Le début de la sagesse

Il avait hérité de quatre peintures, les dernières. Il n’y en avait pas d’autres. Il n’y en aurait plus d’autres. La vieille femme qui les avait faites longtemps passé avait décidé de toutes les brûler. Un coup de tête. Le voisin, en regardant par la fenêtre un matin, avait vu un incendie dans l’entrée de cour de la maison. En s’approchant, il l’avait entendue marmonner quelque chose. Elle jetait ses peintures au feu. Elle était en colère. Sa robe était beaucoup trop près des flammes. Il s’était approché pour savoir ce qui se passait. Elle lui avait répondu qu’elle brûlait ses folies de jeunesse. Elle brisait les chassis et elle entassait ses peintures dans un baril de pétrole vide. Il lui avait demandé s’il pouvait en prendre quelques-unes. Elle lui avait demandé pourquoi il s’inté­ressait à des choses aussi inutiles. Il lui avait dit qu’il aimait beaucoup son travail. Elle lui avait dit qu’il pouvait prendre tout ce qu’il voulait. Comme il voulait pas profiter de la situation, il avait décidé d’en prendre quatre seulement. Quatre qui, d’après lui, étaient particulièrement réussies. Elle l’avait regardé s’éloi­gner, retraverser le gazon et dispa­raître derrière les arbres. Entre les flammes. Lui, il avait l’impression qu’il trans­portait un vrai trésor. Je sais pas si elle savait qu’un jour je serais l’homme le plus heureux du monde pour avoir hérité d’une des quatre « folies de jeunesse » qu’elle était en train de faire flamber avec tant de rage. Sur cette œuvre, toute en jaune, je sais pas si vous remarquez, mais il y a un petit chien noir, à gauche, qui penche la tête sur un tapis en­touré de fleurs.