Chapitre 15

Peu avant dix heures du matin, deux semaines après qu’Aritomo et moi étions montés jusqu’à la grotte des salanganes, une Rolls-Royce noire encastrée entre deux Land Rover s’arrêta devant Majuba House. Magnus et Emily attendaient dans l’allée afin de souhaiter la bienvenue au haut-commissaire. Je les rejoignis, en fermant la porte avant que les chiens ne puissent se faufiler dehors. Le Gurkha était au garde-à-vous. Huit policiers malais sortirent des Land Rover et s’alignèrent près de l’entrée de la maison. Sir Gerald Templer émergea de la Rolls puis aida son épouse à sortir. Le haut-commissaire était un homme d’une cinquantaine d’années, mince, de taille moyenne, vêtu d’une saharienne kaki et d’un pantalon de la même couleur au pli impeccable. Il observa brièvement le drapeau flottant sur le toit avant de regarder Magnus en pinçant légèrement ses lèvres surmontées d’une moustache bien soignée. Je vis les yeux de Magnus pétiller. Il savourait l’ironie de la présence de Templer à Majuba.

« Nous devrions vraiment faire venir plus de dignitaires anglais afin de recevoir leurs respects, me chuchota-t-il tandis que nous nous avancions pour accueillir les Templer. »

Emily lui donna un coup de coude.

« Bienvenue à Majuba », dit-il en serrant la main de Templer.

Le haut-commissaire se tourna vers sa femme.

« Mon épouse, Peggy.

— Nous avons entendu dire que votre plantation mérite une visite », dit Lady Templer.

Magnus commença la visite aussitôt – le manque de patience de Templer était déjà légendaire. Nous le suivîmes dans la douzième section, qu’il avait choisie car la pente n’y était pas trop raide et la vue sur les vallées couvertes de théiers était incomparable. Un policier de grande taille et d’âge moyen resta en arrière pour marcher avec moi. Il se présenta :

« Thomas Aldrich, inspecteur principal. Vous êtes la fille de Teoh Boon Hau, n’est-ce pas ? On m’a dit que vous alliez nous montrer le jardin du Jap. Vous êtes en vacances ici ?

— Je vis ici », corrigeai-je.

J’étais presque sûre que les services secrets avaient ouvert un dossier sur chacun des habitants de Majuba avant la visite du haut-commissaire.

Le ciel était sans nuages, la lumière brillait dans l’air limpide. Une brise intermittente soufflait de la vallée et effleurait les cimes des arbres. Le haut-commissaire et son épouse marchaient avec aisance sur la route défoncée menant aux maisons des coolies. L’enclos était entouré d’une clôture de trois mètres de haut surmontée de barbelés. Deux volontaires malais, membres de la garde formée par Magnus, se mirent au garde-à-vous et firent un salut militaire à Templer. Du linge aux couleurs fanées claquait sur des cordes. Des poules suivies de poussins à la queue leu leu s’enfuirent à notre approche. Une vieille femme accroupie devant sa demeure nous salua au passage. Des plis de graisse débordaient de son sari et des mains invisibles pétrissaient son visage terreux tandis qu’elle mâchait son sirih avec une lenteur machinale. De temps à autre, elle crachait par terre un jet de bétel rouge sang.

« L’aide de votre père a été précieuse lors des discussions sur le Merdeka, dit Aldrich. Je pense que la Malaisie sera certainement indépendante dans quelques années.

— Vous semblez plein d’enthousiasme, répliquai-je. Il se pourrait pourtant que l’indépendance vous mette au chômage.

— Vous autres Chinois êtes encore plus terrifiés par le Merdeka que nous, les Blancs », observa-t-il avec un sourire oblique.

C’était vrai, surtout pour les Chinois du Détroit élevés à l’anglaise – les Chinois du Roi, comme nous nous appelions nous-mêmes. Nous avions vu les mouvements pour l’indépendance sombrer dans la violence en Inde, en Birmanie et dans les Indes orientales hollandaises, et nous redoutions que des conflits communautaires du même genre ne déchirent également la Malaisie. Ne sachant quel serait notre sort sous la férule des Malais, nous préférions que les Anglais gouvernent le pays en attendant qu’il soit prêt à l’indépendance. Mais quand serait-il prêt ? Personne n’était disposé à le dire.

« Les communistes prétendent aussi se battre pour l’indépendance, dis-je. Quelle ironie, n’est-ce pas ? Si vous accordez le Merdeka à la Malaisie, ils ne tarderont pas à perdre toutes leurs positions. »

Aldrich me désigna Templer de la tête.

« C’est pourquoi il souhaite que la Malaisie soit indépendante dès que possible. Les communistes ne s’en remettront pas. De toute façon, après vous avoir laissés tous à la merci des Japs, avons-nous encore vraiment le droit de gouverner ce pays ? »

 

Tout en marchant, Magnus exposa rapidement aux Templer l’histoire de la région. Il leur raconta que William Cameron avait exploré les montagnes à dos d’éléphant.

« Comme Hannibal pour traverser les Alpes », déclara-t-il.

Emily leva les yeux au ciel.

« Les gens m’ont cru fou quand j’ai fondé cette plantation, poursuivit Magnus en me lançant un sourire. Et ils avaient raison. Dès le début, je suis tombé sous le charme de cette plante merveilleuse. »

Il cueillit sur un arbuste une pousse d’un vert brillant, la roula entre ses doigts en la respirant puis la tendit à l’épouse du haut-commissaire.

« Ces théiers descendent de plantes qui furent découvertes dans l’est de l’Himalaya. Bien avant la naissance du Christ, un empereur de Chine connaissait déjà le thé. Il l’appelait l’écume du jade liquide.

— L’empereur qui découvrit le thé après avoir fait tomber quelques feuilles dans de l’eau qu’il faisait bouillir ? intervint Aldrich. Ce n’est qu’une légende.

— Eh bien, moi, j’y crois, répliqua Magnus. Quelle autre boisson a été bue sous des formes aussi variées, par tant de peuples différents, pendant plus de deux mille ans ? Les Tibétains, les Mongols et les tribus de l’Asie centrale, les Siamois et les Birmans, les Chinois et les Japonais, les Indiens et enfin nous, les Européens. »

Il s’interrompit, perdu dans sa rêverie sur le thé.

« Tout le monde en a bu, des voleurs et des mendiants aux écrivains et aux poètes, des paysans, des soldats et des peintres aux généraux et aux empereurs. Et si vous entrez dans un temple et regardez les offrandes sur les autels, vous verrez que même les dieux boivent du thé. »

Il nous regarda un à un.

« Quand les Anglais ont pris leur première tasse de thé, ils buvaient en réalité à la chute inéluctable de l’empire de Chine. »

Templer rougit violemment et son épouse effleura son bras.

« Malgré tout, lança Aldrich, vous ne pouvez nier que la Chine ait gagné des fortunes en vendant du thé au monde entier. »

Son sourire peu amène me donna l’impression qu’il provoquait volontairement Magnus.

« Certes, au début, répliqua Magnus. Mais l’argent du thé affluant en Chine est devenu un problème. Les Anglais l’ont résolu en inversant le flux monétaire. Vous savez comment ?

— Lao kung… », l’exhorta Emily.

Elle m’implora du regard de le faire taire mais je haussai les épaules, impuissante.

Magnus répondit lui-même à sa question :

« Grâce à l’opium cultivé par la Compagnie des Indes orientales autour de Patna et de Bénarès. Les Anglais l’ont vendu à la Chine pour compenser le déficit que subissait leur trésor. Et c’est ainsi que le Céleste Empire est devenu une nation d’opiomanes pour satisfaire notre désir de thé.

— Vous dites des sottises, dit Aldrich.

— Vraiment ? Vous, les Anglais, vous avez fait deux fois la guerre à la Chine pour défendre votre droit de vendre de l’opium. Deux fois ! Regardez dans les livres d’histoire, cela s’appelle les guerres de l’opium, au cas où, vous, ce passage vous échapperait.

— Si nous continuions notre visite ? lança Emily en se faufilant devant Magnus. Il faut que vous voyiez le jardin d’enfants de nos employés. »

Elle joua les interprètes tandis que les Templer bavardaient avec les vieilles femmes qui gardaient les bébés pendant que les mères cueillaient du thé. Ils dormaient dans des saris suspendus aux poutres du plafond avec des cordes. De temps en temps, une des femmes poussait doucement ces sortes de cocons.

Le haut-commissaire les quitta pour faire le tour des maisons, en regardant par les fenêtres et en vérifiant l’état des bâtiments. Magnus ne parut guère inquiet. Sans être un patron particulièrement attentif, il veillait au bien-être de ses employés. Il était sévère avec eux et sanctionnait par des retenues de salaire tout comportement nuisant à l’efficacité de la production. Cependant, contrairement à ce qui se passait dans certaines plantations d’hévéas où j’avais été, on ne voyait pas ici d’enfants à la peau d’une pâleur insolite.

Nous attendîmes patiemment tandis que le haut-commissaire parlait aux cueilleurs de thé occupés à remplir leurs paniers de feuilles sur les versants de la plantation. Templer tenait à serrer la main de chaque employé qu’il voyait et à entendre leurs doléances sur l’état d’urgence.

« Votre frère s’en sort bien, mademoiselle Teoh, me dit Aldrich quand les autres se furent un peu éloignés de nous en se dirigeant vers la fabrique. Ça n’a pas été facile pour lui dans la police.

— Pas facile ? »

Je ne pus retenir un rire railleur. Kian Hock faisait partie des rares inspecteurs chinois de la police malaise et mon père avait joué de son influence pour faire progresser la carrière de son fils. Il avait fait la même chose pour moi, jusqu’au jour où j’avais été renvoyée.

« Après la reddition japonaise, les anciens de Changi ont refusé tout contact avec ceux qui s’étaient enfuis au lieu de rester à leur poste. Votre frère est souvent considéré comme un de ces hommes qui n’ont guère souffert de la guerre.

— Vous paraissez plus indulgent, malgré ce que vous avez enduré vous-même. »

Ses yeux se troublèrent.

« C’est étrange, n’est-ce pas : les gens comme nous semblent toujours se reconnaître les uns les autres. J’ai passé un an à Changi avant que les Japs m’envoient sur le chantier du chemin de fer.

— Vous avez de la chance d’en être sorti vivant.

— Pour ce qui est d’avoir de la chance, vous battez certainement tous les gens que je connais. N’êtes-vous pas l’unique survivante d’un camp de travaux forcés dont l’emplacement reste inconnu à ce jour ? »

Il sourit mais son regard était froid.

« Je dois dire que j’ai trouvé votre rapport à la commission d’enquête… intrigant, malgré sa brièveté. »

L’espace d’un instant, je me demandai de quoi il parlait. Puis je me rappelai le rapport que j’avais fait à l’hôpital pour la commission militaire chargée de retrouver tous les prisonniers alliés.

« Je n’avais pas grand-chose à raconter », déclarai-je.

Je vis que Magnus nous regardait à l’avant du cortège. Aldrich lui fit signe de continuer sans nous.

« À propos, vous avez fait un travail fantastique avec Kwai Hoon, reprit-il. Il nous a assuré qu’il ne se serait jamais rendu si vous n’aviez pas été là.

— Il m’a dit qu’il vous montrerait où se cachait Chin Peng.

— Malheureusement, son campement était abandonné quand nos hommes sont arrivés. Mais nous pensons qu’il se trouve dans la région. D’après notre informateur, leurs principaux chefs, comme Chin Peng, ont établi leur quartier général dans les Cameron Highlands.

— Qu’attendez-vous pour les capturer, si vous savez qu’ils sont ici ? »

Il observa un instant les vallées.

« Avez-vous une idée du nombre de bungalows, de chalets, de huttes et de cabanes vides parsemant ces montagnes ? Nous ne pouvons pas les fouiller ni les surveiller tous. Chaque fois que nous avons vent d’une réunion, ils parviennent à s’enfuir dans la jungle avant notre arrivée. »

Je me demandais pourquoi il me racontait tout cela. Du coin de l’œil, je vis que Magnus et les Templer étaient déjà entrés dans la fabrique. La visite de Yugiri viendrait ensuite.

« Notre informateur nous a dit quelque chose à propos de Majuba, reprit Aldrich. Il semblerait qu’un habitant de la plantation aide les communistes, en leur fournissant des vivres, de l’argent, peut-être même des informations.

— Qui est-ce ?

— Notre informateur l’ignore.

— N’importe quel coolie pourrait les aider. Les gardes ne peuvent les surveiller constamment. Magnus a demandé des renforts de la police, mais sans succès.

— Magnus Johannes Pretorius a la réputation de tourner à son avantage les circonstances les plus défavorables.

— Que voulez-vous dire ?

— Il n’a pas été interné pendant l’Occupation. Et il a fait en sorte que les Japs ne mettent pas la main sur Majuba.

— Aritomo a intercédé pour lui.

— Nakamura Aritomo. »

Une nouvelle fois, il sourit sans aménité.

« Bien sûr. Je m’étonne que le tribunal chargé des crimes de guerre n’ait pas enquêté sur lui.

— Vous croyez que Magnus aide les communistes ?

— Il n’apprécie pas vraiment les Anglais, non ?

— Il a ses raisons pour cela.

— Et les communistes n’ont jamais attaqué Majuba. »

Aldrich leva son index.

« Pas une fois.

— Beaucoup de fermes ont également été épargnées, observai-je. Si vraiment les chefs communistes ont fait des Cameron Highlands leur base, comme vous l’avez dit, ils n’ont aucun intérêt à nous attaquer. Ils n’ont certes pas envie d’attirer l’attention.

— Certains planteurs donnent de l’argent aux communistes pour protéger leurs terres.

— Ce sont des bruits qui courent depuis le début de l’état d’urgence. Pourquoi Magnus vous intéresse-t-il à ce point ? Avez-vous la preuve qu’il paie les communistes ?

— Nous aimerions que vous soyez attentive à toute activité insolite dans la plantation, que vous nous disiez si vous avez vu ou entendu quelque chose susceptible de nous intéresser. Vous pourriez nous tenir au courant des faits et gestes de Magnus.

— Vous voulez que je l’espionne ? »

L’inspecteur chef souriait imperturbablement.

« Vous êtes bien placée pour nous aider, mademoiselle Teoh. Voilà cinq ou six mois que vous vivez ici. Vous faites maintenant partie du paysage. Votre décision de devenir l’apprentie du Jap était si insolite. Si excentrique, si je puis me permettre. Personne ne pourrait vous soupçonner de travailler pour nous. »

Je fis mine de m’en aller, mais il m’arrêta.

« Les services secrets s’intéressent aussi à votre jardinier jap. Nous serions curieux de savoir ce qu’il fabrique ici. Nous n’aimerions pas être contraints de l’expulser, n’est-ce pas ?

— Pour quel motif ? »

J’avais beau me répéter que je ne devais pas me laisser intimider, je peinais à repousser la peur qui m’envahissait. Les règlements en vigueur sous l’état d’urgence donnaient à la police des pouvoirs presque illimités dans tous les cas d’atteinte à la sécurité du pays.

« Oh, ne vous en faites pas. Je suis sûr que nous réussirons à trouver quelque chose.

— Dans ce cas, j’attendrai de voir ce que vous aurez trouvé. »

Je lui tournai le dos et me dirigeai à grands pas vers la fabrique.

 

À force de passer mon temps à Yugiri, il me semblait que le jardin avait fini d’une certaine façon par être à moi. En le montrant à des gens qui n’y avaient jamais travaillé, j’avais l’impression de violer une intimité que je ne partageais qu’avec Aritomo. Quand nous nous arrêtâmes à l’entrée de Yugiri, je fus la dernière à descendre de voiture. Je ne m’étais pas attendue à éprouver une telle répugnance à les emmener dans le jardin. J’espérais presque qu’Aritomo serait venu là pour nous dire de rebrousser chemin.

« Eh bien, si nous y allions ? » lança Templer.

J’effleurai le panneau de bois sur le mur puis poussai la porte. En entrant à ma suite dans Yugiri, tous se turent soudain.

La lumière ici semblait plus douce, plus ancienne. L’odeur mordante des feuilles jaunies des bambous imprégnait l’air. Les détours du sentier nous déroutaient non seulement dans l’espace, mais dans nos souvenirs. Au bout de quelques minutes, j’aurais presque pu croire que nous avions oublié le monde que nous venions à peine de quitter.

Lady Templer et Emily émirent des murmures stupéfaits quand nous émergeâmes du sentier au bord de l’étang. Je découvrai le jardin avec un regard neuf, à travers mes compagnons, et le talent d’Aritomo s’imposa à moi. Les six rochers étroits surgissant de l’eau me rappelèrent des doigts se tendant pour attraper quelque sabre magique jeté dans les profondeurs de l’eau. L’espace d’un instant, je me demandai pourquoi Aritomo n’avait pas suivi le conseil du Sakuteiki et limité à cinq le nombre des pierres, comme il l’avait fait dans le jardin de rochers devant sa maison.

« L’étang s’appelle Usugumo, déclarai-je. Traînées de nuages.

— Curieux nom pour un étang, dit le haut-commissaire.

— Regardez l’eau », suggéra son épouse.

Le vent était tombé et les nuages vers le bord de l’étang étaient comme les reflets de visages penchés sur un puits.

« Astucieux, commenta Templer.

— Je voulais vous demander… que signifie Yugiri ? reprit Lady Templer.

— Brumes du soir.

— Un nom encore plus évident que Traînées de nuages. J’avoue que j’attendais quelque chose de plus mystérieux.

— Yugiri est un personnage du Dit du Genji. »

Son expression polie m’apprit qu’elle n’avait aucune idée de ce dont je parlais.

« C’est le fils aîné du prince Genji.

— Comme c’est intéressant, dit-elle. Et le pavillon ? A-t-il un nom ?

— Aritomo n’en a pas encore choisi un. »

Le haut-commissaire sortit un Leica d’un sac que tenait un de ses assistants.

« Je crains que M. Nakamura n’ait interdit qu’on prenne des photos dans son jardin », dis-je.

Il me lança un regard irrité et rangea avec brusquerie l’appareil dans le sac.

Aritomo nous attendait devant sa maison, vêtu d’une robe de coton bleu foncé et d’un hakama gris. En dehors des séances de tir à l’arc, je ne l’avais jamais vu en costume japonais traditionnel.

« C’est si gentil à vous de nous avoir permis de voir votre jardin, Aritomo », déclara Emily qui me suivait de près.

Il lui sourit.

« Vous êtes toujours la bienvenue ici, Emily.

— Vous avez fait pas mal de changements, observa Magnus en nous rejoignant un instant plus tard. »

Aritomo s’inclina devant lui et les Templer.

« J’espère que Yun Ling s’est montrée un guide satisfaisant.

— Elle a été merveilleuse, assura Lady Templer. Aussi savante qu’enthousiaste.

— J’ai un professeur exigeant, dis-je en jetant un coup d’œil à Aritomo.

— Le pavillon était charmant, poursuivit Lady Templer. Vous devriez vraiment lui donner un nom. Quelque chose qui sorte de l’ordinaire.

— Le Pavillon du Ciel », déclara Aritomo.

Je le regardai avec surprise. Il hocha brièvement la tête.

« Comme c’est… oriental », dit Lady Templer.

Son regard erra sur la demeure derrière Aritomo.

« Mais votre maison ! Pour un peu, je me croirais au Japon.

— Vous avez donc été le jardinier de Hirohito ? intervint Templer.

— Il y a bien longtemps. »

Aldrich se présenta à Aritomo et ajouta :

« Plusieurs civils japonais sont en train de faire une sorte de pèlerinage dans le pays. Ils se rendent aux endroits où leurs troupes ont combattu nos gars. »

Une lueur s’alluma dans les yeux d’Aritomo.

« Qui sont ces gens ? demanda-t-il.

— Ils s’intitulent l’Association pour retrouver nos héros morts au combat, ou quelque chose dans ce genre pompeux, répondit Aldrich. Ils ont demandé à être protégés par la police pendant leurs déplacements, mais nous manquons trop d’effectifs pour nous soucier d’eux. Sont-ils entrés en contact avec vous ?

— Je n’ai rencontré aucun de mes compatriotes depuis la fin de la guerre.

— Vous n’êtes jamais retourné chez vous ?

— Non. »

Le haut-commissaire avait d’autres fermes des Highlands à visiter. Au moment de quitter Yugiri, Lady Templer me prit à part avec Aritomo.

« Pourquoi ne créeriez-vous pas un jardin pour nous, monsieur Nakamura ? lança-t-elle en le regardant avec espoir. Après ce que nous avons vu ce matin, le parc de King’s House paraît terriblement morne.

— Je suis arrivé à une période de ma vie où seul mon propre jardin m’intéresse », répliqua Aritomo.

La netteté de sa réponse décourageait toute tentative pour le faire changer d’avis.

« Votre réponse me désole », assura Lady Templer.

Elle fronça les sourcils puis me sourit.

« Mais vous, rien ne vous empêche de créer un jardin pour nous ?

— Dès qu’Aritomo estimera que je suis prête, votre jardin sera l’un des premiers auxquels je travaillerai.

— Je n’oublierai pas cette promesse, ma chère », déclara-t-elle.

Elle se tourna vers Aritomo.

« Vous devriez vraiment ouvrir votre jardin au public. Il est très dommage que vous gardiez pour vous seul tant de beauté. »

J’observais Aritomo avec attention. Son regard se voila de tristesse.

« Yugiri restera toujours un jardin privé. »

 

En me reposant sur la véranda de mon bungalow, je me demandai pourquoi Aritomo avait été troublé par les propos d’Aldrich sur ces Japonais arpentant le pays. Je pris mon cahier et le feuilletai, en regardant une fois encore les coupures de journaux et en parcourant la masse d’informations que j’avais notées. L’enveloppe bleu pâle conservée entre les pages tomba par terre. Je la ramassai et l’observai.

Je n’avais jamais dit à personne mon vrai motif pour travailler au tribunal chargé des crimes de guerre, pas même à mon père ni à mon frère. Je cherchais en fait des informations susceptibles de m’aider à localiser mon camp. J’avais espéré que mes fonctions me permettraient de parler à des criminels de guerre japonais jugés en Malaisie. Afin de mieux connaître la langue, j’avais également trouvé une Japonaise qui me donnait des cours.

La procédure judiciaire normale n’était pas strictement respectée lors des procès sur les crimes de guerre. Le tribunal accordait crédit à des informations non vérifiées et acceptait des preuves indirectes, voire de simples ouï-dire des victimes des Japonais. J’interrogeais les officiers japonais et j’enregistrais leurs dépositions, mais je m’arrangeais pour leur demander aussi s’ils avaient entendu parler de mon camp. Dans les affaires dont je m’occupais, je faisais en sorte que l’accusation soit si solide que les criminels de guerre ne puissent obtenir aucun sursis. Ma ténacité impressionnait les procureurs, mais je vis ma santé se détériorer à force de donner suite à la moindre preuve que je trouvais et d’assister à autant d’interrogatoires que possible. J’usais de cajoleries et de menaces pour convaincre les victimes récalcitrantes de témoigner contre les criminels japonais. Bien entendu, il m’était impossible de ne pas m’impliquer dans mon travail. Par moments, je n’arrivais plus à lire les dossiers tant j’étais submergée par le souvenir des peurs et des souffrances que j’avais endurées. Il fallait que je me force pour continuer à passer au crible les informations, dans l’espoir de trouver la seule chose que je cherchais. Mais il n’était jamais question du camp où Yun Hong et moi avions été emprisonnées. Quand je quittai le tribunal pour poursuivre mes études, je gardai mon cahier. Au fond de moi, j’espérais encore y trouver la réponse.

J’allai voir le capitaine Hideyoshi Mamoru le jour où il devait être pendu. Il avait été condamné à mort pour le massacre de deux cents villageois chinois de Teluk Intan, un village de pêcheurs sur la côte ouest de la Malaisie. Les témoins survivants racontèrent qu’il avait donné l’ordre à ses hommes de faire avancer les villageois dans la mer. Quand ils avaient eu de l’eau jusqu’à la taille, les soldats avaient ouvert le feu. Un villageois me dit que la mer était tellement imprégnée de sang qu’il avait fallu sept marées pour laver les taches sur les plages.

Un gardien sikh me conduisit à la cellule de Hideyoshi. Le Japonais était prostré sur un grabat en bois. En me voyant approcher des barreaux, il se redressa. Je fis signe au Sikh de s’éloigner.

« Vous semblez calme, contrairement à certains de vos collègues, dis-je à Hideyoshi.

— Ne vous faites pas d’illusions, mademoiselle Teoh », répondit-il.

Il parlait couramment anglais, et je me rappelai avoir lu dans son dossier qu’il avait effectué une partie de sa formation militaire en Angleterre. C’était un homme mince d’une quarantaine d’années. Les privations de la guerre l’avaient amaigri, comme nous tous.

« J’ai peur, oh, oui, très peur. Mais j’ai eu le temps de me préparer. Voulez-vous savoir pourquoi ?

— Pourquoi ?

— Le premier jour où je vous ai vue entrer dans la salle d’audience, j’ai su que vous feriez votre devoir sans faillir et que je serais suspendu.

— Pendu, dis-je. Pas suspendu.

— Cela ne change rien pour moi. Vous avez été dans un de nos camps, neh ?

— En effet. »

J’avais prononcé ces mêmes mots avec chacun des hommes que j’avais livrés au bourreau. Je savais maintenant quelle serait la prochaine question de Hideyoshi. Tous les prisonniers auxquels j’avais parlé me l’avaient posée invariablement en découvrant que j’avais été internée. Hideyoshi ne me déçut pas.

« Où avez-vous été envoyée ? Changi ? Java ?

— C’était en Malaisie, quelque part dans la jungle. »

Hideyoshi se leva de son grabat et s’approcha des barreaux d’un pas traînant.

« Le camp était secret ? »

Malgré les relents de sueur qu’il exhalait, je fis un pas vers lui.

« Tous les autres prisonniers ont été tués, n’est-ce pas ? continua-t-il. Comment se peut-il que vous ayez été la seule survivante ?

— Avez-vous entendu parler de ce camp ? chuchotai-je.

— Ce ne sont que des bruits. Comment les Malais les appellent-ils ?

— Khabar angin.

— Des nouvelles écrites sur le vent. »

Il hocha la tête.

« Oui, j’ai entendu parler de ces camps.

— Dites-m’en davantage à leur sujet. »

J’avais du mal à parler calmement.

« Que pouvez-vous faire pour moi en échange ?

— Je pourrais parler à quelqu’un de haut placé, peut-être obtenir la révision de votre procès.

— Quel motif pourriez-vous invoquer ? Vous avez démontré vous-même ma culpabilité à la cour. Et avec quel brio ! »

Il avait raison. Il semblerait plus que suspect que j’intercède en sa faveur. J’inspectai du regard le couloir. Il fallait que je découvre ce qu’il savait. Il le fallait absolument. Après tout ce temps, c’était la première bribe d’information qui se présentait à moi.

« Si j’écris une lettre à mon fils, la posterez-vous pour moi ? Sans censurer le texte.

— Oui, si je suis certaine que vous m’avez dit la vérité.

— Ce ne sont que des bruits, répéta-t-il comme s’il craignait de s’être trop avancé. »

Je le regardai fixement.

« Kin no yuri », dit-il.

Il traduisit ensuite ces mots, même si je savais ce qu’ils signifiaient :

« Lys d’or.

— Cela ne m’apprend rien ! »

J’avais haussé la voix. À l’autre bout du couloir, le gardien sikh me regarda. Je lui fis signe que tout allait bien.

« C’est le nom qu’on donnait au genre d’endroit où vous avez été envoyée, dit Hideyoshi. Vous devriez en savoir plus que moi à ce sujet, si vous y aviez été internée. »

Je me rendis compte que c’était tout ce qu’il savait, tout ce qu’il pouvait me dire. L’espoir qui s’était éveillé en moi un instant plus tôt, à l’idée que quelqu’un d’autre connaisse le camp où j’avais été, cet espoir se dissipa. Je m’éloignai des barreaux.

« Vous n’allez pas respecter notre accord, n’est-ce pas ? » demanda-t-il.

Je me détournai abruptement et m’en allai. Une demi-heure plus tard, je revins devant sa cellule. Il ouvrit les yeux en m’entendant l’appeler. Je lui passai de quoi écrire à travers les barreaux. Adossée à un mur, je le regardai rédiger sa lettre. Peu après, il me tendit une enveloppe bleu clair. Il regarda ma main mutilée.

« Vous devriez oublier tout ce qui vous est arrivé », dit-il.

L’adresse sur l’enveloppe était écrite en anglais et en japonais.

« Quel âge a votre fils ?

— Onze ans. Eiji allait sur ses quatre ans, la dernière fois que je l’ai vu. Il n’aura aucun souvenir de moi. »

Je soupesai l’enveloppe.

« Je pensais que ce serait plus lourd.

— De quelle quantité de papier a-t-on besoin pour dire à son fils qu’on l’aime ? » répliqua-t-il.

En le regardant, cet homme qui avait ordonné le massacre d’un village entier, je ressentis une profonde tristesse pour lui, pour nous.

Quand les gardiens vinrent le chercher, Hideyoshi me demanda de l’accompagner. J’hésitai puis hochai la tête. En longeant le couloir, nous passâmes devant les autres prisonniers dans leurs cellules. Quelques-uns se mirent au garde-à-vous et lui firent un salut militaire derrière les barreaux. Hideyoshi regardait droit devant lui, en remuant sans bruit les lèvres.

Quand nous émergeâmes dans la cour à l’arrière de la prison, le carnage du couchant rougissait le ciel. Hideyoshi s’arrêta et leva les yeux, comme pour s’imprégner de la lumière des premières étoiles du soir. Les gardiens le poussèrent sur les marches menant à la potence. Une fois sous la corde, ils la nouèrent autour de son cou. Il trébucha mais reprit son équilibre. L’un des gardiens lui tendit un bandeau pour les yeux. Hideyoshi secoua la tête.

Un moine bouddhiste, chargé d’accomplir les rites lors de ces exécutions, se mit à prier. Il égrenait son chapelet à mesure que les prières s’élevaient dans l’air. Je me laissai bercer par sa mélopée. Nous nous regardâmes, Hideyoshi et moi, jusqu’au moment où la trappe s’ouvrit et où il tomba dans un abîme que lui seul pouvait voir.

 

Je fus arrachée à mes souvenirs par la sirène annonçant la fin de la journée de travail. En rentrant dans ma chambre pour ranger mon cahier, je restai un instant à regarder l’aquarelle de Yun Hong. Je reconnus l’agitation qui s’emparait de moi. C’était un signe avant-coureur des périodes où le désespoir me submergeait, avant que je m’installe dans les Highlands. Je savais quand ces accès étaient imminents, quand ils apparaissaient, menaçants, à l’horizon de ma pensée.

J’enfilai un gilet, nouai une écharpe autour de mon cou et marchai jusqu’à Yugiri. Des amoncellements de nuages semblaient pris au piège entre les cimes. Je m’attardai un instant près de l’étang Usugumo. Le jardin paraissait plus vaste, maintenant que l’étang était rempli, et je me rendis compte que ce miroir d’eau constituait une autre forme de shakkei, qui empruntait au vide pour créer du vide. Les pierres et les cailloux dont nous avions tapissé le fond étaient à présent sous la surface. J’éprouvais une profonde satisfaction à l’idée que nous avions tout fait dans les règles, même si les fruits de nos efforts n’étaient pas visibles. Les pierres englouties conféraient à l’eau un caractère différent, comme si elle était plus dense, plus ancienne, refermée sur ses secrets.

Perché sur une patte dans la partie la moins profonde de l’étang, le héron gris faisait sa toilette. Il s’interrompit, me regarda puis se remit à se contempler dans l’eau. Pour une raison ou pour une autre, il était resté dans la région et retournait toujours à l’étang après s’être absenté un ou deux jours.

L’air retentissait des crissements des grillons. Je vis quelque chose bouger sur la rive opposée. Je me raidis, prête à m’enfuir si nécessaire. Un instant plus tard, Aritomo émergea de derrière les fougères. Je poussai un soupir de soulagement et me détendis. Comme le héron, Aritomo s’immobilisa et m’observa par-dessus l’eau. Puis il se dirigea vers moi.

L’humidité du crépuscule embrumait l’atmosphère et ployait chaque feuille du jardin sous le poids de la tristesse d’un nouveau jour touchant à sa fin. Aritomo s’arrêta près de moi et regarda le héron en s’appuyant sur sa canne. Pour la première fois depuis que je le connaissais, il me sembla qu’il n’était plus jeune.

« “Un étang gardé par un oiseau aquatique apportera la paix à la maison” », murmurai-je en me rappelant un des conseils du Sakuteiki.

Il sourit, et des rides apparurent à la commissure de ses lèvres. Pendant un instant hors du temps, je le regardai droit dans les yeux et il me fixa avec la même concentration qu’il mettait à examiner la cible avant de décocher sa flèche.

Au-dessus des montagnes les plus hautes, la lumière du jour achevait de s’effacer du ciel.

« Le Pavillon du Ciel… Ce nom aurait enchanté Yun Hong.

— J’en suis heureux. »

Le héron battit une ou deux fois des ailes pour les dégourdir, avec un bruit qui retentit au milieu des arbres. Des gouttelettes tombèrent de ses pattes quand il s’envola, en dessinant sur l’eau des cercles qui se chevauchèrent brièvement.

Notre attention fut attirée par un mouvement au-dessus de nos têtes, plus haut que le héron. Nous levâmes tous deux en même temps notre visage vers le ciel. Aritomo désigna un point du bout de sa canne, pareil à un prophète de quelque pays antique. Dans les confins de l’orient, où la nuit régnait déjà, des traînées lumineuses se déployaient. Quand je compris ce dont il s’agissait, un soupir m’échappa.

C’était une pluie de météores, des flèches de lumière décochées par des archers à l’autre bout de l’univers. Elles s’enflammaient en transperçant le bouclier de l’atmosphère. Des centaines d’entre elles se consumèrent à mi-chemin, en répandant leur éclat le plus vif à l’instant de mourir.

Tandis que nous restions là, la tête renversée en arrière, le visage éclairé par la lumière d’antiques étoiles et les feux mourants de ces fragments d’une planète depuis longtemps détruite, j’oubliai où j’étais, ce que j’avais enduré, ce que j’avais perdu.

« Mon grand-père m’a appris les noms des planètes et des étoiles, dit Aritomo. Nous nous asseyions souvent dans son jardin la nuit, à observer les amas lumineux du ciel avec son télescope. Il était très fier de ce télescope.

— Dites-moi leurs noms. Montrez-les-moi.

— Les étoiles sont différentes, ici. »

Son regard erra de nouveau à travers le ciel, et je me demandai si le chagrin que j’entendais dans sa voix l’accompagnerait jusqu’à son dernier jour.

« Dans l’un des jardins qu’il a créés, reprit-il un instant plus tard en continuant de contempler le ciel, mon grand-père n’utilisa que des pierres blanches. Complètement blanches, presque lumineuses. Il les disposa de manière à reproduire les constellations qu’il préférait : le Van, le Ciseau du Sculpteur, l’Enceinte pourpre interdite. »

Ces noms semblaient comme des offrandes au dôme se déployant au-dessus de nous.

« Il voulait que les gens visitant ce jardin aient l’impression de se promener dans le ciel nocturne. »

Le torrent d’étoiles filantes se tarit, mais le ciel resta lumineux, comme s’il avait gardé en lui l’éclat des météores. Peut-être cette lumière n’était-elle pas prise au piège dans le firmament mais dans notre regard, notre mémoire.

« Mon amah prétendait que ces météores étaient néfastes, dis-je. Elle les appelait des soh pa sing, des étoiles balais, car elles balayaient sur leur passage toute la chance qu’on pouvait avoir. Je n’ai jamais été d’accord avec elle. Comment quelque chose d’aussi beau pourrait-il porter malheur ?

— Ils me font penser à nos kamikazes. Mon frère en faisait partie. »

Je demandai après un silence :

« A-t-il survécu à la guerre ?

— Il a été l’un des premiers pilotes à se porter volontaire.

— Pourquoi a-t-il fait une chose pareille ?

— Pour l’honneur de la famille. »

Cette justification, si souvent avancée par les prisonniers japonais que j’avais rencontrés, m’avait toujours révulsée.

« Ce n’est pas ce que vous croyez, continua-t-il. Notre père s’est éteint peu avant que je quitte le Japon. Shizuo a estimé que sa mort était due aux ennuis que j’avais causés à notre famille. »

Il effleura les cailloux de la berge du bout de sa canne.

« Avant votre venue ici et notre rencontre, je n’avais jamais connu personnellement quelqu’un ayant perdu des amis ou des membres de sa famille pendant l’Occupation. Oh, je savais que mes compatriotes avaient maltraité des gens d’ici – les habitants des villages, les coolies de la plantation, même Magnus et Emily. Mais je ne me sentais pas concerné. J’écartais tout ce qui pouvait être déplaisant. Seul mon jardin comptait à mes yeux. »

Les premières étoiles du soir commençaient à briller faiblement, comme intimidées par le déluge de lumière qui venait de se déverser. Les yeux tournés vers le vide, j’avais l’impression que j’aurais pu rester ici jusqu’à l’aube, à tourner en même temps que la terre, à regarder les étoiles peindre leurs motifs mystérieux sur la voûte céleste.

Aritomo tendit la main et effleura brièvement ma joue. Je serrai ses doigts, l’attirai vers moi et l’embrassai. Il fut le premier à se dégager. Il recula, passa devant moi et s’éloigna dans l’ombre des arbres. Je me retournai pour le regarder se diriger vers sa maison. Il ralentit, s’immobilisa.

L’espace d’un instant, je restai moi aussi immobile. Puis je m’avançai vers lui et ensemble, en silence, nous marchâmes vers sa maison, en respirant aussi imperceptiblement que les nuages se dissipaient à la lueur des étoiles.