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Quelqu’un qui observe son propre chagrin, au moyen de quels sens le fait-il ? Est-ce au moyen d’un sens particulier, d’un sens qui sent le chagrin ? Le sent-il donc différemment quand il l’observe ? Et quel chagrin observe-t-il alors ? Est-ce un chagrin qui n’est là que pendant qu’on l’observe ?

“Observer” ne produit pas ce que l’on observe. (Ceci est une constatation d’ordre conceptuel.)

Autrement dit : Je n’“observe” pas ce qui existe du seul fait que je l’observe. L’objet de l’observation est quelque chose d’autre.

 

Un contact encore douloureux hier ne l’est plus aujourd’hui.

Aujourd’hui je ne ressens plus la douleur que lorsque j’y pense. (C’est-à-dire dans certaines circonstances.)

Mon chagrin n’est plus le même : Un souvenir qui m’était encore insupportable il y a un an ne m’est plus insupportable aujourd’hui.

C’est là le résultat d’une observation.

 

Quand dit-on de quelqu’un qu’il observe ? En gros, quand il se place dans une situation favorable pour recevoir certaines impressions, en vue (par exemple) de décrire ce qu’elles lui apprennent.

 

Qui aurait été dressé à émettre un certain son à la vue de quelque chose de rouge, un autre à la vue de quelque chose de jaune, et ainsi de suite pour les autres couleurs ne décrirait pas pour autant les objets par leur couleur. Il pourrait néanmoins nous aider à en donner une description. Une description est la reproduction d’une certaine répartition dans un espace (celui du temps, par exemple).

 

Je laisse mon regard errer dans une pièce, il tombe soudain sur un objet d’un rouge vif, et je dis : « Rouge ! » — par là je n’ai donné aucune description.

 

L’expression « J’ai peur » est-elle la description d’un état d’âme ?

Je dis : « J’ai peur. » Quelqu’un me demande : « Qu’était-ce donc ? Un cri d’angoisse ? Ou veux-tu me faire savoir comment tu te sens ? Ou est-ce une considération portant sur ton état actuel ? » — Pourrais-je lui donner toujours une réponse claire ? Ne pourrais-je jamais lui en donner une ?

 

Ici, on peut se représenter bien des choses différentes, par exemple :

« Non, non ! J’ai peur ! »

« J’ai peur, il me faut malheureusement l’avouer. »

« J’ai encore un peu peur, mais plus autant qu’avant. »

« Au fond, j’ai encore peur, bien que je ne veuille pas me l’avouer. »

« Je me tourmente moi-même en pensant à toutes sortes de choses qui font peur. »

« J’ai peur — au moment où je devrais être sans peur. »

À chacune de ces phrases appartiennent un ton particulier et un contexte différent.

On pourrait imaginer des hommes qui penseraient d’une manière pour ainsi dire bien plus déterminée que nous, et qui emploieraient différents mots, là où nous n’en employons qu’un seul.

 

On se demande : « Que signifie au juste : “J’ai peur”, qu’est-ce que je vise par là ? » Et naturellement, il ne vient aucune réponse, ou bien une réponse insatisfaisante.

La question est : « Dans quelle sorte de contexte “J’ai peur” se situe-t-il ? »

 

Si pour répondre aux questions : « Qu’est-ce que je vise par là ? », « Qu’est-ce que je pense par là ? », je réitère l’expression de ma peur à la fois en prêtant attention à moi et en observant pour ainsi dire mon âme du coin de l’œil, aucune réponse ne me vient. Mais je peux néanmoins demander dans un cas concret : « Pourquoi ai-je dit cela, que voulais-je dire par là ? » — et je pourrais même répondre à cette question, mais non sur la base de l’observation des phénomènes qui accompagnent le discours. Et ma réponse serait un complément — une paraphrase — de ce que j’ai dit antérieurement.

 

Qu’est-ce que la peur ? Que veut dire : “avoir peur” ? Si je voulais en donner une explication ostensive —, je mimerais la peur.

 

Pourrais-je également donner à voir ainsi l’espoir ? Difficilement. Ou même la croyance ?

 

Décrire mon état d’âme (la peur par exemple) — je fais cela dans un contexte bien déterminé. (De même qu’une certaine action n’est une expérimentation que dans un contexte bien déterminé.)

Est-il donc si étonnant que j’emploie la même expression dans des jeux différents ? Et que parfois je l’emploie aussi, pour ainsi dire, entre les jeux ?

 

Est-ce que je parle toujours dans une intention bien définie ? — Et ce que je dis est-il pour autant dépourvu de sens ?

Si l’on dit dans une oraison funèbre : « Nous portons le deuil de notre... », cela est évidemment supposé être une expression du deuil, et non donner une information à l’assistance. Mais, dans une prière sur une tombe, ces mots seraient une sorte d’information.

 

Mais le problème est que le cri, qu’on ne peut nommer une description, qui est plus primitif que toute description, fait néanmoins office de description de la vie psychique.

 

Un cri n’est pas une description. Mais il y a des transitions. Et les mots « J’ai peur » peuvent être plus ou moins proches du cri, ou en être plus ou moins éloignés. Ils peuvent en être vraiment proches tout comme ils peuvent en être vraiment éloignés.

 

Nous ne disons pas forcément de quelqu’un qu’il se plaint parce qu’il dit qu’il a mal. Les mots « J’ai mal » peuvent donc être une plainte, et aussi quelque chose d’autre.

 

Et si l’expression « J’ai peur » n’est pas toujours analogue à une plainte, mais qu’elle l’est cependant quelquefois, pourquoi serait-elle toujours la description d’un état d’âme ?