les jours de pluie.