La montagne sacrée

C’était l’été et il était venu comme coopérant. Dans ce temps-là, la France envoyait beaucoup de jeunes professeurs qui voulaient éviter leur service militaire. Ils ont presque tous fini par se trouver des femmes parmi leurs élèves, mais c’est pas de ça que je veux parler. Lui, il était assez spécial parce que c’est avec lui que j’ai commencé à fumer. La première fois, je me souviens, c’était de l’opium. En tout cas, c’est ce qu’il nous a dit. C’est un de ses amis qui lui avait envoyé ça du Vietnam. Lui avec, il était coopérant. Ils s’étaient tous les deux connus aux études. Apparemment que l’autre lui avait envoyé ça dans un paquet ordinaire en écrivant, pour les douanes, que c’était du thé. Quand il a ouvert ça, il a trouvé trois sacs de plastique remplis d’une espèce de poudre grisâtre avec une lettre pour lui expliquer ce que c’était. Le même soir, il nous avait invités chez lui pour manger. C’était un expert à faire des crêpes. Sa spécia­lité, c’est qu’il mettait de la vodka dans la pâte à crêpes, puis quand il la versait dans la poêle, il riait fort en disant que c’était du poison blanc. Une fois qu’on a eu fini de manger, il nous a parlé du cadeau qu’il avait reçu dans le courrier, puis il nous a demandé si on voulait essayer ça. Moi, j’avais jamais rien fumé de ma vie. Faut dire que ça commençait juste par ici, parce que là on parle du milieu des années soixante. Il a roulé un joint, mais j’ai rien senti. Peut-être que j’étais trop énervé pour voir la différence. Il a dit, On va en rouler un autre, et là j’ai décollé, je te dis pas. Ça m’a pris trois jours pour m’en remettre complètement.