L’ALLIGATOR :
— Je savais que tu reviendrais !
L’AUTEUR :
— C’était facile à prévoir.
L’ALLIGATOR :
— La petite amie de Bill fait beaucoup de bruit.
L’AUTEUR :
— Une actrice sans doute… une très bonne actrice !
L’ALLIGATOR :
— Tu sais que j’ai déjà joué dans un film ?
L’AUTEUR :
— Non. Excuse-moi.
L’auteur baisse son pantalon de pyjama et s’assoit sur la cuvette. Il essaie de ne pas regarder Barbara et de prendre une pose désinvolte. L’auteur remarque une télécommande près de lui. Il allume un écran plasma situé au-dessus de la porte d’entrée. MTV joue. Sur un fond de clochers, de tours inclinées et de ruines produits par images de synthèse, une fille pleure et chante sous une pluie de pétales rouges.
L’ALLIGATOR :
— Tu laisseras la télé allumée en partant. J’ai trouvé la journée tellement longue ! Tu as apporté des bonbons ?
L’AUTEUR :
— Ah ! J’ai un sac. J’ai apporté des bananes éponges, des Skittles, de la réglisse et des fraises à la guimauve saupoudrées de sucre…
L’ALLIGATOR :
— Ça ira. J’aime pas les fraises à la guimauve…
L’AUTEUR :
— Ah ! Je les garde.
Il lance les bonbons. L’alligator s’agite dans son aquarium. Elle remue la queue, avale quelques bonbons. L’auteur est constipé. Sur la route qui l’a conduit de Montréal à Los Angeles, il a abusé de la restauration rapide. Il souffre, dissimule son visage pour ne pas laisser paraître ses efforts. Finalement, il décide de s’allumer une cigarette.
L’ALLIGATOR :
— Tu as rencontré Donna Maxter ?
L’AUTEUR :
— Oui, hier au dîner. Tu la connais ?
L’ALLIGATOR :
— Joli cul, non ?
L’AUTEUR :
— On peut dire ça.
Depuis qu’il est à Los Angeles, il ne peut s’empêcher de se demander devant chaque femme qu’il rencontre s’il s’agit de ses vrais seins. Cela devient une obsession.
L’ALLIGATOR :
— Oui.
L’AUTEUR :
— Quoi ?
L’ALLIGATOR :
— Ce sont ses vrais seins.
L’AUTEUR :
— Comment tu sais ça ?
L’ALLIGATOR :
— C’est elle.
L’AUTEUR :
— Elle ?
L’ALLIGATOR :
— Bien, l’ancienne petite amie de Billy. Je la voyais souvent. Ç’a duré un an. Quand elle l’a laissé, Billy a passé une semaine à chialer dans la salle de bain. C’était pathétique. Je l’avais jamais vu comme ça. Bon, d’accord, Donna Maxter est un beau morceau, je l’admets, mais c’est pas comme s’il n’y avait plus d’autres filles à L.A. Non ? Il n’y a que ça, à tous les coins de rue. Il n’y a pas d’alligators à tous les coins de rue, mais il y a des filles. Puis il s’est mis à baiser comme un dingue. Depuis que Donna l’a laissé, il n’arrête pas. Un vrai marathonien du sexe. Je l’avais jamais connu avec une telle libido.
L’AUTEUR :
— C’est sa façon à lui de remonter la pente. Pas une mauvaise idée. Pour ma part, je ne serais pas capable…
L’ALLIGATOR :
— De te remettre d’une peine d’amour avec Donna Maxter ?
L’AUTEUR :
— De me remettre d’une peine d’amour en baisant tout ce qui bouge.
L’ALLIGATOR :
— Peut-être que tu ne te connais pas très bien. Peut-être que si tu étais vraiment désespéré, tu ne sais pas quelle serait ta réaction.
L’AUTEUR :
— Peut-être.
L’ALLIGATOR :
— C’était dans L’hôtel de la saison salade où je n’ai pas dormi Bulpe et citronnade.
L’AUTEUR :
— Quoi quoi quoi ? ?
L’ALLIGATOR :
— Le film. Dans lequel j’ai joué. Un alligator emprisonné. La terreur. L’horreur. Le lendemain je n’étais plus… j’étais dans ce restaurant l’endormi de mauvais poil ce remords rythmé tu as mauvais caractère voile ci-gît ce qui s’ensuit chaque soir l’alligator jsioj n’est tout de même que 47839f… u q89ru4rs8 ^su ;u le sentiment de la répétition 90mc^xq0w¸JIR9U9F^ 0UWIahufra il continuait à rire `lzhut7a`zk………………… ………….. fja ;iof……………………………. jfir950ijaojavjnnvzé`n b ,.ub………………………… …………………….
L’auteur est maintenant assis dans son lit et prend des notes sur son portable. Il éteint sa cigarette. Il n’arrive pas vraiment à écrire quelque chose de sensé, n’a aucune idée, mais il veut juste prendre des notes. Il s’agit d’une autre de ces nuits où tout résonne en lui, comme s’il était un amplificateur et que rien n’avait changé.
Il a entrepris un lent travail de solidification. Il a nommé autour de lui chacun des objets qui l’entourent. Étiquetés, comme de véritables pièces de musée. Il s’est inventé une algèbre qu’il a réduite à un espace nul où le corps X ou Y plonge ses racines dans un sous-espace beaucoup plus vaste — quelque chose comme un espace sous-marin, sombre, dont les propriétés ne peuvent se réduire à la somme de toutes ses parties.
Il s’allume une autre cigarette en allant ouvrir la fenêtre et après avoir refermé le boîtier du portable. Il revient au lit. Un langage primitif, où la combinaison de tous ses éléments établit des coefficients libres, dénués de toute autre signification que celle de son déroulement implacable. Sur le dos, il regarde les volutes se défaire sous le vent qui s’engouffre par la fenêtre. Il n’est tout de même pas le créateur de ce monde.