Les pêches

Dans le clos du verger d’Apendi, il y avait un pêcher qui, bon an mal an, mûrissait avant les autres. Apendi découvre un beau matin trois pêches tout à fait jaunes et bien mûres. Les ayant cueillies toutes les trois, il les met dans un plat creux et les porte chez le khan.

Comme les pêches commencent à rouler deçà delà dans le plat et à s’entrechoquer, Apendi les prévient :

– Ne faites pas de bêtises, les fruits ! ou sinon je vous jette d’un seul coup dans ma bouche et je vous croque entièrement : vous n’aurez pas vécu longtemps !

Les trois pêches ne l’écoutent pas : elles recommencent à se heurter l’une l’autre.

– Celles-là, si je les laisse ensemble, elles ne vont pas cesser de faire des bêtises ! dit Apendi et hop ! il croque aussitôt deux des pêches. Il n’en reste donc plus qu’une qu’il apporte au khan.

Ayant mangé la pêche, le khan remercie très poliment Apendi.

Un autre jour, Apendi cueille trois noix, toujours pour les donner au khan. En chemin, il rencontre quelqu’un :

– Apendi, où donc vous rendez-vous ?

– J’apporte des noix au khan.

– Surtout pas ! Laissez tomber les noix, le khan adore les raisins secs : vous feriez mieux de lui en apporter !

Suivant ce conseil, Apendi jeta les noix et apporta au khan des raisins secs. Oui mais voilà, le khan en fait avait horreur des raisins secs ! Il ordonne donc à ses djiguites (ses guerriers) de bombarder Apendi avec ses raisins secs, afin qu’après ça il ne lui en ramène plus jamais. Après que les djiguites aient commencé à lui tirer dessus, à chaque fois qu’il est touché par un raisin sec, Apendi s’écrie avec un plaisir croissant :

– Mon khan, mille mercis pour celui-là !

– Eeeh, Apendi ! on te tire dessus et au lieu de te plaindre, tu remercies : qu’est-ce que ça veut dire ? dit une des personnes présentes à cet endroit.

– Euh vieux frère, comme dit le proverbe : « chacun sait ce qu’il cache ». Normalement, eux autres, ils auraient dû me bombarder avec des noix, mais voilà-t-y pas que le Seigneur m’a secouru : est-ce qu’ils sont pas en train de me bombarder avec des raisins secs bien moëlleux ?… C’est pour ça que je me confonds en remerciements.

– Que dis-tu ? demande le khan tout à trac.

– Eh bien, je venais ici vous apporter des noix. En chemin j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit de laisser tomber les noix et d’apporter à la place des raisins secs. Heureusement ! sans ça ma pauvre tête aurait éclaté sous un bombardement de noix. Mille grâces à Dieu d’avoir fait les raisins secs aussi mous, dit-il et il s’empresse de s’en aller.

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