Pendant des années, je me suis donné une mission conjugale quotidienne et parfois même biquotidienne : faire tout pour que mon homme soit heureux. J’avais la conviction qu’un homme heureux, ça satisfait sa femme. Quand un homme est heureux, la femme (qui soit dit en passant est responsable du bonheur de tout le monde dans la maison : l’homme, mais aussi les enfants, le chat, le hamster, les petits amis qui viennent jouer, la visite et la femme de ménage) peut avoir le sentiment du devoir accompli, et ce, même si l’autre devoir (le conjugal) ne l’est pas tout à fait. (Mais ça, c’est une autre histoire !)
J’ai remarqué que plusieurs femmes n’aiment pas que « leur homme » soit contrarié et qu’elles feraient TOUT pour qu’il soit heureux. Le choix des vacances, les loisirs, les achats, le véhicule, les priorités financières, les amis que l’on reçoit à souper. J’exagère peut-être, mais je ne peux pas m’empêcher d’en arriver à la conclusion que nous ne savons pas faire autrement. Et il serait grand temps que nous l’apprenions. Admettons que notre homme décide de faire le ménage du cabanon sans nous consulter et que nous, ce samedi matin-là, nous avions prévu une séance de lecture prolongée au lit. Les deux plus vieilles ont couché chez des amies et le petit dernier écoute les bonshommes à la télévision (sur l’écran plasma géant acheté par l’homme le mois dernier, mais ça aussi, c’est une autre histoire). L’homme s’est levé avec son méga-projet en tête. Il s’est fait un café, il a lu le journal rapidement et il a commencé sans vous attendre… il croyait que dès que vous entendriez les bruits du dur labeur, vous sortiriez du lit, vous vous feriez une queue-de-cheval, avaleriez un croissant en vitesse et hop, vite dans la cour pour assister l’homme dans son projet. Même sachant tout cela, ce matin, vous avez décidé de vous en tenir à votre plan de la veille : paresser au lit et lire une cinquantaine de pages de ce livre qui vous plaît tant. Quand vous vous lèverez pour aller à la salle de bains, votre homme sera par hasard dans la cuisine et vous dira qu’il a commencé le grand ménage du cabanon. Sous-entendant : il est content que vous soyez enfin debout. Un peu plus et il disait : « Chérie, on a commencé le ménage du cabanon. » Vous le félicitez et… vous retournez dans votre chambre.
Je suis prête à parier cent dollars que vous ne serez pas capable de lire ; vous allez devoir recommencer le même paragraphe plusieurs fois tant vous n’êtes pas concentrée, rongée par la culpabilité d’avoir contrarié votre homme. Puisque votre heure de lecture est gâchée, aussi bien aller le rejoindre dans la cour arrière. Mais vous voulez quand même briser cette mauvaise habitude de dépanneuse ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Comment faire ? Exactement ce que vous êtes en train de faire : rester au lit et lire. Mais c’est vraiment très difficile. Vous ne savez pas comment y arriver, car vous n’avez pas de modèle ; votre mère était pire que vous et vos amies sont victimes de la même maladie. Là se dresse un défi de taille : aller à l’encontre de ce qu’on vous a appris. Aller à l’encontre de ce que nos grands-mères, mères et tantes nous ont montré. Vous pensez à la fin de semaine qui commence à peine et vous n’en revenez pas : toutes les activités, tout ce qui est planifié l’a été en fonction de faire plaisir à l’homme. Et après, on traite les femmes de contrôlantes ! Votre heure de lecture-non-lecture est terminée, vous revêtez vos vieux jeans, vous vous faites une queue-de-cheval et vous allez rejoindre l’homme dans le cabanon.
— Enfin, te voilà ! Un peu plus et j’avais fini… J’aimerais que tu me dises si cette tablette-là est droite avant que je la visse.
Pourquoi n’utilises-tu pas ton super-niveau-multi-fonction-fluorescent-musical-nouveau-genre que tu t’es payé à même le budget familial (car un outil de ce calibre est un indispensable à toute bonne famille qui se respecte, c’est évident ! ?) ? J’ai hâte moi aussi de m’offrir la somptueuse crème anti-cou-de-poule à même le budget familial. C’est un atout majeur pour une famille, une mère avec une peau lisse, resplendissante, et qui fait dix ans plus jeune. Tu étais tellement ému de t’acheter ce gadget au début de l’été, je ne vois pas pourquoi tu as besoin de moi pour savoir si la tablette est droite. (Demande-le à ton engin supersonique, avez-vous envie de lui répondre.) Vous regardez machinalement la tablette et dites à l’homme :
— Oui, c’est beau, elle est droite, tu peux la visser.
— Après, on va déménager le barbecue. J’aimerais ça qu’il soit plus proche de la porte-patio, c’est plus pratique quand tu me donnes les ingrédients.
— Ah oui ? OK. On va déménager le barbecue. Mais ça ne peut pas attendre à demain, quand ton frère va venir souper ?
— Non, non, faut que ce soit fait aujourd’hui, absolument. On inaugure l’été !
— OK. Est-ce que c’est bien pesant, un barbecue ?
— Non, non, tu vas voir, à deux, ça va bien aller. Il faudrait aussi laver les grilles, j’ai une bonne laine d’acier pour les frotter.
— OK.
— Et puis, sais-tu ce qui me rendrait heureux ?
— Non.
— Que tu me filmes en train de faire le ménage de mon cabanon. J’aimerais ça avoir un souvenir de moi dans ma cour en train de travailler.
— OK.
Vous courez chercher la caméra vidéo. La batterie n’a pas été rechargée. Vous branchez la caméra directement sur la prise à l’extérieur du cabanon. L’homme rentre son ventre et fait semblant d’être concentré sur son établi. Il se tourne vers la caméra et fait un clin d’œil. Et vous voici en train de tourner un film familial au lieu de faire la grasse matinée en vous prélassant dans votre lit. Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour rendre son homme heureux !