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La traversée de Bacon

La manière dont un grand peintre pour son compte récapitule l’histoire de la peinture n’est jamais de l’éclectisme. Elle ne correspond pas directement à des périodes de ce peintre, bien que les périodes aient un rapport indirect avec elle. Elle ne correspond même pas à des aspects séparables dans un tableau. Ce serait plutôt comme un espace parcouru dans l’unité d’un même geste simple. La récapitulation historique consiste en points d’arrêt et passages qui prélèvent ou recréent une séquence libre.

On dirait que Bacon est d’abord un Égyptien. C’est son premier point d’arrêt. Un tableau de Bacon a d’abord une présentation égyptienne : la forme et le fond, rapportés l’un à l’autre par le contour, sont sur le même plan de vision proche haptique. – Mais voilà déjà qu’une différence importante s’insinue dans le monde égyptien, comme une première catastrophe : la forme tombe, inséparable d’une chute. La forme n’est plus essence, elle est devenue accident, l’homme est un accident. L’accident introduit un entre-deux plans, où se fait la chute. C’est comme si le fond reculait un peu dans un arrière-plan, et que la forme bondissait un peu en avant, sur un avant-plan. Toutefois cette différence qualitative n’est pas quantitativement grande : ce n’est pas une perspective, c’est une profondeur « maigre » qui sépare l’arrière et l’avant-plan.

C’est pourtant suffisant pour que la belle unité du monde haptique semble brisée deux fois. Le contour cesse d’être la limite commune de la forme et du fond sur le même plan (le rond, la piste). Il devient le cube, ou ses analogues ; et surtout il devient dans le cube le contour organique de la forme, le moule. C’est donc la naissance du monde tactile-optique : en avant-plan, la forme est vue comme tangible, et doit sa clarté à cette tangibilité (la figuration en découle, comme une conséquence). Cette représentation affecte aussi le fond pour autant que, à l’arrière-plan, il s’enroule autour de la forme, par une connexion elle-même tactile. Mais de l’autre côté, le fond d’arrière-plan attire la forme. Et là, c’est un monde optique pur qui tend à se dégager, en même temps que la forme perd son caractère tactile. Tantôt c’est la lumière qui donne à la forme une clarté seulement optique et aérienne, désagrégeante, tantôt au contraire, c’est l’ombre « malerisch », c’est l’obscurcissement de la couleur, qui entraîne et dissout la forme, la coupant de toutes ses connexions tactiles. Le danger n’est plus exactement celui de la figuration, mais celui de la narration (qu’est-ce qui se passe ? qu’est-ce qui va se passer, ou qu’est-ce qui s’est passé ?).

Figuration et narration ne sont que des effets, mais d’autant plus envahissants dans le tableau. C’est eux qu’il faut conjurer. Mais c’est aussi bien le monde tactile-optique, et le monde optique pur, qui ne sont pas des points d’arrêt pour Bacon. Au contraire il les traverse, il les précipite ou les brouille. Le diagramme manuel fait irruption comme une zone de brouillage, de nettoyage, qui doit défaire à la fois les coordonnées optiques et les connexions tactiles. Pourtant, on pourrait croire que le diagramme reste essentiellement optique, soit qu’il tende vers le blanc, soit à plus forte raison quand il tend vers le noir et joue des ombres ou des foncés, comme dans la période malerisch. Mais Bacon ne cesse pas de dénoncer dans le clair-obscur un « intimisme » fâcheux, une « atmosphère coin de feu », tandis que la peinture qu’il souhaite doit soustraire l’image « à l’intérieur et au foyer » ; et s’il renonce au traitement malerisch, c’est en raison de l’ambiguïté de cette association1. Car, même foncé ou tendant vers le noir, le diagramme ne constitue pas une zone relative d’indistinction encore optique, mais une zone absolue d’indiscernabilité ou d’indétermination objective, qui oppose et impose à la vue une puissance manuelle comme puissance étrangère. Le diagramme n’est jamais effet optique, mais puissance manuelle déchaînée. C’est une zone frénétique où la main n’est plus guidée par l’œil et s’impose à la vue comme une autre volonté, qui se présente aussi bien comme hasard, accident, automatisme, involontaire. C’est une catastrophe, et une catastrophe beaucoup plus profonde que la précédente. Le monde optique, et tactile-optique, est balayé, nettoyé. S’il y a encore œil, c’est « l’œil » d’un cyclone, à la Turner, plus souvent de tendance claire que foncée, et qui désigne un repos ou un arrêt toujours lié à la plus grande agitation de matière. Et en effet, le diagramme est bien un point d’arrêt ou de repos dans les tableaux de Bacon, mais un arrêt plus proche du vert et du rouge que du noir et du blanc, c’est-à-dire un repos cerné par la plus grande agitation, ou qui cerne au contraire la vie la plus agitée.

Dire que le diagramme est à son tour un point d’arrêt dans le tableau, ce n’est pas dire qu’il achève ou constitue le tableau, bien au contraire. C’est un relais. Nous avons vu en ce sens que le diagramme devait rester localisé, au lieu de gagner tout le tableau à la manière expressionniste, et que quelque chose devait sortir du diagramme. Et même dans la période malerisch, le diagramme ne gagne tout qu’en apparence : il reste en fait localisé, non plus en surface, mais en profondeur. En effet, quand le rideau strie la surface entière, il semble passer devant la Figure, mais, si l’on va jusqu’au pied, on s’aperçoit qu’en fait il tombe entre les deux plans, dans l’entre-deux des plans : il occupe ou remplit la profondeur maigre, et reste localisé en ce sens. Le diagramme a donc toujours des effets qui le débordent. Puissance manuelle déchaînée, le diagramme défait le monde optique, mais en même temps doit être réinjecté dans l’ensemble visuel où il induit un monde proprement haptique, et une fonction haptique de l’œil. C’est la couleur, ce sont les rapports de la couleur qui constituent un monde et un sens haptiques, en fonction du chaud et du froid, de l’expansion et de la contraction. Et certes la couleur qui modèle la Figure et qui s’étale sur les aplats ne dépend pas du diagramme, mais elle passe par lui, et elle en sort. Le diagramme agit comme modulateur, et comme lieu commun des chauds et des froids, des expansions et contractions. Dans tout le tableau, le sens haptique de la couleur aura été rendu possible par le diagramme et son intrusion manuelle.

La lumière, c’est le temps, mais l’espace, c’est la couleur. On appelle coloristes les peintres qui tendent à substituer aux rapports de valeur des rapports de tonalité, et à « rendre » non seulement la forme, mais l’ombre et la lumière, et le temps, par ces purs rapports de la couleur. Certes, il ne s’agit pas d’une solution meilleure, mais d’une tendance qui traverse la peinture en y laissant des chefs-d’œuvre caractéristiques, distincts de ceux qui caractérisent d’autres tendances. Les coloristes pourront très bien utiliser le noir et le blanc, les clairs et les foncés ; mais précisément ils traitent le clair et le foncé, le blanc et le noir, comme des couleurs, et mettent entre eux des rapports de tonalité2. Le « colorisme », ce ne sont pas seulement des couleurs qui entrent en rapport (comme dans toute peinture digne de ce nom), c’est la couleur qui est découverte comme le rapport variable, le rapport différentiel dont tout le reste dépend. La formule des coloristes est : si vous portez la couleur jusqu’à ses purs rapports internes (chaud-froid, expansion-contraction), alors vous avez tout. Si la couleur est parfaite, c’est-à-dire les rapports de la couleur développés pour eux-mêmes, vous avez tout, la forme et le fond, la lumière et l’ombre, le clair et le foncé. La clarté n’est plus celle de la forme tangible, ni de la lumière optique, mais l’éclat incomparable qui résulte des couleurs complémentaires3. Le colorisme prétend dégager un sens particulier de la vue : une vue haptique de la couleur-espace, par différence avec la vue optique de la lumière-temps. Contre la conception newtonienne de la couleur optique, c’est Goethe qui a dégagé les premiers principes d’une telle vision haptique. Et les règles pratiques du colorisme : l’abandon du ton local, la juxtaposition de touches non fondues, l’aspiration de chaque couleur à la totalité par appel de la complémentaire, la traversée des couleurs avec leurs intermédiaires ou transitions, la proscription des mélanges sauf pour obtenir un ton « rompu », la juxtaposition de deux complémentaires ou de deux semblables dont l’une est rompue et l’autre pure, la production de la lumière et même du temps par l’activité illimitée de la couleur, la clarté par la couleur…4 La peinture fait souvent ses chefs-d’œuvre en combinant ses propres tendances, linéaire-tactile, luministe coloriste, mais aussi en les différenciant, en les opposant. Tout est visuel dans la peinture, mais la vue a au moins deux sens. Le colorisme, avec ses moyens propres, prétend seulement redonner à la vue ce sens haptique qu’elle avait dû abandonner depuis que les plans de la vieille Égypte s’étaient séparés, écartés. Le vocabulaire du colorisme, non seulement froid et chaud, mais « touche », « vif », « saisir sur le vif », « tirer au clair », etc. témoigne pour ce sens haptique de l’œil (comme dit Van Gogh, une vision telle que « tout le monde qui a des yeux puisse y voir clair »).

La modulation par touches distinctes pures et suivant l’ordre du spectre, c’était l’invention proprement cézanienne pour atteindre au sens haptique de la couleur. Mais outre le danger de reconstituer un code, la modulation devait tenir compte de deux exigences : l’exigence d’une homogénéité du fond, et d’une armature aérienne, perpendiculaire à la progression chromatique ; l’exigence d’une forme singulière ou spécifique, que la taille des taches semblait mettre en question5. C’est pourquoi le colorisme allait se trouver devant ce double problème, s’élever à de grands pans de couleur homogène, aplats qui feraient armature, et en même temps inventer des formes en variation, singulières, déconcertantes, inconnues, qui soient vraiment le volume d’un corps. Georges Duthuit, malgré ses réserves, a profondément montré cette complémentarité de la « vision unitive » et de la perception singularisée, telles qu’elles apparaissent chez Gauguin ou Van Gogh6. Aplat vif et Figure cernée, « cloisonnée », relancent un art japonais, ou bien byzantin, ou même primitif : la belle Angèle… On dira que, en éclatant dans ces deux directions, c’est la modulation qui se perd, la couleur perd toute sa modulation. D’où la sévérité des jugements de Cézanne sur Gauguin ; mais ce n’est vrai que lorsque le fond et la forme, l’aplat et la Figure n’arrivent pas à communiquer, comme si la singularité du corps se détachait sur une aire plate uniforme, indifférente, abstraite7. En fait, nous croyons que la modulation, strictement inséparable du colorisme, trouve un sens et une fonction tout à fait nouveaux, distincts de la modulation cézanienne. On cherche à conjurer toute possibilité de codification, comme le dit Van Gogh quand il se vante d’être « coloriste arbitraire »8. D’une part, si uniforme soit-il, le ton vif des aplats saisit la couleur comme passage ou tendance, avec des différences très fines de saturation plutôt que de valeur (par exemple la manière dont le jaune ou le bleu tendent à s’élever vers le rouge ; et même s’il y a parfaite homogénéité, il y a « passage identique » ou virtuel). D’autre part le volume du corps sera rendu par un ou des tons rompus, qui forment un autre type de passage où la couleur semble cuire et sortir du feu. En mélangeant des complémentaires en proportion critique, le ton rompu soumet la couleur à une chaleur ou une cuisson qui rivalisent avec la céramique. Un des facteurs Roulin de Van Gogh déploie en aplat un bleu qui va au blanc, tandis que la chair du visage est traitée par tons rompus, « jaunes, verts, violacés, roses, rouges »9. (Quant à la possibilité que la chair ou le corps soit traité par un seul ton rompu, ce serait peut-être une des inventions de Gauguin, révélation de la Martinique et de Tahiti.) Le problème de la modulation, c’est donc celui du passage de la couleur vive en aplat, du passage des tons rompus, et du rapport non-indifférent de ces deux passages ou mouvements colorés. On reproche à Cézanne d’avoir manqué l’armature autant que la chair. Ce n’est pas du tout la modulation cézanienne qui est méconnue, c’est une autre modulation que le colorisme découvre. Il s’ensuit un changement dans la hiérarchie de Cézanne : tandis que la modulation chez lui convenait particulièrement aux paysages et aux natures mortes, le primat passe maintenant au portrait de ce nouveau point de vue, le peintre redevient portraitiste10. C’est que la chair appelle les tons rompus, et le portrait est apte à faire résonner les tons rompus et le ton vif, comme le corps volumineux de la tête et le fond uniforme de l’aplat. Le « portrait moderne », ce serait couleur et tons rompus, par différence avec l’ancien portrait, lumière et tons fondus.

Bacon est un des plus grands coloristes depuis Van Gogh et Gauguin. L’appel lancinant au « clair » comme propriété de la couleur, dans les Entretiens, vaut pour un manifeste. Chez lui, les tons rompus donnent le corps de la Figure, et les tons vifs ou purs l’armature de l’aplat. Lait de chaux et acier poli, dit Bacon11. Tout le problème de la modulation est dans le rapport des deux, entre cette matière de chair et ces grands pans uniformes. La couleur n’existe pas comme fondue, mais sur ces deux modes de la clarté : les plages de couleur vive, les coulées de tons rompus. Plages et coulées, celles-ci donnent le corps ou la Figure, celles-là l’armature ou l’aplat. Si bien que le temps lui-même semble résulter deux fois de la couleur : comme temps qui passe, dans la variation chromatique des tons rompus qui composent la chair ; comme éternité du temps, c’est-à-dire encore éternité du passage en lui-même, dans la monochromie de l’aplat. Et sans doute ce traitement de la couleur à son tour a ses dangers propres, son éventuelle catastrophe sans laquelle il n’y aurait pas de peinture. Il y a un premier danger, nous l’avons vu, si le fond reste indifférent, inerte, d’une vivacité abstraite et figée ; mais un autre danger encore, si la Figure laisse ses tons rompus se brouiller, se fondre, échapper à la clarté pour tomber dans une grisaille12. Cette ambiguïté dont Gauguin avait tant souffert, on la retrouve dans la période malerisch de Bacon : les tons rompus ne semblent plus former qu’un mélange ou un fondu qui viennent obscurcir tout le tableau. Mais en fait, ce n’était pas du tout cela ; le sombre rideau tombe, mais pour remplir la profondeur maigre qui entre-sépare les deux plans, l’avant-plan de la Figure et l’arrière-plan de l’aplat, et donc pour induire le rapport harmonieux des deux qui gardent en principe leur clarté de part et d’autre. Reste que la période malerisch frôlait le danger, au moins par l’effet optique qu’elle réintroduisait. C’est pourquoi Bacon sortira de cette période, et, d’une manière qui rappelle encore Gauguin (n’est-ce pas lui qui inventait ce nouveau type de profondeur ?), il laissera la profondeur maigre valoir pour elle-même, et induire toutes les possibilités de rapport entre les deux plans dans l’espace haptique ainsi constitué.

1.

E. II, p. 99.

2.

Van Gogh, Correspondance complète, éd. Gallimard-Grasset, III, p. 97 : « Suffit que le noir et le blanc sont des couleurs, aussi, car dans bien des cas elles peuvent être considérées comme couleurs… » (lettre à Bernard, juin 1888).

3.

Van Gogh, lettre à Théo, II, p. 420 : « Si les couleurs complémentaires sont prises à égalité de valeur… leur juxtaposition les élèvera l’une et l’autre à une intensité si violente que les yeux humains pourront à peine en supporter la vue. » Un des intérêts principaux de la correspondance de Van Gogh, c’est que Van Gogh fait une sorte d’expérience initiatique de la couleur, après une longue traversée du clair-obscur, du noir et du blanc.

4.

Cf. Rivière et Schnerb, in Conversations avec Cézanne, éd. Macula, p. 89 : « Toute la manière de Cézanne est déterminée par cette conception chromatique du modelé… S’il évitait de fondre deux tons par un facile jeu de brosse, c’est parce qu’il concevait le modelé comme une succession de teintes allant du chaud au froid, que tout l’intérêt était pour lui de déterminer chacune de ces teintes et que remplacer l’une d’elles par le mélange de deux teintes voisines lui eût semblé sans art… Le modelé par la couleur, qui était son langage en somme, oblige à employer une gamme de tons très haute, afin de pouvoir observer les oppositions jusque dans la demi-teinte, afin d’éviter les lumières blanches et les ombres noires… » Dans la lettre précédente à Théo, Van Gogh présente les principes du colorisme, qu’il fait remonter à Delacroix plutôt qu’aux impressionnistes (il voit en Delacroix l’opposé, mais aussi l’analogue de Rembrandt : ce que Rembrandt est à la lumière, Delacroix l’est à la couleur). Et à côté des tons purs définis par les couleurs primaires et les complémentaires, Van Gogh présente les tons rompus : « si l’on mêle deux complémentaires à proportions inégales, elles ne se détruisent que partiellement, et on aura un ton rompu qui sera une variété de gris. Cela étant, de nouveaux contrastes pourront naître de la juxtaposition de deux complémentaires, dont l’une est pure et l’autre rompue… Enfin si deux semblables sont juxtaposées, l’une à l’état pur, l’autre rompue, par exemple du bleu pur avec du bleu gris, il en résultera un autre genre de contraste qui sera tempéré par l’analogie… Pour exalter et harmoniser ses couleurs, (Delacroix) emploie tout ensemble le contraste des complémentaires et la concordance des analogues, en d’autres termes la répétition d’un ton vif par le même ton rompu » (II, p. 420).

5.

Cf. l’analyse de Gowing, in Macula 3-4.

6.

Georges Duthuit, Le feu des signes, éd. Skira, p. 189 : « la peinture, en ramenant la dispersion des teintes appelées à se reconstituer dans notre vision à de larges plans colorés qui leur permettent de circuler plus librement, tend en effet à se dégager de l’impressionnisme. L’image, toujours neuve, se crée bien plus qu’elle ne se recompose dans notre vision : la forme pourra d’autant mieux en assurer sa vigueur imprévue, la ligne, sa netteté essentielle… ».

7.

Cézanne reprochait à Gauguin de lui avoir volé sa « petite sensation », tout en méconnaissant le problème du « passage des tons ». De même on a souvent reproché à Van Gogh l’inertie du fond dans certaines toiles (cf. un texte très intéressant de Jean Paris, Miroirs Sommeil Soleil Espaces, éd. Galilée, p. 135-136).

8.

Lettre à Théo, p. 165 : « pour finir (le tableau), je vais maintenant être coloriste arbitraire ».

9.

Van Gogh, lettre à Bernard, début août 1888, III, p. 159 (et p. 165 : « au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l’infini, je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense… ») Et Gauguin, lettre à Shuffenecker, 8 oct. 1888 : « j’ai fait un portrait de moi pour Vincent… La couleur est une couleur loin de la nature ; figurez-vous un vague souvenir de la poterie tordue par le grand feu. Tous les rouges, les violets, rayés par les éclats de feu comme une fournaise rayonnant aux yeux, siège des luttes de la pensée du peintre. Le tout sur un fond chrome parsemé de bouquets enfantins. Chambre de jeune fille pure » (Gauguin, Lettres, éd. Grasset, p. 140). La « belle Angèle » de Gauguin présente une formule qui sera celle de Bacon : l’aplat, la Figure-tête cernée d’un rond, et même l’objet-témoin…

10.

Van Gogh, lettre à sa sœur, 1890 (III, p. 468) : « ce qui me passionne le plus, beaucoup, beaucoup davantage que tout le reste dans mon métier, c’est le portrait, le portrait moderne. Je le cherche par la couleur… ».

11.

E. II, p. 85.

12.

Suivant la critique de Huysmans, il y a chez Gauguin, surtout au début, des « couleurs teigneuses et sourdes » dont il a du mal à s’échapper. Bacon se heurte au même problème dans la période malerisch. Quant à l’autre danger, du fond inerte, Bacon l’affronte aussi ; c’est même pourquoi il renonce le plus souvent à l’acrylique. L’huile a une vie propre, tandis qu’on sait d’avance comment la peinture acrylique se comportera : cf. E. II, p. 53.