Le triomphe de la vertu

L’autre était décédé depuis longtemps déjà, mais il lui parlait toujours dans le jardin. C’est pour ça qu’il gardait le télé­phone portable à portée de la main. Ils avaient acheté la maison ensemble. Il y avait des fleurs partout. Jusqu’au bord de la piscine. Ça lui rappelait tellement de souvenirs. Il avait gardé tous ses habits parce qu’il arrivait pas à les donner. Il s’était rendu en Europe avec les cendres pour en disperser une partie là et revenir avec l’autre moitié. Mais une fois sur place, il les avait trouvés tellement mesquins qu’il était reve­nu avec l’urne, en se disant qu’ils étaient indignes d’un pareil honneur et qu’il ne se soumettrait jamais à pareille pro­fa­nation. C’était l’été. Il nous avait conviés pour nous faire le récit de son voyage avec toute la colère et toute cette peine qui le mettaient hors de lui. Chaque détail soulignait la laideur, chaque personnage était digne de mépris, chaque ambiance devenait irrespirable. Je me souviens d’avoir regardé dehors et d’avoir vu la lumière si douce dans les fenê­tres de sa maison en bois. Une maison construite par un capitaine de bateau et qui voguait sur les eaux tumultueuses d’une ville perdue en mer. Les vagues montaient jusque dans le salon. Je n’ai jamais aimé le goût de l’eau salée. Même la sœur, celle qui était venue assister au décès de son frère dans ce pays ignare et inculte, celle avec qui nous avions mangé et qui parlait de lui avec une certaine ten­dresse, n’avait pas été épargnée. Dehors, le parfum des roses mélangé à l’obscurité de la nuit. La fébrilité de son impa­tience étouffée dans l’opacité des murs.