La nuit est scellée. Elle m’exclut, m’isole.
Émilie est décédée, hier. Depuis, mes balises s’évaporent.
Je suis venu à l’amour à reculons῀: une mésange qui freine à l’atterrissage dans un arbre, un colibri en lévitation près d’une fleur... Mais voilà qu’aujourd’hui, après trente ans, l’arbre est déchu, la fleur tarie, et je ne sais plus où m’envoler.
Allongé sur notre lit, je sens la pulsation de mon cœur changer. Elle accélère. Décélère. Elle est instable, arythmique.
Tchik pow. Je me lève en sursaut. J’entends des bruits sourds, des éclats. Je fais le tour de la maison. Je croise le chat dans le couloir. Il a peut-être accroché les boutons du four à gaz. Je vérifie les cadrans et horloges dans la cuisine῀: sur le micro-ondes, 00῀h῀04῀; sur le mur, 00῀h῀03῀; sur le four à gaz, 375º F. Little bastard.
Je me verse un verre de gin, la main tremblante. Je vérifie encore la maison avec hésitation. Je m’assure que la porte est bien verrouillée.
Lorsque je me retourne, l’air s’est refroidit. Dans le couloir, je suis agressé par des formes meurtries, tuméfiées, gibbeuses. Des corps éventrés, des taches de sang. Des bras lacérés. L’oxygène me fuit, ma tête flotte, je suis perdu. Je tâtonne les murs, je me traîne jusqu’à ma chambre avant de m’écraser dans le lit, du côté d’Émilie.
Rien ne peut contenir le vide démesuré qui m’habite. Il croît, devient un vacuum, un vortex. J’expire et ma chair exsangue est chatouillée de frissons qui circulent, ondoyants, tentaculaires, partant de mon sacrum avant de torréfier ma moelle épinière, pour enfin jaillir vers mes extrémités. Je m’abandonne progressivement à ces scarabées, dépouillé peu à peu de ma chair. Des larmes qu’un homme ne pleure pas sillonnent mes joues.
Des doigts sales effleurent le cadre de la porte. Les corps pénètrent dans la chambre. Certains s’assoient au pied du lit, d’autres regardent la lune par la fenêtre, impitoyables. L’un d’eux éteint la lampe de chevet en sifflant.
Je ne peux fermer les yeux. Partout, ces cadavres éplorés de sang...