Imagine que quelqu’un dise : Tout mot familier, par exemple dans un livre, se présente à notre esprit enveloppé d’une atmosphère, d’une sorte de “halo” d’emplois à peine suggérés. — Tout comme si, dans un tableau, chaque personnage était entouré de scènes délicatement et comme nébuleusement dessinées, qui se trouveraient pour ainsi dire dans une autre dimension, et comme si nous voyions ici les personnages dans différents contextes. — Si l’on prend cette supposition au sérieux, il apparaît qu’elle n’est pas à même d’expliquer l’intention.
Car si les choses se passent d’une façon telle que les emplois possibles d’un mot nous viennent à l’esprit en demi-teinte pendant que nous parlons ou écoutons —, s’il en est effectivement ainsi, ce n’est que pour nous. Or nous nous faisons comprendre des autres, sans savoir s’ils vivent, eux aussi, ces expériences.
Que répliquer à quelqu’un qui nous informerait qu’il tient, lui, la compréhension pour un processus interne ? —— Que lui répliquer s’il disait que, pour lui, savoir jouer aux échecs est un processus interne ? — Que rien de ce qui se passe en lui ne nous intéresse lorsque nous voulons savoir s’il sait jouer aux échecs. — Et s’il rétorque que ce qui nous intéresse est précisément cela — à savoir s’il sait jouer aux échecs —, il nous faudrait attirer son attention d’un côté, sur les critères nous prouvant qu’il en a la capacité, et de l’autre, sur les critères des « états internes ».
Même si quelqu’un n’avait une capacité déterminée qu’au moment et dans la mesure où il a un sentiment déterminé, son sentiment ne serait pas pour autant cette capacité.
La signification n’est pas l’expérience que l’on a quand on entend ou qu’on prononce un mot, et le sens d’une phrase n’est pas le complexe de ces expériences. — (Comment le sens de la phrase : « Je ne l’ai toujours pas vu » se constitue-t-il à partir de la signification de chacun de ses mots ?) La phrase est constituée de mots, et cela suffit.
Tout mot — aimerait-on dire — peut avoir des caractères différents selon les contextes, mais il a pourtant toujours un caractère — un visage. Il nous regarde en effet. — Mais un visage peint nous regarde aussi.
Es-tu sûr qu’il existe un sentiment du “si”, et qu’il n’en existe peut-être pas plusieurs ? As-tu essayé de prononcer ce mot dans des contextes très différents ? Par exemple, quand on met l’accent sur le si et quand on le met sur le mot suivant.
Suppose que nous trouvions un homme qui dirait, à propos du sentiment des mots, que le “si” et le “mais” éveillent en lui le même sentiment. — Avons-nous le droit de ne pas le croire ? Cela pourrait nous paraître étrange. « Il ne joue pas du tout notre jeu », pourrions-nous dire. Ou encore : « C’est un jeu d’un autre type. »
S’il faisait le même usage que nous des mots “si” et “mais”, ne croirions-nous pas qu’il les comprend comme nous les comprenons ?
On évalue faussement l’intérêt psychologique du sentiment du “si”, quand on considère comme allant de soi qu’il est le corrélat d’une signification ; il faut plutôt le voir dans un autre contexte, dans les circonstances particulières dans lesquelles il se présente.
Se pourrait-il que quelqu’un n’ait jamais le sentiment du “si” quand il ne prononce pas le mot “si” ? Il est en tout cas étrange que ce soit la seule cause qui puisse produire ce sentiment. Et, de façon plus générale, il en va de même pour l’“atmosphère” d’un mot. — Pourquoi considère-t-on comme allant de soi que tel mot, et lui seul, possède telle atmosphère ?
Le sentiment du “si” n’est pas un sentiment qui accompagne le mot “si”.
Il faudrait comparer le sentiment du “si” au “sentiment” particulier que nous donne une phrase musicale. (Un tel sentiment, on le décrit parfois en disant : « Ici, c’est comme si l’on tirait une conclusion », ou bien : « J’aimerais dire “donc...” » , ou encore : « Ici, je voudrais toujours faire ce geste — », après quoi on fait le geste en question.)
Mais ce sentiment peut-il être séparé de la phrase musicale ? Il n’est pourtant pas la phrase elle-même, puisque quelqu’un peut entendre la phrase sans éprouver le sentiment.
Est-il, à cet égard, analogue à l’“expression” avec laquelle la phrase est jouée ?
Nous disons que tel passage nous donne un sentiment tout à fait particulier. Nous nous le chantons à nous-mêmes, nous l’accompagnons d’un certain mouvement, et peut-être éprouvons-nous aussi une sensation particulière. Mais ces accompagnements — le mouvement, la sensation —, nous ne les reconnaîtrions pas du tout dans un autre contexte. Ils sont entièrement vides, sauf au moment où nous chantons ce passage.
« Je le chante avec une expression tout à fait déterminée. » On ne peut pas séparer cette expression du passage en question. C’est un autre concept. (Un autre jeu.)
L’expérience vécue, c’est ce passage joué ainsi. (Ainsi par exemple que je l’exécute ; une description ne pourrait qu’y faire allusion.)
L’atmosphère inséparable de la chose —, ce n’est donc pas une atmosphère.
Les choses qui sont étroitement associées, qui ont été associées, semblent convenir les unes aux autres. Mais de quelle manière ? Comment s’exprime le fait qu’elles semblent convenir les unes aux autres ? À peu près ainsi : Nous ne pourrions pas imaginer que l’homme qui portait ce nom, qui avait ce visage, cette écriture, n’ait pas produit ces œuvres, mais d’autres tout à fait différentes (celles d’un autre grand homme).
Nous ne pourrions l’imaginer ? Essayons-nous donc de le faire ? —
Il pourrait en être ainsi : J’entends dire que quelqu’un est en train de peindre un tableau intitulé « Beethoven écrivant la Neuvième Symphonie ». Je n’ai aucun mal à me représenter ce que montrerait ce genre de tableau. Mais supposez quelqu’un qui voudrait représenter l’air qu’aurait eu Goethe composant la Neuvième Symphonie ? En ce cas, je ne puis rien me représenter qui ne soit affligeant et ridicule.