Mes yeux cherchent désespérément l’arrêt où je dois descendre... Les autres passagers lisent, ils zieutent par la fenêtre, absents... Ils jasent avec leurs copines, consultent de petits appareils dans leurs paumes, aucunement concernés par ma détresse, indifférents à mes yeux qui paniquent en zigzags fiévreux.
On m’a truqué, hier. On m’a emmenée voir le médecin, on m’a posé beaucoup de questions, et puis on m’a annoncé que je souffre de démence.
Je trouve difficile d’accepter que j’oublie. Que, depuis plusieurs mois, Jean doit me rappeller des choses simples, des choses que j’ai toujours su. Où sont les clés. C’est quand, la fête de Lise. Comment s’ouvre cette armoire. À qui je parle. Jean est patient. Je ne veux pas penser à ce qui l’attend.
J’ai lu, dans le Transcript, que Margaret Thatcher souffrait de la même chose. Toutes ses connaissances, ses souvenirs, ses secrets d’État... where will they go῀?
Et mes secrets῀? Mes souvenirs῀?
Cette senteur me dit quelque chose... Le parfum de ma mère῀? La sueur imbibée d’érable de Jean῀? Les sandwichs au beurre d’arachide que je préparais pour Brian, et Véronique, et... Lynn῀? Liz...῀? Lise. Oui, oui, Lise, c’est ça.
There are days where I know. Je comprends ce qui m’arrive. C’est tellement frustrant.
Je profite de ces moments-là pour storer de l’information importante῀: dans mon pupitre, dans mon cerveau, dans mon cœur. Je suis un écureuil qui se prépare pour l’hiver. J’écris tout sur des post-it, des rappels anodins. Barre la porte. Éteins le feu. Embrasse Jean avant de te coucher. J’ai honte. Je ne veux pas qu’il me voie comme ça.
Mon corps et mon cortex blanchissent, redeviennent purs, candides, spectraux. Malléables. Ils se dissipent, ils disparaissent, ils se dissolvent. Ils dégagent, ils sont dégagés, dispensés. Ils s’éclatent dans un tourbillon, ils sont une série d’accords arpégés de Scriabine, ils ne mènent nulle part et emportent tout avec eux et c’est à la fois percutant et doux.
J’ai oublié à quoi servaient les pédales de la voiture.
Je n’oublierai pas le jour où on m’a enlevé mon permis.
Who’s house is this῀? I don’t belong here. Ces plats, ces meubles, ces souliers... these aren’t mine. Je veux partir, je ne suis pas à ma place... I really need to go. Maybe if I just flick this switch῀? But now everything’s and I feel lost.
J’écris encore tout ce que je connais. Aujourd’hui, mon nom, le nom du vaisseau qui me porte. J’ai peur de me rendre au port et que je ne puisse rembarquer. Je l’écris des centaines de fois, comme une petite fille calligraphie soigneusement son nom pour voir s’il se mariera bien au nom de son amant.
Marilyn. Marilyn Fisher. Marilyn Boudreau. Marilyn Emily Fisher. Marilyn Emily Boudreau. Marilyn Emily Marilyn Marilyn Fisher Marilyn Boudreau Marilyn Marilyn Marilyn Boudreau Marilyn Fisher Marilyn Boudreau Marilyn Emily Boudreau.
Autrefois, c’était immédiat, facile, frais. C’était ancré dans ma mémoire. C’était la glace ferme et massive des glaciers polaires... Maintenant, c’est la glace frêle de la fonte, la glace à travers laquelle les jeunes enfants chutent lors de parties de pond hockey, la glace poudreuse et molle de l’été arctique. C’est une série de cubes de glace abandonnés dans une tasse de thé à la menthe.
Qui est cette femme qui me parle sans arrêt῀? Qu’est-ce qu’elle fait chez moi῀? Elle ressemble à une actrice dont je ne me souviens pas du nom... une face populaire, mais aussi une face de figurante. Une face de that girl.
Elle me dit que j’ai oublié de prendre une pilule rouge et bleue. Je la trouve bien effrontée, assise à ma table à dîner, devant un sandwich au beurre d’arachide. Dans ma propre maison, me faire dire...
Lise a déménagé ici avec ses filles. It’ll give Jean a break. C’est mieux pour tout le monde.
J’ai oublié l’anniversaire de ma petite-fille. Elle est inconsolable. Ses yeux partagent ma confusion – sa mère a beau lui expliquer pourquoi j’ai oublié, son cœur refuse de croire que j’ai pu lui faire ça.
Sa mère a beau m’expliquer pourquoi j’ai oublié, mon cœur aussi refuse de croire que j’ai pu lui faire ça.
J’oublie.
J’oublie encore.
Je voudrais surtout oublier la démence qui gruge mon cerveau῀; j’espère qu’elle m’oubliera, elle aussi.
Lise ne me croit pas. But I’m sure of it. Cette maison, ce n’est pas chez moi... Il y a plein de gens. Je ne connais personne. Je ne reconnais rien. Je ne peux pas ouvrir les portes. Il y en a trop. Et ces murs roses, comme c’est affreux῀!
Et chaque fois que je me rends à la cuisine, une jeune femme vient me guider vers la salle de musique. Bien gentille. Elle a un sourire large. Plein. Elle s’esclaffe de bonheur.
We used to play this game, in primary school... We would cross over et quelqu’un criait et ensuite il y avait un ruban and laughter and singing. I forget where the school was... the teacher had a round face, and I learned to count there. 1, 2, 3. I had lots of friends. I learned French.
C’est Jean. Je me souviendrai toujours de notre amour. Je ne pourrais jamais l’oublier.
I’m in here. I’m fighting.
Je moisis. Mon cerveau est brumeux, confondu, écervelé. Mais mon âme se retranche, se prépare.
It’s a losing battle.
I want to go home. Is it time to go home yet῀?
Mommy looks radiant. She promised me that when Daddy comes back from the war, we’ll go to Parlee Beach, together.
Dehors, il neige῀! Tout est blanc. Maybe Luke will want to play outside with me. Faire un bonhomme de neige... wooden noses, little carrot arms... Une forteresse glaciale, un royaume temporaire.
I’m the king of the castle, and you’re the dirty rascal...
Daddy sent l’érable, il doit revenir du boulot.
J’ai trouvé un bout de papier῀: Marilyn Emily Boudreau...
Who’s that῀?
Je sens fondre mon corps. Ma tête se lapider. Se fractionner. Je ne vois plus, ne fuis plus, n’inspire plus.
J’attends. J’expire.
J’ai tout oublié. Je ne suis plus. Je n’ai plus rien. I feel light.
Je recommence à zéro. Today is the day I begin to remember.
Je bâtis. Je façonne. Je peins. Je suis un canevas. Je suis paisible.
Je suis néant῀: