AVANT-PROPOS

La traduction des Philosophische Untersuchungen que l’on va lire est le fruit d’un travail collectif, effectué dans le cadre des activités du Centre de recherches d’histoire des idées de l’université de Nice Sophia-Antipolis. Y ont participé : Françoise Dastur, Maurice Élie, Jean-Luc Gautero, Dominique Janicaud, et moi-même. Et c’est à la mémoire de Dominique Janicaud qui n’en aura pas connu la version définitive que nous souhaitons la dédier.

Il s’agit d’une traduction nouvelle qui a bénéficié — notamment pour les remarques marginales1, pour certains problèmes de ponctuation et pour de très rares variantes — de la Kritisch-genetische Edition (établie par Joachim Schulte, en collaboration avec Heikki Nyman, Eike von Savigny et Georg Henrik von Wright, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2001). Nous n’avons cependant pas totalement ignoré la traduction (certes assez souvent fautive et parfois lacunaire) que l’on doit à Pierre Klossowski (Investigations philosophiques, Paris, Gallimard, 1961) ; nous lui avons, en de rares occasions, emprunté quelques-unes de ses “trouvailles”.

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À de rares exceptions près (relatives au lexique logique), le langage des Recherches philosophiques est un langage courant, et non un langage philosophique à caractère technique. Il est même, pourrait-on dire, délibérément banal. Et s’il en est ainsi, c’est parce qu’aux yeux de leur auteur, les questions philosophiques sont tout le contraire de questions “sublimes” et abstraites dont le traitement requerrait la mise en place d’un appareil technique complexe. « L’aura de la philosophie s’est perdue », affirmait en effet déjà Wittgenstein dans l’un de ses cours de 1930, en regrettant que nous ayons aujourd’hui « une méthode pour faire de la philosophie » (et en disant cela, il pensait sans aucun doute à la méthode de l’analyse logique qu’il avait mise en place dans le Tractatus et qu’il déconstruira dans les Recherches)2.

Or si le philosophe doit, selon lui, s’efforcer de parler le langage de la quotidienneté, c’est parce que les véritables questions philosophiques — les questions “grammaticales” ou “conceptuelles” — sont enracinées en lui et qu’elles ne peuvent être résolues que par une analytique de l’usage quotidien du langage ordinaire. Aussi nous est-il apparu nécessaire de respecter, dans notre traduction, le langage très simple et sans recherche aucune qui est celui des Philosophische Untersuchungen.

En outre, il ne nous a pas semblé souhaitable de fixer de façon stricte un lexique de traduction, étant donné que les Recherches travaillent dans — et sur — le langage ordinaire, et que comme l’on sait, il n’existe pas, d’une langue à une autre, de correspondance entre champs sémantiques. (Le texte même en donne du reste un exemple, au § 657 : le non-recouvrement de la grammaire de “meinen” et de “vouloir dire”.)

Mais si nous n’avons pas fixé une fois pour toutes un lexique, il n’en était pas moins essentiel de répondre aux exigences de rigueur et de cohérence interne qui sont à l’évidence les conditions de lisibilité d’un texte comme celui des Recherches. Il faut en effet souligner que ce texte est difficile à suivre, parce que l’argumentation y est le plus souvent extrêmement ramassée, comme on peut s’en rendre compte en confrontant telle ou telle de ses analyses aux textes sources que l’on trouve dans les manuscrits et les dactylographies et qui sont généralement bien plus explicites. Mais il est aussi un texte difficile à lire de façon suivie, car il consiste en des micro-analyses qui se recroisent très souvent et qui sont imbriquées les unes dans les autres, l’une focalisant sur tel aspect d’une question, et une autre sur tel autre aspect de la même question.

En réalité, les Recherches sont l’illustration vivante de la caractérisation du travail philosophique que Wittgenstein donnait à ses élèves, dans un cours de 1933. « Il y a du vrai, remarquait-il, dans cette idée de Schopenhauer qu’un livre de philosophie avec un commencement et une fin est une sorte de contradiction » ; ce qu’il justifiait par l’idée que la grammaire du langage est comme la géographie d’un pays pour lequel on disposerait seulement de fragments de cartes isolés, et que le philosophe n’a donc qu’un moyen de « repérer les connexions » et d’accéder à une vue synoptique : parcourir en tous sens ce pays en revenant sans cesse sur ses pas — en un mot : la répétition3.

S’agissant du style d’écriture des Recherches, il faut aussi souligner que bien des remarques y sont rédigées (du moins partiellement) sous la forme d’une sorte de dialogue fictif, le plus souvent seulement esquissé, et que l’on a par endroits du mal à identifier le (ou les) interlocuteurs(s) avec qui Wittgenstein engage la discussion. Le plus présent est à l’évidence le Tractatus lui-même, dont la mise à plat est l’un des objectifs déclarés des séquences d’ouverture, et auquel les séquences finales de la première partie sur la négation et les sens du verbe “être” font implicitement référence (ainsi, semble-t-il, que certains passages sur la volonté) ; mais on rencontre aussi parmi eux Russell, Frege, James, Köhler, les protagonistes du débat sur les fondements des mathématiques, la tradition cartésienne, le béhaviorisme, Augustin — dont la conception de l’apprentissage du langage et du langage même sont invalidées, mais dont le « Manifestissima et usitatissima sunt, et eadem rursus nimis latent, et nova est inventio eorum4 » est accrédité —, et Platon lui-même.

À vrai dire, Wittgenstein ne s’attache pas aux doctrines de ses interlocuteurs, mais à leurs arguments et aux présupposés qu’ils véhiculent ; ce qui veut dire que, si les Recherches sont un dialogue à plusieurs voix, elles le sont au sens de la disputatio. À ce niveau, le jeu des grands guillemets et des tirets est essentiel, puisqu’il permet de repérer les différents arguments et contre-arguments développés par le texte. Mais tout le problème est que ces guillemets ont d’autres fonctions encore (par exemple, indiquer une expression usuelle ou ce que le sens commun dit de tel et tel sujet) ; et il en va de même des tirets (parfois doubles) qui signalent le passage à un autre niveau d’analyse, rappellent un acquis, introduisent telle ou telle remarque incidente visant à river le clou ou à mettre en évidence une analogie éclairante, etc. Il faut donc aussi garder présent à l’esprit le fait que l’argumentation des Recherches est très subtile et qu’elle joue le plus souvent sur différents registres.

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En outre, il faut se souvenir qu’à l’exception du Tractatus logico-philosophicus, des Some Remarks on Logical Form (qu’il aurait, selon G. E. M. Anscombe, désavouées), et d’un Wörterbuch für Volksschulen, Wittgenstein n’a rien publié de son vivant, et que les Philosophische Untersuchungen elles-mêmes ne sont pas, au sens propre, un texte achevé, mais bien un « work in progress ».

Pour comprendre en quel sens l’œuvre maîtresse de la seconde manière wittgensteinienne est restée jusqu’au bout un livre à venir, quelques considérations philologiques sur l’origine et la composition du texte s’imposent.

Dès son retour à la philosophie en 1929, Wittgenstein écrit beaucoup, dicte certains de ses textes, et forme le projet de publier un livre, pour lequel il écrit même, en 1930, une préface. Dans un premier temps, son objectif est de corriger les erreurs du Tractatus — ainsi invalide-t-il la thèse de l’indépendance des propositions élémentaires et remet-il en cause la conception de l’infini qu’induisait sa conception de la généralité. Mais très vite il radicalise ses critiques, infléchit ses analyses, et de proche en proche redéfinit certains de ses présupposés.

En 1933, il dicte une dactylographie de 778 pages — le “Big Typescript” (TS 213, dans le catalogue établi par Georg Henrik von Wright) qu’il corrigera par la suite à plusieurs reprises. Parallèlement, pendant l’année universitaire 1933-1934, il dicte en anglais à quelques-uns de ses élèves « The Blue Book » et, pendant l’année 1934-1935, « The Brown Book ». (Le cahier bleu et le cahier brun seront publiés à titre posthume par Rush Rhees avec la mention Preliminary Studies for the Philosophical Investigations. Comme l’ont remarqué bien des exégètes, cette mention prête à malentendu. En effet, la notion de “jeu de langage” n’a pas encore, dans « Le cahier bleu », le sens qu’elle aura dans les Recherches ; en outre le « Big Typescript » mérite aussi bien ce titre, puisque bon nombre de ses analyses constituent (comme celles des dictées) les matériaux de base de la première partie des Recherches. Néanmoins — et il faut le souligner — les Recherches ne sont pas exactement sur les mêmes positions que ces trois textes, comme en témoigne notamment le fait que Wittgenstein dit à Moore que, dans « Le cahier brun », sa méthode était inappropriée, mais que celle des Recherches était la bonne5.)

En 1936-1937, Wittgenstein séjourne longuement dans sa maison de bois de Skoldjen, en Norvège. Dans un premier temps, il entreprend une révision en allemand de la dactylographie du « Brown Book ». Mais il l’interrompt par cette remarque : « Tout cet essai de réélaboration jusqu’à la page 118 ne vaut rien [ist nichts wert]. » C’est à ce moment-là que commence la longue histoire de la composition de la première partie des Recherches.

En novembre 1936, Wittgenstein entreprend en effet la rédaction d’un nouveau manuscrit qu’il intitule « Philosophische Untersuchungen » (i.e. l’Urfassung dans la Kritisch-genetische Edition qui correspond au MS 142, dans le catalogue de von Wright) et qu’il offrira la même année, comme cadeau de Noël, à sa sœur Margarete. Il dictera alors, pendant son séjour à Vienne, la première partie de son manuscrit, et il fera de même pour la seconde, en mai 1937. Ces dactylographies (TS 220, TS 221 — et 225 pour la préface rédigée en 1938) constituent la version dite préliminaire (ou protoversion) des Recherches — la Frühfassung de la Kritisch-genetische Edition.

Entre 1937 et 1943, la philosophie des mathématiques est au centre des intérêts de Wittgenstein, et il n’y a, remarque von Wright, qu’« une petite partie des Recherches » qui provient de ces années-là6 — à ceci près cependant qu’en 1942 ou 1943, il dicte une révision du TS 220, la Bearbeitete Frühfassung (TS 239), également publiée dans la Kritisch-genetische Edition.

C’est à partir de 1944, comme le souligne aussi von Wright (en remarquant que Wittgenstein n’écrivit plus rien après cette date sur la philosophie des mathématiques), que « son centre d’intérêt se déplaça sur la philosophie de la psychologie qui allait lui inspirer une nouvelle version des Recherches7 ».

Cette nouvelle version — dite intermédiaire (Zwischenfassung)8 — semble avoir déjà existé en janvier 1945, au moment où Wittgenstein rédigea la préface signée « Cambridge, janvier 1945 » (préface qui était au départ destinée à cette version, et qui est celle de l’ouvrage tel qu’il a été publié). Quant à la version finale de la première partie (Spätfassung, TS 227), von Wright suggère qu’elle a été établie pendant l’année universitaire 1945-1946, mais en soulignant que « Wittgenstein doit avoir continué à la travailler par la suite, jusqu’en 1949 ou 19509 ».

La seconde partie des Recherches (MS 144) pour laquelle il existait une dactylographie aujourd’hui égarée, provient, quant à elle, de coupures faites dans un ensemble de manuscrits écrits entre 1945 et 1949 (MS 130 à 138).

 

La confrontation des Recherches telles qu’elles nous sont parvenues aux textes sources (je veux dire, à leurs versions antérieures et/ou aux manuscrits d’où elles ont été tirées, mais aussi au « Cahier bleu », au « Cahier brun » et au « Big Typescript ») permet non seulement d’apporter des précisions qui se révèlent parfois précieuses sur telle ou telle de leurs remarques, mais encore de prendre conscience de la façon singulière dont Wittgenstein travaillait. Elle montre en effet que, d’une version à l’autre, il ne s’agit pas seulement d’affiner l’analyse et de préciser les arguments, mais aussi de réarranger les matériaux en vue d’établir une sorte de circulation souterraine entre tel et tel train de questions et de réorganiser la structure d’ensemble. Ainsi, par exemple, G. P. Baker et P. M. S. Hacker ont-ils établi que le début du § 27 des Recherches se trouvait déjà dans le « Big Typescript », mais qu’il y était immédiatement suivi de ce qui deviendra leur § 25710.

Il m’est donc apparu opportun d’adjoindre à notre traduction un apparat critique que je dirai minimaliste. Sa seule ambition est en effet de permettre au lecteur de circuler plus aisément dans le texte. À cette fin, j’ai donné certaines variantes et fait référence à certains textes sources qui me paraissaient significatifs, j’ai explicité quelques-uns des passages lapidaires, lorsque d’autres textes le permettaient, et j’ai indiqué les références (assez souvent implicites) à tels ou tels auteurs, lorsqu’elles me semblaient présenter un intérêt, ainsi que certains jeux de renvois internes entre différents paragraphes (parfois éloignés les uns des autres), qui me semblaient éclairants. Pour quelque chose de plus substantiel, je renvoie aux travaux désormais classiques de G. P. Baker et P. M. S. Hacker, An Analytical Commentary of Wittgenstein’s Philosophical Investigations (dont les deux premiers tomes couvrent les § 1-242 — et le troisième, écrit par le seul P. M. S. Hacker, les § 234-427, Oxford, Blackwell, resp. 1980, 1985, 1990), et à ceux Stephen Hilmy, The Later Wittgenstein, Oxford, Blackwell, 1987.

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J’indiquerai succinctement les principes qui nous ont guidés dans la traduction du lexique de base des Recherches, ainsi que quelques-uns de nos choix de traduction. Le lecteur trouvera également en fin de volume un index où je donne (en allemand) la liste des termes principaux du lexique wittgensteinien, en indiquant la (les) façon(s) dont nous les avons généralement traduits et leurs occurrences les plus significatives dans le texte.

 

(1) Analyse du langage

 

— Satz : Rappelons que si, traditionnellement, la notion de Satz désignait une entité linguistique, depuis Frege, elle renvoie, dans certains courants de la philosophie anglo-américaine (y compris, selon certains interprètes, chez le Wittgenstein du Tractatus logico-philosophicus) à une entité non linguistique : le Gedanke ou “sens propositionnel” que Frege présente comme une entité abstraite (objective, non spatio-temporelle, appartenant au « troisième règne »). Or l’un des objectifs des Recherches est d’établir qu’une telle entité non linguistique est une chimère, et plus précisément qu’il n’existe pas de « pure entité (immatérielle) médiatrice » entre le « “signe propositionnel” et le “fait” » (cf. la protoversion du § 94 dans la révision que Wittgenstein a faite de la traduction anglaise que l’on doit à Rush Rhees). Mais les Recherches n’en distinguent pas moins deux niveaux dans l’analyse du Satz puisqu’elles écrivent : « ce qu’est une proposition est déterminé, en un sens, par les règles de construction des phrases (de la langue française, par exemple), et, en un autre sens, par l’emploi du signe dans le jeu de langage » (§ 136). Aussi avons-nous traduit Satz soit par “phrase”, soit par “proposition”, en fonction du contexte.

— Sprache : La question de Wittgenstein n’étant à l’évidence pas celle de la langue mais du langage (et de son usage), nous avons traduit, sauf en de très rares exceptions (par exemple, lorsqu’il s’agit de la langue maternelle) Sprache par “langage”.

— Pour les termes plus techniques, nous avons suivi les traductions usuelles et cru bon de fixer un lexique. Ainsi, par exemple, Aussage a été traduit par “énoncé” ; Behauptung le plus souvent par “assertion”. Quant à Annahme qui apparaît à la fois dans un contexte technique (la discussion des thèses frégéennes) et dans des contextes non techniques, nous l’avons partout traduit par “supposition”. (Signalons cependant que Wittgenstein, dans les corrections qu’il avait apportées à la traduction faite par Rush Rhees de la protoversion des Recherches, avait rétabli au § 22 : Annahme.)

— Nous ne sommes pas parvenus à marquer systématiquement la différence entre Ausdruck et Äußerung et avons le plus souvent traduit le second terme par “expression”.

— Nennen a été traduit par “nommer”, et benennen par “dénommer” ou “donner un nom”.

 

(2) Registre de l’usage et de l’apprentissage

 

— Abrichtung : a été traduit par “dressage” (et non par “entraînement”, étant entendu d’une part que, dans d’autres textes, Wittgenstein applique le concept d’Abrichtung à l’animal (explique, par exemple, que l’on peut dresser un chien, mais non un chat) et que d’autre part le § 146 distingue les jeux de langage primitifs (où il y va de l’Abrichtung) des autres, en soulignant qu’il n’y a pas à proprement parler dans les premiers “compréhension”, mais seulement “assimilation” du système.)

— Anwendung : a systématiquement été traduit par “application”.

— Verwendung et Gebrauch : Nous n’avons pas cru possible de marquer systématiquement la différence entre ces deux notions que nous avons traduites soit par “usage”, soit par “emploi”. (Notons que Wittgenstein, dans sa révision de la traduction anglaise de la protoversion, traduit, au § 53, Gebrauch par practise.)

— Nutzen et ses dérivés ont été traduits par “utilité”, “utile”...

 

(3) Analyse de l’ostension

 

— Nous avons traduit hinweisend par “ostensif”, et d’une façon générale, zeigen par “montrer” (ainsi avons-nous parlé, pour « ein Zeigen » du § 370 et le « Dieses Zeigen » du § 454, de “monstration”). Quant à Bezeichnung, nous l’avons traduit soit par “désignation”, soit par “indication”.

 

(4) Analyse de l’expérience

 

— Erfahrung (définie en II, xi comme l’« observation sous ses multiples formes ») et Erlebnis : Nous n’avons pas systématiquement marqué la différence entre ces deux concepts de façon à ne pas alourdir la traduction en parlant systématiquement d’expérience vécue lorsqu’il s’agit d’Erlebnis, étant donné que d’une façon générale le contexte ne laisse guère de doute. Nous avons cependant, à l’occasion, recouru à la tournure “avoir une expérience” (versus “faire une expérience”).

— Erfahrungsatz a été traduit par “proposition d’expérience” : Erfahrungsmäßig soit par diverses périphrases (comme “de l’ordre de l’expérience”), soit par “empirique (ment)”.

— Erscheinung et Phänomen ont été traduits par “phénomène”. Et pour éviter de recourir à des formulations qui auraient été artificielles dans les rares passages qui jouent sur la différence de ces deux concepts, nous avons indiqué en note le terme allemand utilisé par Wittgenstein.

 

(5) Analyse de la (re)présentation

 

— Vorstellung a été traduit par “représentation” ; vorstellen soit par “représenter”, soit (plus rarement) par “imaginer”. Vorteilungskraß a été traduit par “puissance d’imagination”, et Vorstellungsbild par “image de la représentation”.

— Darstellung a aussi été le plus souvent traduit par “représentation”. Lorsqu’il s’agit de représentation par des signes ou des symboles, nous l’avons systématiquement traduit ainsi, et lorsqu’il s’agit de représentation figurative ou picturale (et plus particulièrement en II, xi), nous avons cru bon de jouer sur ce que l’on pourrait nommer (en reprenant une expression de Wittgenstein lui-même) l’“élasticité” de ce concept dans la langue française (qui parle aussi bien de représentation mentale que de représentation d’un homme dans un tableau, ou de représentation graphique, etc.) pour conserver, dans la plupart des occurrences, “représentation” — étant entendu que, d’une façon générale, le contexte ne laisse aucun doute sur le sens de la notion dont il est question. (Ce n’est qu’au § 397 qui distingue entre Vorstellung et Darstellung que nous avons parlé de “présentation”.) Darstellungweise a été traduit par “mode de représentation”.

— Bild a été traduit par image ou tableau (au sens pictural du terme, qu’on ne confondra pas avec Tabelle que nous avons également traduit par “tableau” — voir notre note au § 2, infra, p. 28) ; au § 386, abbilden a été traduit en raison du contexte par “projection”, et dans ses quelques occurrences dans la seconde partie le plus souvent par “reproduction”.

 

(6) “Meinung” et “meinen”

 

Il nous est apparu impossible de fixer un lexique (fût-il souple) pour les termes de Meinung et de meinen, étant donné d’une part que l’un des objectifs du texte est d’explorer les différents sens du meinen et d’en établir l’irréductibilité (ainsi par exemple, nous est-il expliqué que « meinen M. Un tel » veut dire penser à lui (cf. § 686-687), mais qu’en revanche le maître qui demande à l’élève de continuer la suite “+ 2” entend (meinen) certes qu’après “1 000” il écrive “1 002”, mais qu’il ne pense pas forcément au passage de 1 000 à 1 002, et qu’en tout cas, il n’a certainement pas pu penser à tous les passages de cette suite infinie, cf. § 187), et que d’autre part Wittgenstein lui-même souligne (comme je l’indiquais précédemment) que la grammaire du “meinen” et celle du “vouloir dire” ne se recouvrent pas.

Nous avons donc traduit le lexique de la Meinung de diverses manières (vouloir dire, penser, entendre, comprendre, avoir en vue, viser, avoir une opinion, etc.), et cela, en fonction du contexte. Et nous avons cru opportun d’accompagner toutes ces différentes traductions d’un astérisque : vouloir dire*, entendre*, etc. Pour peu élégante qu’elle soit, cette solution nous est apparue présenter un double avantage : distinguer les occurrences de la notion de Meinung d’autres expressions qu’il convenait également de traduire par “vouloir dire”, et indiquer au lecteur les méandres fort complexes et subtils de l’analytique de la Meinung.

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Il faut signaler, pour finir, que les rares notes que comporte l’original allemand sont appelées, dans notre traduction, par des lettres (minuscules), tandis que les notes que nous avons introduites sont appelées par des numéros et suivies de la mention [N.d.T.]. Sont également appelés par des numéros les termes allemands de l’original que nous avons cru bon de signaler en note. (Quant aux citations parfois littérales du Tractatus logico-philosophicus données dans le corps du texte, nous les avons le plus souvent retraduites librement.)

 

Je tiens à remercier Ursula Sarrazin qui a eu la patience de relire l’ensemble de notre traduction et dont les conseils nous ont été précieux, et Bernard Lortholary qui a bien voulu nous éclairer sur nombre de points délicats.

 

ÉLISABETH RIGAL


1.  Dans la Kritisch-genetische Edition, ces “Randbemerkungen” apparaissent dans des encadrés. Nous avons fait de même ici. Rappelons que, dans leur présentation de la première édition de ce texte, ses « editors » (G.E.M. Anscombe et R. Rhees) précisaient que ces remarques marginales se trouvaient sur des feuilles volantes provenant d’autres écrits et avaient été insérées par Wittgenstein, sans autre indication supplémentaire, à certains endroits de la dactylographie des Recherches.

Par ailleurs G.E.M. Anscombe et R. Rhees indiquaient ceci : « Les termes placés entre doubles parenthèses sont des références de Wittgenstein à des remarques se trouvant dans ce livre ou dans d’autres dont nous espérons qu’ils paraîtront plus tard. » Nous avons conservé, dans la présente édition, ces doubles parenthèses.

2 Les cours de Cambridge 1930-1932, Mauvezin, T.E.R., 1988, éd. D. Lee, trad. fr. É. Rigal, p. 24.

3 Les cours de Cambridge 1932-1935, Mauvezin, T.E.R., 1992, éd. A. Ambrose, trad. fr. É. Rigal, p. 60.

4 Cf. infra, I, § 436.

5 Sur ce point, cf. S. Hilmy, The Later Wittgenstein, Oxford, Blackwell, 1987, p. 68 sq.

6 G. H. von Wright, « L’origine et la composition des Recherches », in Wittgenstein, Mauvezin, T.E.R., 1986, trad. fr. É. Rigal, p. 133.

7 Ibid., p. 134.

8 On ne dispose pas de sa dactylographie sous sa forme d’origine ; mais elle a été reconstituée dans la Kritisch-genetische Edition.

9 G. H. von Wright, op. cit., p. 138.

10 Cf. G. P. Baker et P. M. S. Hacker, An Analytical Commentary of Wittgenstein’s Philosophical Investigations, vol. 1, Oxford, Blackwell, 1980, p. 73.