Les lignes du destin

Je sais pas si tu te souviens d’elle mais elle avait travaillé sur une grosse tête mécanique. Tu tournais une manivelle et la bouche se mettait à bouger dans tous les sens. C’était assez rudimentaire, mais ça marchait. Une tête en bois. Mais une grosse tête, là. Quand tu rentrais dans son atelier, tu voyais les dessins préparatoires qu’elle avait faits pour cette tête-là. Elle les avait mis un peu partout sur les murs. En tout cas. Une bonne journée, la police est arrivée chez elle pour lui dire qu’on avait trouvé une valise en fer avec plusieurs dessins d’elle à l’intérieur et une vraie tête que quelqu’un avait coupée et avait mise dans la valise, qu’ils avaient ensuite jetée à l’eau, dans une ville, quelque part en Europe. Les meurtriers avaient repeint la valise mais la police avait fait enlever la peinture. C’est comme ça qu’ils avaient retrouvé son nom et son adresse. Elle leur a juré qu’elle avait abso­lument rien à voir avec cette histoire-là. Que c’était une pure coïncidence. En tout cas. Avant de partir, ils ont demandé s’ils pouvaient jeter un coup d’œil dans la maison. Elle leur a fait faire le tour, puis quand ils sont entrés dans son atelier et qu’ils ont vu tous les dessins de têtes sur les murs et la grosse tête en bois au milieu du plancher, ils ont eu comme des doutes. Ils ont dû croire qu’elle faisait partie d’une sorte de secte ou d’un culte qui coupait des têtes dans le monde. C’est quand même curieux qu’elle ait commencé à faire cette tête-là. Peut-être au moment même où on coupait la tête trouvée dans la valise. Une grosse tête, là. Je te jure, c’était vraiment impressionnant de voir ça.