V

Dallas, Texas, 2008

Comme il en avait l’habitude lorsqu’il venait à Dallas, Walter Truman dînait dans un restaurant du centre-ville où l’on servait des steaks absolument délicieux. Si son âge avancé l’avait convaincu de faire attention à son alimentation, il oubliait tous ses principes devant un filet mignon servi avec une pomme de terre cuite au four débordant de beurre. Il réservait toujours la même table pour être servi par Peggy, une belle blonde du Sud aux jambes interminables. Si Walter se laissait quelquefois aller à rêver, à s’imaginer qu’il avait quarante ans de moins et qu’il tentait de séduire la jeune femme, jamais il ne s’autorisait la moindre avance, si ce n’était quelques phrases sans danger échangées pendant le repas.

— Alors, tout est à votre goût?

— Bien sûr, Peggy, comme d’habitude! Sinon, pourquoi reviendrais-je?

— Oh! Harry, j’espérais que c’était un peu à cause de moi.

— J’ai peur que vous ne vouliez plus me servir, si je vous dis que je rêve à vous toutes les nuits.

Elle éclata de rire, dévoilant deux rangées de dents parfaites. Elle rejeta la tête en arrière en un mouvement sexy qui indiqua à Walter qu’elle appréciait le compliment.

— Grand séducteur, va, Harry!

Walter sourit légèrement et inclina la tête. Il ne faisait plus de cas de son surnom Harry. Tout le monde l’appelait ainsi depuis longtemps, en référence à l’ancien président américain Harry Truman. Il en venait même à oublier qu’il s’appelait Walter.

Lorsqu’il eut vidé son assiette, comme à l’habitude, Peggy lui apporta un café noir. Il savait qu’elle le laisserait tranquille au moins trente minutes. Il sortit son agenda de poche et vérifia encore son horaire des prochains jours, même s’il le connaissait par cœur. Incapable de s’habituer aux technologies modernes, il utilisait toujours un petit carnet. Seul un téléphone cellulaire avait trouvé grâce à ses yeux, et encore, c’était un modèle à clavier, rien d’autre. Pas question pour lui d’avoir un de ces nouveaux téléphones intelligents. Il rangea son calepin dans son veston et croisa ses mains devant son visage, index pointés vers le haut. Il se demanda combien de temps encore il ferait ce travail. Il avançait en âge et, depuis longtemps, il n’avait plus personne à qui se rapporter. Le compte en banque qui avait été ouvert plus de quarante ans auparavant pour lui permettre de faire son boulot était toujours assez bien garni. Walter savait qu’il aurait pu le vider et se sauver avec l’argent, mais il n’avait jamais pu s’y résoudre. C’était le dernier élément de droiture présent dans sa vie. Surtout, cela aurait été assez ironique, considérant la mission qu’il devait remplir. Il prélevait son salaire et les dépenses pour son travail, mais pas un sou de plus.

Il se tâta un peu la poitrine. Depuis quelque temps, des douleurs venaient et disparaissaient, le laissant quelquefois en sueur. Il aurait dû se rendre chez le médecin, mais, dans sa famille, on n’allait pas chez le médecin; c’était comme ça.

Originaire du Sud, il avait connu la pauvreté durant son jeune âge et, pour en sortir, il s’était engagé dans les marines. À la fin de son engagement, après avoir servi durant trois ans sous les drapeaux, il s’était retrouvé aux services secrets en tant qu’expert dans la planification des mesures de sécurité des personnalités que ce service devait protéger. Il avait ensuite été recruté par le FBI. Son parcours semblait sans tache, mais Walter avait un problème : il jouait. Il démontrait une prédilection pour le poker. La pauvreté de ses origines l’avait marqué à un point tel que l’appât du gain, l’argent facilement obtenu, l’obsédait. Il avait toujours réussi à cacher cette tare jusqu’au jour où la chance avait tourné et où les dettes étaient devenues plus imposantes que les gains.

C’était à ce moment qu’il avait été recruté par Cliff Carter, un homme de l’ombre qui veillait sur la carrière d’un sénateur qui était devenu vice-président et qui obtiendrait plus tard la charge suprême comme président des États-Unis : Lyndon B. Johnson.

Cliff Carter était un Texan. Vétéran de la Seconde Guerre mondiale plusieurs fois décoré, il était entré dans l’équipe de Johnson en 1937 et, en 1948, il avait dirigé la campagne qui avait conduit à son élection au sénat. Il avait brièvement été un US Marshall de 1949 à 1954. Mais c’était en 1957 qu’il était devenu l’organisateur politique en chef de Johnson. Il avait le talent fort apprécié d’amasser beaucoup d’argent et de savoir fermer sa gueule. Il savait aussi se débarrasser des gens qui pouvaient nuire à la carrière de son patron. C’était donc un homme extrêmement influent qu’avait rencontré Walter Truman au début de l’année 1962. Cette interview allait changer sa vie.

— Assoyez-vous, monsieur Truman, avait proposé Carter lorsque Walter était entré dans son bureau.

— Merci.

— J’ai lu votre dossier, vous êtes un excellent agent. Un patriote.

— Merci, monsieur. Mais comment avez-vous eu accès à mon dossier?

Cliff Carter n’avait pas répondu à sa question et avait poursuivi en fixant dans les yeux son interlocuteur.

— Mais ce beau dossier est fragile, monsieur Truman. Vous savez que le FBI ne pardonne pas les écarts de conduite.

Walter s’était mis à transpirer. Il savait où Carter voulait en venir, mais il n’avait rien à répliquer. Il avait attendu la suite.

— J’ai sous les yeux le montant de la dette que vous avez contractée auprès de gens peu recommandables. Vous jouez, monsieur Truman, vous jouez et vous perdez beaucoup. Si, aujourd’hui, j’ai ces informations, vous pouvez imaginer que vos patrons les auront bientôt.

Jamais Walter ne s’était senti aussi humilié. Encore aujourd’hui, quand il y repensait, il frissonnait. Carter aurait pu continuer à le traîner dans la boue, mais il lui avait plutôt fait une proposition.

— Nous sommes prêts à effacer votre dette si vous acceptez de vous mettre au service du vice-président Johnson. Les ennemis de l’Amérique sont nombreux en son sein même et nous avons besoin de patriotes pour veiller à ce que ces ennemis ne prennent pas le pouvoir.

Walter était resté dubitatif devant cette offre. Il ne comprenait pas pourquoi Carter prenait un risque avec lui, un joueur qui devait beaucoup d’argent. Incapable de trouver une réponse, il lui avait carrément posé la question, ce à quoi Carter avait répondu :

— Si on fait abstraction de ce problème, votre dossier est exemplaire, et les compétences que vous avez acquises au sein du corps des marines et des services secrets sont celles que nous recherchons. Alors, nous vous rendons service et vous nous êtes redevable. En contrepartie, nous exigeons une loyauté sans bornes. Vous aurez un salaire beaucoup plus élevé que celui que vous touchez au sein du Bureau et vous pourrez côtoyer de près le pouvoir. Car vous n’ignorez pas que le vice-président pourrait être appelé à occuper la plus haute fonction. Si par contre vous décidiez de continuer à jouer, vous n’auriez plus aucune protection et seriez livré à vos créanciers.

C’était ainsi que Walter Truman était entré au service du vice-président Lyndon B. Johnson. Si on lui demandait d’obéir, on lui faisait aussi confiance en le mettant au parfum des actions à venir. Walter s’était senti valorisé. Comme un fumeur jette sa dernière cigarette ou qu’un alcoolique boit son dernier verre, Walter avait symboliquement brûlé un jeu de cartes et n’avait plus jamais joué. Ses employeurs lui avaient confié des tâches de plus en plus importantes. Plusieurs réunions où Walter était convoqué se terminaient par une fête où les vins rares, les meilleurs alcools et les cigares cubains étaient disponibles à volonté, sans parler des hôtesses, des filles d’une beauté sublime. Si Walter s’était montré hésitant au début, il avait fini par céder à la vie facile et s’était réveillé plus d’une fois avec une femme magnifique à ses côtés. Quelquefois, l’envie d’une partie de poker lui revenait, mais il savait qu’en succombant il signait son arrêt de mort.

Walter s’était bien posé quelques questions sur la légalité de certaines actions, mais, habilement, Cliff Carter lui avait démontré à quel point ce qu’il faisait était important pour les États-Unis d’Amérique. Walter s’était montré satisfait des explications, mais sa loyauté avait été mise à rude épreuve quand avaient commencé à circuler à l’intérieur de l’équipe du sénateur des bribes d’information sur un plan visant à assassiner le président Kennedy. Des rumeurs de plus en plus insistantes indiquaient que Kennedy voulait remplacer son colistier lors de l’élection de 1964, à cause de désaccords profonds avec le vice-président. Pour le clan Johnson, cette option n’était pas envisageable.

Encore là, Cliff Carter s’était montré fin manipulateur et il avait impliqué Walter dans les discussions. Truman avait vite été persuadé du bien-fondé de l’assassinat envisagé. Cliff Carter, en habile stratège, lui avait démontré à quel point Kennedy était devenu dangereux pour les États-Unis d’Amérique. Le Sud en particulier allait souffrir des politiques du président démocrate. En janvier 1963, il avait présenté une proposition de réforme de la taxation en vue d’aider les gens les plus vieux et les plus vulnérables de la société américaine. Sa principale mesure consistait à éliminer pour les pétrolières l’allocation d’épuisement du pétrole, en vigueur depuis les années 1920, une mesure injuste qui ne profitait qu’aux riches propriétaires pétroliers, des Texans pour la majorité. La suppression de cette allocation représentait une perte d’environ trois cents millions de dollars annuellement. De plus en plus d’hommes d’affaires importants sudistes, dont H. L. Hunt et Clint Murchinson, des magnats du pétrole, justement, étaient venus apporter leur soutien moral et financier à la mise en place du plan d’assassinat. Cliff Carter avait convoqué Walter dans son bureau.

— Alors, monsieur Truman, que pensez-vous de tout ce que vous avez entendu jusqu’à présent?

— Vous voulez réellement mon avis?

— Bien sûr, si je vous le demande!

— Eh bien, monsieur, si vous avez réussi à me persuader du bien-fondé de la disparition de Kennedy, les gens qui se joignent à nous me laissent perplexe.

— Et pourquoi cela?

— Voyez-vous, il s’agit de faire disparaître le président de la première nation du monde, et non pas un vulgaire voyou dans une ruelle. Si tous ces gens fournissent des fonds et prononcent de belles paroles, je n’ai pas vu ou entendu l’ombre d’un plan sérieux pour mettre cette idée à exécution.

Cliff Carter avait souri. Il avait ouvert un tiroir de son pupitre et en avait sorti un dossier assez épais. Il l’avait ouvert et feuilleté jusqu’à ce qu’il trouve ce qu’il cherchait : une feuille qu’il avait tendue à Walter.

— Dites-moi ce que vous pensez de ce plan, monsieur Truman.

Walter avait lu la feuille dactylographiée et avait constaté qu’il était dans l’erreur. Il y avait effectivement une ébauche assez avancée d’une stratégie d’action. Il restait du peaufinage à faire, mais les grandes lignes étaient là.

— Alors?

— Vous êtes plus avancé que je le croyais, monsieur. Mais, si vous le permettez, j’aurais des suggestions à vous faire.

— Bien sûr, Walter! C’est ici que les compétences que vous avez acquises au sein des services secrets vont servir. Je vais vous faire rencontrer certaines personnes et vous allez parachever ce plan, recruter les exécutants et revoir tous les détails.

Walter avait su à cet instant qu’il n’y aurait plus de retour possible en arrière. L’agent du FBI était définitivement enterré. Une autre personne avait pris sa place, qui naviguait dans les officines du pouvoir; elle avait les mains de plus en plus sales, mais, malgré tout, elle aimait son rôle. Si on lui faisait confiance pour une tâche aussi importante, c’était qu’on croyait en lui. Il était sorti du bureau de Cliff Carter investi d’une mission et déterminé à la mener à bien.

Sa première confrontation avec les personnes que Carter voulait qu’il rencontre s’était plutôt mal passée. Il y avait parmi elles un patron de club du nom de Jack Ruby, ainsi que d’autres sbires plus louches d’allure les uns que les autres. En tant qu’ancien policier, Walter avait eu tôt fait de deviner qu’il avait affaire à des truands. Lorsqu’il s’était présenté, une voix goguenarde s’était élevée.

— Hé! les gars! On doit être importants! On nous envoie Harry Truman. Monsieur le président, comment se passe la retraite?

Les autres participants avaient ri de bon cœur, et Walter avait ce soir-là gagné pour de bon son surnom de Harry. Mais il ne s’était pas laissé démonter. Il avait confronté fermement ses vis-à-vis. Il était responsable de l’opération et celle-ci allait devoir se dérouler sans anicroche. De fil en aiguille, en imposant ses idées et en ne supportant aucun laisser-aller, il avait gagné le respect de l’équipe, et son surnom de Harry avait été prononcé avec déférence.

Les mois suivants avaient passé vite. Walter travaillait avec acharnement. Il avait mis la touche finale au plan A, plus simple que ce qui avait été imaginé en premier, et il avait échafaudé le plan de dérivation qui allait mettre l’accent sur une seule personne, Lee Harvey Oswald, qui deviendrait aux yeux du monde entier le coupable de ce meurtre crapuleux. Il avait révisé à maintes et maintes reprises chacune des étapes de l’intervention tout en se demandant s’il ne faisait pas ce travail pour rien. Tout le montage reposait sur un plan minutieux élaboré en vue d’une visite de Kennedy à Dallas, la ville texane. Mais le temps avançait et le président américain n’avait toujours pas confirmé sa visite, car il était incertain de l’accueil qu’il recevrait. Toutefois, les pressions de Johnson étaient fortes, et Kennedy avait fini par céder, au grand soulagement de Walter et de toute l’organisation qui le chapeautait.

Lorsque, le 22 novembre 1963, John F. Kennedy s’était présenté à Dallas avec son épouse Jacqueline Bouvier Kennedy, les résidants lui avaient réservé un accueil des plus chaleureux. Dans sa limousine ouverte, il avait parcouru des rues bondées.

Pendant ce temps, Walter Truman se tenait dans le bureau de Cliff Carter. Avec quelques personnes, il suivait à la radio et à la télévision la visite présidentielle. Ses mains étaient moites et il était incapable de tenir en place. Lorsque la limousine du président avait tourné sur la rue Elm, il avait cessé de respirer. Ensuite, tout s’était passé très vite : les coups de feu, le sang, Jackie sur le coffre arrière de la limousine… Il avait fallu attendre encore plusieurs minutes avant que l’annonce de Walter Cronkite, le célèbre animateur américain, confirme la mort du président.

***

New York, 2008

Anthony amorça son séjour à New York par une visite à ses parents. Lorsqu’il expliqua la raison de sa présence dans la ville, ils ne comprirent pas vraiment pourquoi il voulait faire des recherches sur une photo datant de plus de trente ans. Mais, l’important, c’était que leur fils s’était engagé dans le processus du deuil, d’une drôle de manière, certes, mais il ne leur appartenait pas d’en juger. Anthony prit congé d’eux en les embrassant et en promettant de bien prendre soin de lui.

À son arrivée au nouvel immeuble du New York Times inauguré l’année précédente, il se sentit chez lui. Même s’il n’avait jamais vraiment travaillé physiquement dans ce lieu, il ressentait un attachement authentique pour cette mythique institution new-yorkaise. Il suivit les indications que lui avait données son collègue et il le trouva à son bureau en grande conversation téléphonique. Journaliste d’enquête et Juif comme lui, Samuel Hoffman était tout le contraire d’Anthony. Petit, rond et affublé d’un nez proéminent, de prime abord il paraissait franchement laid. Mais ses yeux pétillaient d’un tel éclat qu’on en oubliait le reste. À l’instar de Serge Gainsbourg, qui lui non plus n’était pas reconnu pour sa beauté physique, Samuel avait toujours attiré des femmes magnifiques, séduites par son intelligence et son caractère joyeux. Sa compagne du moment aurait pu avantageusement figurer dans la publication annuelle du magazine Sports Illustrated consacrée aux maillots de bain. Anthony avait connu Samuel lors d’un reportage qui avait nécessité les lumières du petit homme. Il avait beaucoup apprécié l’humour de son collègue, mais surtout la qualité des renseignements qu’il lui avait communiqués.

Dès que Samuel l’aperçut, il lui fit de grands gestes pour l’inviter à le rejoindre. Anthony remarqua que son ami n’avait rien perdu de sa verve. Néanmoins, il coupa court à son appel pour lui serrer chaleureusement la main et lui donner l’accolade.

— Tony, je suis vraiment désolé pour Valérie. Je t’offre mes condoléances les plus sincères. Comment survis-tu?

— Je ne te cacherai pas que c’est plus difficile que ce que je pensais. C’est pourquoi je suis ici.

— Allons nous asseoir; je meurs d’envie de savoir sur quoi tu travailles.

Les deux hommes prirent l’ascenseur, quittèrent le grand immeuble conçu par l’architecte Renzo Piano et allèrent s’asseoir dans un café de la 8e Avenue. Ils commandèrent chacun un expresso, et Anthony résuma l’entretien qu’il avait eu avec son collègue Camil Lévesque à Montréal. Il ajouta qu’il avait pris un congé sans solde pour partir loin de Montréal et tenter de résoudre un mystère qui le taraudait depuis plus de quarante ans.

Tout en parlant, il retira de sa mallette le cadre qui contenait la photo et le tendit à Samuel, qui l’examina attentivement. On y voyait une scène saisie à un endroit familier, mais qu’il n’identifia pas de prime abord. Il s’attarda plutôt aux personnages. Il commença par l’arrière-plan. Des gens dont l’image était un peu floue semblaient en état de panique. À l’avant-plan, une magnifique blonde tenait un enfant par la main. D’après l’habillement des personnages, la photo datait des années 1960.

— Qui est cette magnifique blonde?

— Ah! Sam! Si je le savais, je ne serais pas ici. Ce que je peux te dire, c’est que, le gamin de trois ans qu’elle tient par la main, c’est moi.

— Sans blague, de quand date cette photo?

— Du 22 novembre 1963.

— Dealey Plaza, Bon Dieu! C’est Dealey Plaza. Il me semblait, aussi, que cet endroit m’était familier! Ainsi, tu étais là?

— Oui, j’étais présent lors de l’assassinat du président Kennedy.

Samuel émit un long sifflement. Cet épisode de l’histoire américaine était un des plus célèbres et il avait devant lui quelqu’un qui y avait assisté en direct.

— Continue, je meurs d’envie de connaître la suite.

— Tu vas être déçu. Je n’ai aucun souvenir de cette journée, sinon des flashs. J’étais trop petit. C’était mon premier voyage en train. Ma mère voulait visiter une de ses amies à Dallas, une survivante de la guerre comme elle. Elle la considérait comme sa sœur et, d’ailleurs, pour moi, elle a toujours été tante Katheryn. Ma mère voulait faire d’une pierre deux coups et voir le président Kennedy en même temps, puisqu’il devait faire sa tristement célèbre visite à Dallas. L’assassinat l’a tellement traumatisée qu’elle a toujours refusé d’en parler par la suite.

— Et vous vous êtes retrouvés au cœur de l’action?

— Je ne pouvais être plus près. Nous étions directement sur le trottoir, devant la barrière du Grassy Knoll.

— Là d’où, d’après les adeptes de la conspiration, le coup de feu fatal a été tiré.

— Précisément, et je serais enclin à croire cette hypothèse, car il y a eu un bruit énorme venant de la barrière, selon ma mère. Mais ça pouvait aussi être la réverbération des coups tirés par Oswald, qui sait? Quoi qu’il en soit, les gens ont pris panique et, dans la bousculade, j’ai échappé à la surveillance de ma mère. J’étais perdu, en pleurs, et c’est là que cette magnifique blonde, comme tu dis, m’a agrippé par la main. Elle est restée avec moi jusqu’à ce que ma mère me retrouve. Un photographe du Life a pris cette photo qui a paru dans l’édition spéciale sur la mort du président.

— Je comprends. Alors, quand tu m’as demandé s’il y avait un moyen de connaître l’identité des témoins de la fusillade qui étaient présents sur Dealey Plaza le 22 novembre 1963, c’était pour identifier cette femme?

— Exactement. Je sais que tous les gens qui étaient sur Dealey Plaza ce jour-là ont eu une entrevue avec la police. J’espère avoir accès aux archives et découvrir qui elle est.

— C’est faisable, et plus facilement que tu ne crois. Mais, Tony, une question personnelle : pourquoi fais-tu ça?

— Comme je te l’ai dit, un de mes collègues de Montréal a vécu la même chose que moi. Son épouse est décédée. Ce qui l’a sauvé, selon ce qu’il m’a dit, ça a été de se consacrer à un projet un peu fou qui lui a permis d’oublier son drame personnel et de survivre. J’ai cette photo depuis plusieurs décennies et j’ai toujours voulu savoir qui était cette personne. En tant que journaliste, je me suis promis souvent de découvrir son identité, mais je ne l’ai jamais fait. Je crois que c’est le temps. En plus, tu ne penses pas que, près de cinquante ans plus tard, un article sur les retrouvailles de deux témoins de cette journée historique serait assez percutant?

— Assurément. Autrement dit, si tu veux savoir qui elle est, c’est pour la rencontrer?

— Commençons par voir si nous pouvons mettre un nom sur ce joli visage. C’est là que j’ai besoin de toi.

***

Dallas, Texas, 2008

Walter regarda sa montre. Il lui restait encore dix minutes avant que Peggy revienne le voir. Il sortit à nouveau son agenda, mais le remit immédiatement dans sa poche. Il connaissait son horaire sur le bout des doigts. Chaque année, à la même date, c’était comme une sorte de pèlerinage. Il replongea dans ses pensées. Il le faisait souvent depuis quelque temps, une particularité de la vieillesse, sans doute. Surtout, il essayait de justifier moralement les actions qu’il avait posées, mais il y parvenait rarement. Il en avait lourd sur la conscience.

Après la mort de Kennedy, Lyndon B. Johnson avait accédé à la présidence des États-Unis. Dans la même journée avait eu lieu le premier débriefing sur l’événement du 22 novembre. Cliff Carter avait fait venir Walter à son bureau et, entouré d’une équipe restreinte, il avait passé en revue tous les détails de cette journée. Si le plan avait été très bien exécuté, une question demeurait à laquelle personne n’était capable de répondre et qui rendait tout le monde nerveux. Pourquoi diable les services secrets avaient-ils procédé au plus grand camouflage de l’histoire en faisant disparaître toutes les preuves relatives à l’autopsie de Kennedy, y compris son cerveau? Ce comportement était aberrant. Les services secrets auraient dû chercher à découvrir la vérité sur le meurtre du président plutôt que de s’évertuer à tout cacher. Des membres du service avaient-ils découvert quelque chose qu’ils voulaient garder pour eux?

Dans le plus grand secret, Walter avait été chargé de trouver les réponses aux questions que se posaient Cliff et son entourage. Si on pouvait remonter à la tête du complot, tout le travail fait prétendument pour sauver le pays n’aurait servi à rien. Maintenant que Walter avait mis le doigt dans l’engrenage, tout le bras y passait.

Il lui avait fallu plusieurs mois pour, patiemment et méticuleusement, parvenir à découvrir le motif qui avait induit les services secrets à agir comme il l’avait fait. Il en avait été sidéré, tout comme Cliff Carter et les autres personnes à qui il avait fait son rapport. Mais cela avait créé un autre problème.

— Walter, si je vous suis bien et que vos informations sont véridiques…

— Elles le sont, monsieur.

— Alors, l’argent?

— Versé pour rien aux deux hommes que nous avons engagés.

— Nous avons donc donné deux millions de dollars à deux gars qui n’ont pas fait le travail pour lequel on les a rétribués?

— Exactement, monsieur.

Cliff Carter avait regardé droit devant lui. Seul signe de sa colère, ses narines s’ouvraient et se refermaient à une vitesse folle.

— Vous allez les retrouver. Peu importe ce qu’il en coûtera, vous allez les retrouver. Personne ne s’est jamais moqué de moi sans en payer le prix. J’en fais une question de principe. Mais il faudra garder profil bas. Il ne faut en aucun cas attirer l’attention sur vous.

Pour s’acquitter de sa mission, Walter allait pouvoir compter sur un budget imposant, qui lui assurait toujours une certaine aisance quelques décennies plus tard. Il aurait aimé disposer des immenses pouvoirs du FBI ou de la CIA, mais son patron insistait pour que ses recherches s’effectuent en secret. La dernière chose que Carter voulait, c’était qu’on remarque leurs actions. Walter s’était mis à la tâche sans délai.

Mais si, comme organisateur de l’assassinat de Kennedy, il avait abattu un travail colossal et obtenu des résultats à la hauteur, comme enquêteur, il avait connu des déboires. Il utilisait ponctuellement les services d’informateurs, aujourd’hui presque tous trop vieux ou décédés, et il engageait parfois des détectives privés. Mais tout ce travail n’avait servi à rien. Jamais il n’était parvenu à ses fins. Carter l’avait maintes fois semoncé, le croyant soit malchanceux, soit incompétent. Pourtant, il ne l’avait pas remplacé et n’avait mis aucun frein à son enquête.

Walter était passé bien près de réussir une fois à coincer un de ces salopards, mais, alors qu’il le tenait et qu’il voulait l’interroger, l’homme avait habilement réussi à lui échapper et jamais il ne l’avait revu, ni lui ni son complice.

Cliff Carter était décédé en septembre 1971 et, aujourd’hui, les commanditaires de l’opération étaient tous six pieds sous terre. Personne ne se souciait plus depuis longtemps du compte en banque qui alimentait le travail de Walter. Il avait hésité sur la marche à suivre, mais il avait décidé de continuer. Les années passaient, augmentant sa frustration. Maintenant obsédé par sa quête, il n’était plus capable d’y mettre un terme. Il ne pouvait croire que, après avoir planifié le plus célèbre meurtre politique de l’après-guerre, il ne pouvait mettre la main sur deux hommes en cavale.

Il allait profiter de sa présence à Dallas pour rencontrer un de ses informateurs, un de ses meilleurs, sa dernière et plus jeune recrue. Il s’appelait Peter Francis; c’était un petit jeunot qui possédait un immense talent de pirate informatique. Walter s’était souvent dit que, si au lieu de s’adonner à ses conneries de piratage, Peter avait fait preuve de maturité, il aurait pu occuper un poste important dans n’importe laquelle des sociétés informatiques que comptaient les États-Unis. Mais il était à l’âge où la liberté et surtout la reconnaissance des membres de la confrérie des pirates étaient plus importantes qu’un bon emploi.

Walter l’avait recruté un jour dans la file d’un comptoir de restauration rapide. Peter s’était gentiment moqué de lui quand il l’avait vu sortir son calepin noir et il lui avait montré son agenda électronique, dont il avait augmenté lui-même les capacités. Au lieu de s’offusquer, Walter avait entamé la conversation avec le jeune homme qui avait fini par le perdre dans la somme des connaissances qu’il ne pourrait jamais acquérir. Il était allé s’asseoir avec lui et, à la fin du repas, Peter avait absolument tenu à montrer son matériel. Dans son petit appartement à la limite de l’insalubrité, rempli d’écrans et de serveurs, tel un chef d’orchestre, il s’était mis à ses claviers. C’était alors que l’aîné lui avait mis la main sur l’épaule.

— Attends!

— Qu’est-ce qu’il y a?

Walter avait sorti une liasse de billets de cent dollars.

— Ah! merde! Vous n’êtes pas une de ces saletés de pédophile?

Surpris, Walter avait éclaté de rire.

— Ne t’inquiète pas, petit, je crois que tu es trop vieux pour intéresser un pédophile. Non, ces billets sont à toi si tu réussis à m’impressionner.

Le jeunot avait fait craquer ses doigts avant d’en mettre plein la vue à son interlocuteur. Avec une facilité déconcertante, il avait réussi à répondre à chacune des requêtes du vieil homme qui, à la fin, était bouche bée.

— Dis-moi, Peter, tu aimes habiter ici?

— Pas tellement, mais c’est tout ce que je peux m’offrir.

— Si tu acceptes de travailler pour moi, je vais te trouver un endroit mieux adapté à ton talent.

— Ah! mais je veux garder ma liberté, moi! Les gros conglomérats, très peu pour moi!

— Je suis indépendant.

— Dites-moi, il n’y aurait pas quelque chose d’illégal dans ce que vous faites?

Walter s’était penché vers le jeune homme et avait murmuré :

— Où serait le plaisir dans la vie sans une certaine illégalité?

Peter avait eu un large sourire et avait tendu la main en disant :

— À votre service.

La semaine suivante, il était installé dans un appartement propre, aéré et bien éclairé, situé dans un coin beaucoup plus sécuritaire de Dallas. Il aurait même eu droit à une firme de techniciens pour l’aider à débrancher et à rebrancher son matériel s’il ne les avait pas mis à la porte. Personne ne touchait à l’équipement de Peter Francis.

Walter vit la serveuse revenir vers sa table.

— Vous allez prendre autre chose, ou je vous apporte l’addition?

— L’addition, Peggy. C’était excellent comme d’habitude.

Il paya en laissant un généreux pourboire. Puis, comme il le faisait toujours, il alla marcher sur Dealey Plaza. Rien n’avait changé, et pour cause. En mémoire du président John Fitzgerald Kennedy, le lieu de son assassinat demeurait inaltéré pour que les générations futures se souviennent. Mais, pour Truman, cet endroit avait une autre résonance. En fermant les yeux, il pouvait imaginer la scène et même entendre les coups de feu. S’il n’avait pas assisté personnellement à l’opération, il en avait tellement fait et refait le plan sur papier avant le jour J que chaque détail était imprégné dans son cerveau.

Il alla s’asseoir sur un banc public et attendit que Peter Francis vienne le rejoindre.

***

New York, 2008

Samuel et Anthony finissaient leur café. Samuel avait été obligé de répondre à son téléphone cellulaire. Il travaillait sur un article important, et un contact venait de décider de le rappeler. Il s’excusa auprès de son ami et s’isola pour converser.

Depuis son départ de Montréal, Anthony n’avait pas soufflé beaucoup. Il regarda autour de lui. La question de Samuel le taraudait : « Pourquoi fais-tu ça? » La réponse lui vint naturellement : parce qu’il était journaliste. Parce que les mystères, si infimes fussent-ils, lui servaient de carburant. De plus, il constatait une chose importante : depuis le début de sa quête, il pensait de moins en moins à Valérie. Le fait de ne plus voir le décor qui lui rappelait sa vie avec elle l’aidait à penser à autre chose. Il devait se l’avouer, cette recherche l’excitait comme à ses débuts dans le journalisme. Autant aller jusqu’au bout, à ce compte.

Il regarda sa montre. Samuel conversait depuis quinze minutes. Il commençait à trouver le temps long. Lorsque son ami réapparut, il avait le sourire aux lèvres.

— À voir ton air, c’était un appel qui en valait la peine.

— Eh oui, c’est pour ça que j’ai pris autant de temps. Désolé! Et maintenant, si on s’occupait de ta jolie fée?

— Oui. Par où commence-t-on?

— Je pense qu’on va retourner à mon bureau.

Quelques instants plus tard, les deux hommes étaient assis devant l’ordinateur de Samuel. Il tapa quelques touches, et une page d’accueil s’ouvrit.

— Tu sais, Tony, tu aurais pu faire toutes tes démarches bien assis sur ta chaise à Montréal.

— Peut-être, mais, si j’ai entrepris tout cela, c’est justement pour sortir de chez moi. Alors, qu’avons-nous ici?

— Ça, mon cher, c’est le AARC, l’Assassination Archive and Research Center. En bref, c’est un centre de recherches et d’archives fondé en 1984 par deux gars, Bernard Fensterwald Jr et Jim Lesar, pour compiler tous les documents relatifs aux assassinats politiques. En 1992, le Congrès américain a adopté le President John F. Kennedy Assassination Records Collection Act. Plus de sept cent cinquante mille pages de documents ont été colligées, dont certaines, détenues par la CIA et le FBI, sont devenues publiques et offertes en consultation. Nous allons entrer une requête.

— Ouah! Moi qui suis journaliste, j’ignorais ça.

— Que veux-tu, tu vis au Canada, maintenant!

— Hé! Nous ne sommes pas des attardés.

— Ah! Tu es l’un d’eux, maintenant?

— Cesse de me tirer la pipe et continuons.

— Voilà. Parmi ces documents, il y a les témoignages de tous les gens présents sur Dealey Plaza le 22 novembre, deux cent seize au total. On devrait être capable de trouver la femme.

En faisant défiler la liste, ils commencèrent par repérer les personnes de sexe féminin. La seule information disponible, c’était l’endroit où se trouvait le témoin au moment du crime. En se servant de la photo comme point de repère, ils purent réduire la liste à trois personnes. Comment savoir laquelle était la bonne?

— Tony, si tu me permets, je vais accéder à une base de données merveilleuse, utilisée par le FBI et les laboratoires de CSI. S’il y a une photo de ta demoiselle, on l’aura. On va d’abord numériser ta photo et la soumettre au logiciel, qui procédera à une comparaison avec ce qui se trouve dans la banque d’informations. Voilà, je clique ici et c’est parti.

Anthony regarda l’écran. Une minute et demie plus tard, une photo apparaissait. Elle venait de la police de Dallas et datait du 22 novembre 1963, le jour du meurtre. Sous la photo se trouvait le témoignage original de la femme. Il n’y avait aucun doute possible, c’était bien elle. Son nom était Alice Greenwood.

— Hé! Tony, tu as l’air de quelqu’un à qui je n’ai pas fait plaisir et ça, c’est rare, crois-moi.

— Non, non, Sam, je suis content, c’est juste que…

— Maintenant que tu sais qui est la dame, tu voudrais en savoir plus. Élémentaire! C’est le réflexe de tous les journalistes et il y a des trucs pour ça.

Il saisit quelques commandes au clavier sous le nez d’Anthony.

— Tu vas voir que ce logiciel est absolument fantastique. Maintenant que nous savons qui est la dame, il va retrouver toutes les adresses de mademoiselle Greenwood jusqu’à la dernière connue. C’est facile, tu peux le faire toi-même. Allez! Formule la requête.

— Comment diable as-tu eu accès à ce logiciel? Tu ne crois pas que notre incursion pourrait nous occasionner des ennuis?

— Tu ne seras jamais inquiété, parole de Samuel. Ça fait longtemps que je l’utilise ce système. J’ai un copain policier qui m’a fourni un mot de passe pour me donner accès à ce petit espion dont se servent le FBI et les autres services de police. Bien sûr, toutes les requêtes sont comptabilisées, et un rapport est produit chaque mois, mais, comme dans toute bonne bureaucratie, personne ne le consulte.

— Mais c’est illégal!

— Oui, mais mon ami a eu la chance que je lui présente une de mes anciennes flammes, une beauté, et je ne mentionne même pas ses performances au lit. Pour faire court, ça s’est terminé par un beau mariage, et il m’est redevable à vie.

Anthony éclata de rire. Il réalisait à nouveau à quel point Samuel était un chic type; ce n’était pas pour rien s’ils s’étaient si bien entendus dès leur première rencontre.

— Selon toi, qu’est-ce que je devrais faire? demanda-t-il.

— Quelle question! Va la rencontrer. Si tu as gardé cette photo aussi longtemps, c’est que le mystère te titillait. Maintenant que tu as tout ce dont tu as besoin pour rencontrer la dame, va jusqu’au bout. Prends un papier et note. Sa dernière adresse est à Waterville, dans le Maine.

— Je crois que tu as raison, Sam. Je vais aller faire une petite visite dans le coin.

Sur ce, ils se serrèrent la main, non sans que Samuel ait fait promettre à Anthony de le tenir au courant de sa démarche.

***

Dallas, Texas, 2008

Truman regarda sa montre. Peter Francis était en retard et il détestait ça. Ils auraient pu tenir leur entrevue au téléphone, mais le jeune homme aimait les rencontres secrètes sur un banc de parc. Cela lui donnait l’impression d’être un espion. Quel gamin! Finalement, Walter le vit arriver en courant, couvert de sueur. Il agitait une feuille de papier. L’agent secoua la tête. Peut-être que son collaborateur était efficace, mais, malgré son envie de jouer profil bas, il manquait totalement de discrétion. Dans une mission de filature, ce serait assurément le premier repéré.

Il l’accueillit avec une remarque acerbe lancée sur un ton glacial.

— Vous êtes en retard!

— Euh… Oui, mais ça en valait la peine. Normalement, je serais venu vous rejoindre avec RAS4. Mais mes petits robots se sont mis en marche juste comme je partais. Il y avait une alerte. J’ai attendu pour pouvoir vous ramener ceci.

Il agita la feuille sous le nez du vieil homme qui la lui arracha des mains d’un geste vif.

— Qu’est-ce que c’est?

— Eh bien, un journaliste a fait une requête dans l’AARC au sujet d’un des noms que je dois surveiller. Il s’appelle… Son nom est sur la feuille.

— Samuel Hoffman?

— C’est ça. Ensuite, j’ai eu connaissance d’une seconde requête venant du même bureau, cette fois avec un logiciel du FBI, mais au nom d’une autre personne.

— Anthony Rosen.

— C’est ça. Il recherchait la dernière adresse connue de la fille.

Walter ne dit rien. Il sortit son portefeuille et y prit quelques billets de cent dollars qu’il tendit sans un mot à Peter. Celui-ci les glissa dans une poche de son pantalon.

— Autre chose, Peter?

— Eh bien, depuis le temps que je vous apporte de l’info, qui sont ces gens que je dois surveiller? Vous deviez m’en parler, mais…

— Je ne t’ai jamais dit que je t’en parlerais. En plus, tu ne me feras pas croire que tu n’as pas fouillé avec ta panoplie de gadgets informatiques.

— Un peu, mais…

— Mais quoi? Tu sais peut-être qui sont ces personnes, mais, pourquoi je veux être alerté si quelqu’un s’intéresse à eux, ça, tu ne le sauras jamais. Je te paie assez cher pour faire le travail; fais-le et ne pose pas de questions.

Comme tout bon pirate, Peter était dévoré par la curiosité. Il avait effectivement fait des recherches comme Walter l’avait deviné sur les personnes qu’il devait surveiller, mais il n’avait obtenu aucune réponse à ce jour. S’il ignorait pourquoi il faisait ce travail, il ne se sentait pas capable de forcer Walter à le lui révéler; surtout, il avait peur de perdre les cadeaux substantiels dont son correspondant le gratifiait. Finalement, il se leva, salua Walter et retourna d’où il venait d’un pas traînant.

— Bon, eh bien, qu’avons-nous là?

Walter parcourut la feuille manuscrite. Il y avait longtemps que personne n’avait cherché des informations sur Alice Greenwood. Le curieux allait-il la rechercher et se heurter au même cul-de-sac que lui des années auparavant? Il jeta un coup d’œil à la photo du journaliste que Peter lui avait fournie.

— Qui diable es-tu, Anthony Rosen, et que viens-tu faire dans cette histoire?