Minne, éveillée en sursaut par un grincement de poulie, ouvre des yeux épouvantés sur la chambre paisible : « Où suis-je ? »

Arrivée depuis trois jours chez l’oncle Paul, Minne n’est pas encore habituée à sa maison des champs. Elle cherche, au sortir de son tumultueux sommeil, peuplé de rêves fumeux, l’ombre bleue et claire de sa chambre parisienne, l’odeur citronnée de son eau de toilette… Ici, à cause des volets pleins c’est la nuit noire, malgré les coqs qui crient, les portes qui battent, le tintement de vaisselle qui monte de la salle à manger où Célénie dispose les tasses du petit déjeuner, la nuit massive, percée seulement, à la fenêtre, d’un rai d’or vif, mince comme un crayon…

Ce petit bâton étincelant guide Minne, qui va pieds nus, à tâtons, ouvrir les persiennes et recule, aveuglée de lumière… Elle reste là, les mains sur les yeux, l’air, dans sa longue chemise, d’un ange repentant…

Quand le soleil a percé la coquille rose de sa main, elle retourne à son lit, s’assied, saisit son pied nu, sourit à la fenêtre où dansent des guêpes et ressemble à présent, la bouche entrouverte et les yeux naïfs, à un baby de magazine anglais. Mais les sourcils s’abaissent, une pensée habite soudain les larges prunelles qui se moirent comme un étang. Minne songe que tout le monde ne jouit pas de cette lumière bourdonnante, qu’il y a, dans une grande ville, un cachot sombre, où rêve, sur son grabat, un inconnu aux cheveux noirs en boucles…

Il faut pourtant s’habiller, descendre, humer le lait qui mousse, rire, s’intéresser à la santé de l’oncle Paul… « C’est la vie ! » soupire Minne en peignant ses cheveux, que le soleil pénètre et dévore comme s’ils étaient en verre filé.

Au pas léger de Minne, le plancher gémit. Si elle reste immobile, les fauteuils Empire s’étirent, craquent, éclatent, le bois du lit leur répond. La maison desséchée et sonore pétille, comme travaillée d’un sourd incendie. Debout depuis deux siècles dans le soleil et le vent, sa charpente chaude gémit sans cesse, et on l’appelle, dans le pays, la Maison Sèche.

Minne l’aime pour ses vastes dimensions, pour son salon à tout faire qu’un perron de cinq marches sépare seul du jardin, pour ses parquets de bois blanc tiède aux pieds nus, pour les dix hectares, parc et verger, qui l’entourent. En petite Parisienne accoutumée aux nuances discrètes, elle s’étonne qu’en sa chambre tant de nuances crues réjouissent les yeux. Le papier à rayures d’un rose foncé s’accorde au couvre-lit de perse treillagé de liserons bleus, de guirlandes vertes ; des rideaux de mousseline orangée pendent aux fenêtres, et le bignonier, lourd de fleurs, balance jusque dans la chambre d’ardents bouquets… Minne, pâle comme une nuit de lune, se réchauffe, un peu blessée, à ce feu de couleurs, et parfois, toute nue au soleil, un miroir à la main, cherche en vain, à travers son corps mince, l’ombre plus noire de son squelette élégant…