Chapitre II

 

– Le Monstre –

 

 

 

« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même.

Et quant à celui qui scrute le fond de l'abysse, l'abysse le scrute à son tour »

 

Friedrich Nietzsche

 

 

- Liam -

 

« À quoi pensait-elle ? »

Il pouvait facilement lire dans les esprits humains ; certaines pensées lui apparaissaient aussi nettes que les pages d'un livre dont on écrivait l'histoire au fur et à mesure. Mais là, c'était le blackout complet.

Parfois, il ne captait pas l'intégralité de celles de la jeune femme assise à ses côtés.

Le vampire avait remarqué sa déception quand il lui avait annoncé leur départ du restaurant. Lui non plus ne souhaitait pas la séparation – même momentanée – pourtant il devait au plus vite contacter Emmery avant que ce dernier n'envoie une meute de démons aux dents acérées à ses trousses.

Autre chose le retenait.

Elle sentait si bon. Une véritable friandise. Ses hormones s'éveillaient dès qu'il s'approchait d'elle. Pure réaction chimique, tout comme les battements de son cœur pulsant anormalement vite. Néanmoins, les deux combinés attiraient puissamment le monstre tapi au fond de lui, et ses instincts refaisaient aussitôt surface.

Liam devait se montrer prudent.

Par deux fois, au cours du repas, il avait failli profiter de l'intimité du salon pour céder à la tentation de goûter son sang. À sa soif se mêlait un désir tout aussi pragmatique : un débris d'humanité restant accroché au tueur qu'il était depuis plusieurs années.

Et pas le meilleur des morceaux... juste une pulsion ayant pour but de perpétuer sa descendance. Il s’écœurait.

MacDowen connaissait parfaitement l'adresse d'Anae, or il devait se méfier des faux pas. Un long entraînement à la vie parmi les humains faisait de lui un être rodé, seulement, cette potentielle « Élue » enfermée dans ce minuscule habitacle, possédait le don agaçant de le déconcentrer – chose rarissime – l'obligeant ainsi à fournir beaucoup plus d'efforts.

Se garant sur le parking de l'immeuble d'Anae, Liam perçut sa détresse et en ressentit les échos. Il ne pouvait pas passer trop de temps en sa compagnie. Pour sa propre sécurité. Lui-même finirait par devenir fou de garder ses mains... – et ses crocs – loin d'elle. Complètement irrationnel, ce sentiment de protection. Cela l'énerva.

Il la vit prendre une grande inspiration, instinctivement Liam chercha à en connaître la raison en s’immisçant dans son esprit. Peine perdue, le trouble d'Anae était si intense que toute autre réflexion en devenait floue.

C'était d'un frustrant !

Ses dons psi se retrouvaient brouillés par ses réactions physiques, du coup la bête en lui s'en remettait automatiquement à ce qu'il détectait par des moyens archaïques.

En général, les comportements primaires des humains engendraient directement des réflexes tout aussi primitifs – et bien plus dangereux – de sa part et celle des siens.

— Vous souhaitez prendre un café avant de partir ? murmura-t-elle, le regard plein d'espoir.

C'était donc cela ! songea-t-il.

Anae ne souhaitait pas son départ. Se sentait-il capable de résister aux désirs de sang de son « monstre » ? Plus inquiétant, était-il capable d'ignorer les ondes – dont elle n'avait sûrement pas conscience – que son corps lui envoyait ?

Ce qu'éprouvait la jeune femme lui arrivait en pleine figure tel un boulet de canon.

Les humains ignoraient, pour une grande majorité d'entre eux, l'existence des signaux physiologiques, bien qu'ils en fassent usage inconsciemment. Surtout quand ils désiraient fortement une personne du sexe opposé. Tout y passait : mimiques gestuelles, réactions corporelles distinctes, éveil des phéromones… Lui et ses semblables en décodaient aisément le langage de manière instinctive.

En résumé, ils étaient les prédateurs idéaux du genre humain.

MacDowen s'exhortait au sang-froid, ce type de comportement déclenchait automatiquement aux tréfonds de ses entrailles une soif brûlante combinée à une faim purement physique. Tout pouvait déraper rapidement !

C'était là le nœud du problème lié à sa race... Un souci que rencontraient certains insectes également, prenant exemple mentalement sur les mantes religieuses dont les partenaires s'en sortaient rarement vivants après l'acte. Chez eux, c'était quasi-identique.

Il n'existait qu'un seul cas de figure pour éviter ce genre de fin, toutefois le résultat qui en découlait était bien plus horrible que de se retrouver sans une goutte de sang. Liam fut soucieux des conséquences de sa véritable nature pour la première fois de son existence.

Il ne devait absolument pas la suivre chez elle.

Il céda pourtant en se traitant de fou furieux masochiste.

— Avec plaisir, répondit-il en décochant au passage un sourire séducteur, chose dont il aurait pu se passer... néanmoins, il eut la joie de la voir de nouveau rougir.

Il avait remarqué que les joues d'Anae rosissaient régulièrement en sa présence, ce qui ne lui déplaisait pas, bien au contraire.

Ils gravirent silencieusement les marches menant à son petit appartement.

Une fois sur le palier, Liam huma l'air. Une étrange odeur avait laissé sa marque. Un relent fort et acide. Qui était venue chez Anae ? Dans tous les cas, ce n'était pas humain mais... indubitablement canin.

Ses poils se hérissèrent, ses pupilles se dilatèrent et instinctivement, son corps se tendit, prêt à l'attaque.

 

***

 

- Anae-

 

Je suis complètement cinglée !

J'ouvris anxieusement la porte d'entrée, m'effaçant vivement pour laisser le passage à Liam. Il pénétra dans notre minuscule studio, de sa démarche souple et silencieuse malgré une attitude tendue. Je le vis jeter un rapide coup d’œil circulaire, genre : la voie est libre ? Il s'attendait donc à quoi ? À voir une myriade d'hommes dans mon salon ?

J'étais désarçonnée par son comportement bizarre.

MacDowen dut sentir ma contrariété car il esquissa un sourire rassurant, le regard radouci.

— Alors ce café ? lança-t-il joyeusement.

— Il arrive tout de suite, lâchai-je avec empressement. Installez-vous, j’en ai pour deux minutes !

Du coin de l’œil, je l'observai à la dérobée depuis la kitchenette. Il paraissait encore plus grand dans l'appartement exigu. Liam ôta sa veste et je ne pus m'empêcher de l'admirer. Mon cœur se mit à battre plus vite, il se raidit immédiatement. Avait-il surpris mon regard ? Je détournai rapidement les yeux afin de me concentrer sur la préparation du café.

— Qui est-ce ? m'interpella-t-il subitement, tout en me tendant une photo de mon amie.

— Mélissa, ma colocataire

— Ah. Et... elle a un fiancé ?

J'espérai que c'était là seulement de la curiosité et m'obligeai donc à ignorer la soudaine jalousie que j'éprouvai.

— Oui. Max Stevant, il est courtier en assurance. Mel a repris ses études pour être expert-comptable.

J'aurais voulu me faufiler dans l'esprit de Liam pour connaître la raison de son soudain froncement de sourcil.

— Pourquoi ? demandai-je.

Cette question m'avait brûlé les lèvres.

Je m'avançai vers lui, deux tasses de café fumant dans les mains. Lorsque je fus assez proche, je lui en tendis une qu'il prit distraitement, me remerciant d'un sourire à tomber raide.

— Simple curiosité. J'essaie de connaître l'environnement d'Anae Leffroy, dit-il, amusé. Mademoiselle Leffroy aurait-elle également quelqu'un ?

Liam avait posé la question sur un ton frôlant l'indifférence, mais un je-ne-sais-quoi dans son regard me suffit pour deviner qu'il attendait la réponse avec beaucoup d'intérêt.

— Non, il n'y a pas de « quelqu'un » dans la vie de mademoiselle Leffroy, rétorquai-je d'une voix neutre.

Je fus troublée par l'éclair de joie qui traversa fugacement les prunelles sombres de mon séduisant interlocuteur. Cependant, je n'osai pas lui renvoyer la question. Existait-il une madame MacDowen ?

— Eh bien, il semblerait que nous soyons tous deux célibataires, Miss.

Je rougis jusqu'à la racine des cheveux. Comment diable faisait-il pour deviner avec une telle exactitude ce à quoi je pensais ? J'allais vraiment finir par croire qu'il lisait dans mon esprit !

Le cours de mes pensées était-il si visible ?

Je lui envoyai un regard peu amène auquel il répondit par un large sourire faussement innocent.

— Bien que je sois certain qu'il y ait une longue liste de prétendants venant fréquemment frapper à cette porte, blagua Liam, taquin.

— Non, il est extrêmement rare que nous recevions de la visite, Mel et moi, hormis Max bien entendu.

— Oh ?

Il afficha brièvement un air préoccupé, pour redevenir tout joyeux la seconde suivante. Peut-être avais-je rêvé...

— Il faut que j'y aille… Le devoir m'appelle, annonça MacDowen avec une mimique mi-figue, mi-raisin.

Il reposa sa tasse de café qu’il n’avait pas touchée.

Nous nous penchâmes en même temps pour attraper sa veste, chose impardonnable puisque ce geste malencontreux nous colla presque l'un à l'autre.

J’en eus le souffle coupé, entrouvrant légèrement la bouche pour murmurer des excuses, mais je ne pipai mot. Je me perdis en cours de route dans l'abîme de deux lacs sombres qui s'étaient obscurcis de façon vertigineuse.

Liam se transforma en statue, toute humeur taquine disparut de son admirable visage. Son regard rétréci devint brûlant : je ne distinguais même plus ses pupilles.

Il pencha légèrement son visage vers le mien, comme s’il s'apprêtait à m'embrasser.

À cette idée, mon corps se contracta, paraissant avoir attendu ce moment toute la journée.

Nos lèvres n'étaient séparées que par quelques dérisoires millimètres.

Je n'existais plus que pour cet instant, dévorée de la tête aux pieds désirant me fondre contre lui.

Soudain, Liam se redressa, le visage défait par l'effort que cela lui coûtait.

Je dus m'asseoir afin de reprendre une respiration normale et remettre mes idées en place. J'étais complètement bouleversée... Et frustrée par ce dénouement.

MacDowen prit soin de mettre le plus de distance possible entre nous, comme si j'étais le diable en personne. Sa main serra sa veste à s'en blanchir les phalanges, la flamme de son regard n'avait pas baissé en intensité.

Une chance ! Je pus m'accrocher au moins à cette preuve pour vérifier que cette expérience avait été réelle et non une simple divagation de mon esprit tordu.

— Ça va ? s'enquit-il, d'une voix sourde.

Non, ça ne va pas du tout ! Je n'ai pas l'habitude de me consumer de la sorte pour un homme ! J'ai limite besoin d'une douche froide pour me sortir de là !

Je me contentai d'acquiescer.

— Je vous prie de m'excuser, c'est impardonnable.

— Je n'irai pas jusque-là... On est toujours deux dans ce genre de situation, parvins-je à articuler.

— Je ne veux pas vous faire de mal.

Ce fût dit d'une manière si sincère que je lui retournai un regard ahuri.

— Il n'y a pas mort d'homme.

Liam eut un bref rire cynique.

— De justesse.

Je ne comprenais pas du tout où il voulait en venir. Sans même me laisser l'occasion de m'appesantir sur le sujet, d'un geste vif, il ouvrit la porte d'entrée puis s'avança sur le palier. Soudain, MacDowen hésita et se tourna légèrement vers moi.

— Puis-je vous rendre visite demain ?

Cette requête me prit au dépourvu, je me contentai donc d'opiner une nouvelle fois : l'idée de le revoir me mettait en transe.

Il disparut immédiatement.

 

***

 

- Liam -

 

Liam appuya sur la pédale de l'accélérateur, faisant gronder furieusement le moteur.

Parfait ! C'est exactement dans cet état-là que je me sens ! pensa-t-il.

Quel imbécile ! Croyait-il vraiment pouvoir contrôler sa nature ? De plus, Emmery sentirait à des kilomètres le parfum d'Anae sur lui, à présent.

MacDowen lâcha un juron.

Tout en prenant le chemin menant aux montagnes, son esprit fonctionnait encore plus vivement que d'ordinaire. Il avait l’ébauche d'un plan, restait à savoir si cela allait marcher.

Liam poussa encore le régime de la voiture, le compteur presque à « bloc ».

Et dans un crissement de pneus, il arrêta le véhicule. Des graviers volèrent un peu partout dans son sillage.

À une vitesse bien trop rapide pour l’œil humain, il sortit de la voiture puis traversa l'allée en contournant la fontaine agrémentée d'angelots.

Lorsqu'il atteignit le seuil de l'entrée du gigantesque manoir, une personne tout aussi véloce que lui s'interposa entre le vampire et la lourde porte en chêne.

— Oh... le retour de l'enfant prodigue, siffla une voix qu'il connaissait bien.

Arthem Quanvenimp. Grand, blond, élancé. On ne devait pas se fier aux allures de dandy de ce dernier : elle cachait une force aussi puissante qu'un esprit retors, voire malsain. Même ses yeux bleu clair candides étaient un formidable trompe-l’œil.

— Arthem...

Le regard de Liam devint orageux. Il haïssait viscéralement l'être face à lui. Avec un timbre plus bas que de coutume, il poursuivit :

— Laisse-moi passer.

Le blondinet eut un sourire mauvais, dévoilant ses crocs brillants.

— Sinon quoi ?

— Provoque-moi un peu et tu le sauras bien assez vite... menaça Liam, dangereusement calme.

Arthem plissa le nez.

— Tu sens la viande... Un peu tôt pour souper, non ? susurra-t-il

Liam se tendit, sentant son instinct décupler ses forces, en prévision d'un combat.

— A moins que... à moins que tu ne l'aies trouvée.... dit brusquement l'horrible éphèbe d'une intonation flûtée.

MacDowen resta muet, continuant de fixer son interlocuteur adossé à la porte.

Soudain, Quanvenimp battit des mains avec une joie mauvaise, prenant son silence pour une réponse affirmative.

— Pousse-toi de mon chemin ! rugit Liam de sa voix de vampire, le buste penché en avant, prêt à l'attaque.

Arthem riposta par un sifflement jaillissant d'entre ses crocs, néanmoins il disparut, ne laissant derrière lui qu’une brume bleuâtre et un rire sardonique.

Liam poussa d'un petit geste l'immense porte en bois. S’il avait octroyé à un être humain le même mouvement, il lui aurait très certainement broyé les os. Sa force allant de pair avec sa fureur.

Toutes les prouesses physiques dont il était capable étaient disponibles sur « demande » ou sous l'effet de la colère.

Il traversa le salon bondé de ses semblables. Les membres de son clan.

Le vampire atteignait l'antre d'Emmery quand une main s'abattit sur son épaule. Nul besoin de se retourner pour identifier sa propriétaire.

— Yléonnore.

— Liam... Enfin de retour.

Il se retourna vivement, sur ses gardes.

— Il le faut bien.

Ses prunelles onyx croisèrent celles aux teintes rubis d'Yléonnore. D'ailleurs, sa tenue – un long fourreau grenat – s'accordait merveilleusement à la couleur de ses iris. Impossible de deviner les pensées que cachaient ces traits d'une perfection rare. Une perfection le laissant pourtant de glace. La vampire « Oracle » de leur clan parvenait à dérober ses réflexions, chose frustrante pour le fils d'Emmery.

— Alors, comme cela tu l'as trouvée... murmura la créature exsangue, en faisant quelques pas autour de lui.

— Je suppose.

Yléonnore s'arrêta puis lui jeta un regard interrogateur.

— Tu supposes ? Donc tu n'es pas sûr qu'elle le soit... Est-ce cela que tu insinues ?

— Je vois que tu m'as parfaitement compris.

— Tu portes son odeur.

Silence.

— L'as-tu...

— Non ! s'écria Liam.

Si Yléonnore fut surprise par la réaction de MacDowen, elle n'en montra rien. Elle se remit à lui tourner autour, sa main éthérée glissant sur lui, depuis son torse. Tout en laissant courir ses doigts, elle esquissa un sourire découvrant de petites canines étincelantes.

— Tu as toujours eu une force de caractère hors du commun, mon cher Liam. Cette façon incroyable de canaliser ta soif... Trêve de bavardage, Emmery t’attend, lâcha-t-elle subitement.

Liam pénétra donc dans l'antre d'Emmery, après son altercation avec l'Oracle.

Assis dans un confortable fauteuil, le plus ancien des leurs fixait d'un air absent les flammes dansant dans l'âtre.

— Ainsi tu l'as trouvée… constata-t-il, en guise d'accueil.

Liam devina qu'il était au fait de tout ce qui venait de se passer depuis son arrivée.

— Si l'on peut dire.

Toujours dans la même position, sans se retourner vers lui, Emmery lui fit signe de s'approcher. Liam s'exécuta à contrecœur.

— Pourquoi cela te répugne-t-il de l'admettre ? prononça son père avec une inflexion trop douce pour être honnête.

— Parce que je n'en suis pas sûr.

Emmery se décida enfin à regarder Liam en face, tout en haussant un sourcil.

— Tu oses me mentir avec un tel aplomb ?

— Je ne te mens pas.

— Tu remets en doute la parole d'Yléonnore ?

— Yléonnore peut se tromper, rétorqua MacDowen.

— L'Oracle non.

— C'est la même chose, déclara Liam, d'une voix glaciale.

Le vampire chef du clan des Ombres Brumeuses se leva de son fauteuil, contrarié.

— Que me caches-tu ?

— Absolument rien.

— Tu mens encore !

Cette fois, la voix d'Emmery n'était qu'un grondement rauque, menaçant.

Les deux vampires se défièrent du regard.

— Il va falloir que tu prouves ce que tu avances... Avec tout ce que cela implique, annonça Emmery, le ton lourd de sous-entendus.

— Il en est hors de question ! coupa MacDowen.

Emmery se servit un verre d'un liquide rougeâtre et sirupeux. Il était aisé de deviner qu'il s'agissait là de sang humain.

Il porta le verre de cristal à ses lèvres, mais suspendit soudain son geste, ses yeux violets verrouillés sur son fils.

— Nous avons donc un problème. Je ne puis te croire uniquement sur parole, sans l'ombre d'une preuve. Ou c'est la preuve, ou... la trahison.

— Je prends la deuxième option.

— Hors de question.

— Alors oui, nous avons un problème, en effet.

Le chef vampire s'approcha de lui.

— Comment sais-tu qu'elle n'est pas une Élue ?

— Je n'ai pas… senti chez elle… le genre de capacités propres aux Élues.

— Depuis quand es-tu un spécialiste sur le sujet ? Tu n'es donc pas attiré par elle?

Liam demeura silencieux, se contentant de fixer un point par-dessus l'épaule de son chef.

— Évidemment ! lâcha Emmery, ironique. Que tu le veuilles ou non, elle passera les épreuves.

— Elle n'y survivrait pas.

Liam contenait sa fureur, à grande peine.

— Et alors ?

Le chef des Ombres Brumeuses ne cachait pas son indifférence. MacDowen bouillait de rage.

— Je ne le permettrai pas !

— Tu ne le... commença Emmery, très étonné, avant d'éclater de rire.

Liam fronça les sourcils, perplexe. Il s'attendait à tout sauf à ce gloussement bruyant.

— C'est donc ça... murmura-t-il, songeur.

— Quoi ? grommela Liam.

— Tu t'es entiché d'elle... Mais jusqu'à quel point ? continua Emmery sur le même ton.

— Baliverne.

Les lèvres de son père dévoilèrent ses crocs acérés.

— Tu mens très mal, Liam. Je te pensais au-dessus de ce genre... d'inclinaison, fils. La veux-tu ?

Piège, songea Liam.

— Dans quel sens ? s'enquit-il, lentement.

— Dans le sens où elle pourrait survivre à votre accouplement, fit son père, sarcastique.

Si Liam avait possédé la capacité de rougir, il aurait certainement eu le visage en feu, à cet instant précis.

— Tu me proposes d'en faire l'une des nôtres ?

Emmery haussa un sourcil.

— Je crains que tu n'aies pas d'autre choix en perspective. Seul le souhait de l'avoir pour compagne peut la sauver de son destin. Et même si tu tentes de provoquer un conseil pour félonie, cela ne changera en rien son futur.

Gagner du temps ! se dit Liam.

— Soit, je la veux.

Un silence pesant s'installa dans la pièce, seuls les crépitements du feu résonnaient.

— Qu'il en soit ainsi, accepta Emmery, déçu du changement imprévu de ses plans initiaux.

— Seulement je sollicite une faveur, enchaîna rapidement MacDowen, je déciderai moi-même de l'heure de la transformation.

De nouveau, un silence s'abattit dans le bureau. Le chef se contenta de sourire, mais un sourire dénué de bienveillance.

— J'accède à ta requête... à la seule condition que tu te plies également à la mienne.

Liam se raidit.

— Laquelle ?

— Je veux que tu me présentes cette perle rare qui a su t’émouvoir.

 

***

 

- Anae -

 

Je regardais le tableau d'un blanc immaculé devant moi, un bout de fusain dans la main droite, tout en sachant pertinemment ce que je désirais dessiner. Le visage de Liam s'imposa naturellement à moi. Ma main vola sur le morceau de toile et je ne vis plus le temps passer. Totalement absorbée par l'exercice consistant à transformer ce support créatif en un souvenir indélébile de cet homme mystérieux. Homme qui hantait mon esprit à chaque instant. Malgré son absence, je restais étrangement connectée à lui par un lien invisible.

— Mhm... Beau mec.

Je sursautai, telle une enfant prise en faute.

C'était Mélissa.

Un sourire embarrassé étira mes lèvres.

Vêtue d'un jogging, le visage en sueur, les écouteurs de son MP3 pendaient sur sa poitrine. Ses cheveux auburn se collaient sur son front.

— Tu es allée faire un footing à cette heure ? lui demandai-je, étonnée.

— Oui, soupira mon amie, en se laissant tomber mollement sur mon lit. Je me suis disputée avec Max cet après-midi. Les hommes, tous les mêmes... Qui est-ce ? m'interrogea-t-elle en désignant mon tableau du menton.

— C'est… une personne que j'ai rencontrée aujourd'hui. Il a acheté une de mes œuvres.

Les yeux de Mélissa s'arrondirent et son air stupéfait me fit rire.

— Attends que je t'annonce le prix... deux mille euros, m'esclaffai-je franchement.

— Sainte-Mère !

— Oui, hein...

J'étais un rien goguenarde.

Mon amie vint se placer à mes côtés, afin de mieux admirer le portrait de Liam MacDowen. J'avais réussi à reproduire son regard à la fois amusé mais impénétrable, son côté ténébreux et son sourire charmeur.

— Est-il venu ici ?

— Euh... Oui, comment le sais-tu ?

Il y eut un petit silence.

— À cause des deux tasses de café ! gloussa Mélissa.

— Oh !

Je reniflai bruyamment en direction de mon amie.

— Une douche ne serait pas du luxe, très chère ! Vous empestez le fauve !

La jeune femme pouffa.

— Tu n'as pas tort, surtout que Max passe dans une heure.

— Déjà réconciliés ? fis-je, surprise.

Elle me lança un clin d’œil.

— Rien de tel qu'une pause câlin sur le chemin du retour pour arranger les choses... Une chance que je l'ai croisé ! Bon, je file me laver.

— Ne lésine pas sur le savon ! lançai-je hilare, lorsqu'elle sortit de ma chambre.

Une fois seule, je contemplai à nouveau le visage de Liam. Il désirait me revoir le lendemain... Et moi, je voulais déjà y être. Comment un parfait inconnu, il y a à peine quelques heures, pouvait-il me manquer à ce point ?

Avais-je perdu l'esprit ? En soi, cela n'aurait pas été une nouveauté... j'avais toujours eu cet étrange sentiment de ne pas être à ma place dans cette vie... et donc en concluait que la folie était la réponse à toutes mes bizarreries.

Jetant un coup d’œil à mon réveil, je remarquai qu'il était grand temps de me sustenter. Bientôt vingt et une heures.

Je me rendis dans notre petite cuisine, tellement plongée dans mes pensées que je ne vis qu'après coup le corps dans lequel je me heurtai.

— Ouille !

Je levai les yeux.

— Max ! Désolée !

Stevant était d'une taille et d'une carrure moins impressionnante que Liam, sans être dépourvu totalement d'attraits. Cependant, il n'atteignait pas le dixième du charisme de celui présent à chaque seconde dans mon cerveau, désormais lobotomisé.

Les filles pouvaient facilement craquer pour cet homme à l'air juvénile, la tignasse noisette et aux yeux amicaux.

— Mel prend une douche... Crois-moi, elle en avait rudement besoin !

À ces paroles, Max plissa le nez.

— Je te crois... une véritable infection !

Nous éclatâmes de rire.

— Tu veux boire quelque chose ? J'allais me préparer un petit truc à grignoter… Profite de ma motivation si t'as un creux.

— C'est gentil de ta part mais j'ai déjà avalé un sandwich avant de venir. Par contre, je veux bien une bière.

J'ouvris le réfrigérateur puis lui tendis une bouteille. Sur ce, Mélissa apparut, fraîche et pimpante.

— Déjà ?!

— Hors de question d'être en retard pour admirer Bruce Willis ! lança mon amie en roulant des yeux de façon comique.

Max toussota afin de signaler son agacement.

— Je ne sais pas ce que tu lui trouves.

— Pour cela, il faudrait que tu sois une femme, chéri, susurra la jeune femme.

— Si je comprends bien, vous allez voir un film ?

— Tu veux te joindre à nous ? me proposa son petit ami.

L'idée de tenir la chandelle au couple ne me séduisait pas le moins du monde.

— Non merci, la seule cascade dont j'ai envie c'est celle de patauger dans un bain brûlant.

— Et surtout, elle a un rencard avec un homme beau comme un Dieu.

Mélissa avait chantonné cette phrase tout en me jetant un regard appuyé. Faisant certainement allusion au tableau se trouvant dans ma chambre, je ne pus m'empêcher de rougir. Max se tourna vers moi, perplexe.

— Ne l'écoute pas, grommelai-je.

Mon amie riait encore lorsqu'ils sortirent tous deux de l'appartement.

Quelques minutes plus tard, je me glissai avec délice dans l'eau chaude et parfumée de mon bain. Je m'amusai un instant avec la mousse et mes pensées dérivèrent vers monsieur MacDowen...

Que faisait-il en ce moment ?

Pensait-il à moi ? Est-ce que je lui manquais ?

 

***

 

- Liam -

 

Espèce de pervers ! s'étrangla mentalement Liam.

Il avait, heureusement pour lui, détourné le regard avant qu’Anae ne commence à s'effeuiller afin de prendre son bain.

Il avait eu dans l’idée de s'annoncer, mais le silence régnant dans l'appartement l'oppressait. L'odeur étrange, voire répugnante, ultra présente, l'avait aussitôt mis sur la défensive. Il s'était donc dispersé en une brume discrète.

Évidemment, il était tombé rapidement sur Anae, dans la salle de bain... Soudainement incapable de sortir de la minuscule pièce, même en comprenant ce qu'elle s'apprêtait à faire.

Un vrai psychopathe en puissance, voyeur, qui plus est.

Décidément, il se reconnaissait de moins en moins dans ses propres réactions.

Il restait là, tapi dans l'ombre de la pièce, à la dévorer du coin de l’œil, souffrant le martyre.

Heureusement, la jeune femme était camouflée par des collines de mousse savonneuse, sinon il n'aurait pas donné cher de son self-control.

À cet instant précis, il n’aurait pu dire quel désir était le plus puissant : celui de goûter son sang ou celui de goûter sa peau ?

Il devait se sortir de là avant de perdre la raison et laisser cette partie obscure de lui-même prendre le dessus.

Ce fut en une brume discrète qu'il échappa au supplice, glissant sous la porte. Anae ne perçut rien, les yeux fermés, perdue dans son monde intérieur.

Une fois sur le toit, Liam respira l'air glacial. Sans pouvoir en apprécier pleinement la froideur vu la brûlure du désir irradiant entièrement son être.

À ce rythme, il ne tiendrait pas longtemps. Plus il voyait la jeune femme, plus il la voulait ardemment. Et de toutes les manières possibles : son sang, son corps, son âme.

Loin d'elle, la situation ne faisait qu'empirer. S'était-il imprégné de façon excessive ? Devait-il céder à son égoïsme et faire d'Anae sa compagne pour l'éternité ?

L'idée devenait plus que séduisante.

Liam devait tout d'abord procéder par étape : la première étant de lui avouer sa véritable nature. Elle serait probablement terrifiée, comme dans cette ruelle sombre, lorsqu'il avait emprunté sa forme animale favorite. Le temps jouait contre eux, Emmery ne lui avait offert qu'un piètre répit avant la date butoir de la « rencontre ».

Tout dépendrait également de sa façon d'accepter la chose. Accepter ou rejeter l'improbable réalité.

Dans tous les cas, il la protégerait de tout, voire de lui-même.

Incapable d'attendre le lendemain pour être de nouveau près d'Anae, il décida, cette fois-ci, d'entrer chez elle d'une façon plus « humaine ».

 

***

 

- Anae -

 

— Il y a quelqu'un ?

Cette voix !

Je me redressai brusquement dans la baignoire, envoyant valser une gerbe d'eau. Et lâchai un chapelet de jurons, car dans ma panique, je faillis tomber en me jetant sur une serviette. J'avais de la mousse partout et quelques mèches de mes cheveux collaient à ma nuque.

— Je... j'arrive ! criai-je, désespérée à l'idée qu'il rebrousse chemin en pensant l'appartement désert.

Serrant maladroitement le tissu éponge autour de mon corps trempé et parsemé de bulles de savon, je me précipitai dans le salon tant bien que mal. Le carrelage ressemblait soudain à une patinoire.

Au vu de son expression à mon apparition, je crûs un instant paraître affreuse.

— J'étais dans mon bain… tentai-je de me justifier, en essayant de me donner une contenance.

— C'est ce que je constate.

Liam semblait s'asphyxier, son regard n'étant plus qu'un abîme de ténèbres.

Je percutai enfin que sa réaction avait plus un rapport avec la « légèreté » de ma tenue qu'autre chose. Je rougis violemment à cette idée.

— Je... je... mettre... habits… bredouillai-je, cillant sous les prunelles incendiaires.

— Excellente idée, persifla-t-il, hors de lui.

Avant de pouvoir amorcer le moindre mouvement de repli, Liam se retrouva contre moi à une vitesse étourdissante.

Je me collai instinctivement contre le mur du couloir, le cœur menaçant d'exploser à chaque seconde. Il posa les mains de chaque côté de mon visage, prenant également appui sur la cloison.

Il s'approcha de moi, une lueur ardente dans les yeux. Je frissonnai, troublée, me perdant dans un imbroglio hormonal. La proximité de Liam m'électrisait jusqu'à annihiler toute pensée cohérente.

— Vous n’avez pas idée à quel point ce genre d'acte irréfléchi vous met en danger en ma présence.

Sa voix basse laissait un goût amer de menace à peine voilée.

— De quoi devrais-je avoir peur ? soufflai-je, loin d'être effrayée pourtant.

Il répondit en emboîtant son corps au mien.

— Ne sens-tu pas ? chuchota Liam, son visage contre le mien.

Il ne me vouvoyait plus. Nous venions de franchir une ligne invisible.

— Quoi donc... ?

Ma voix dérailla.

— À quel point je suis différent des autres hommes...

Je peinais à le suivre.

Liam perçut mon incompréhension. Il saisit alors délicatement ma main droite, sans me lâcher du regard, puis la posa sur la fine étoffe de sa chemise noire.

Je regardais, fascinée, mes doigts fébriles sur sa poitrine.

— Là, sens-tu quoi que ce soit ?

Je secouai doucement la tête, où voulait-il en venir ?

Avec un air sombre, il plaça cette fois-ci ma main sur ma propre poitrine où je ressentis les battements affolés de mon cœur.

Mes yeux s'arrondirent lorsque je réalisai brusquement ce qu'il tentait de me faire comprendre depuis plusieurs minutes. Pourquoi n'avais-je pas senti les siens ?!

Son regard me scrutait, tendu.

D'un bond incroyable, il recula. Il se retrouvait maintenant à l'autre bout de la pièce. Je clignai plusieurs fois des paupières, totalement dépassée. Comment avait-il réussi ce saut prodigieux ?

— Ne vois-tu pas ce que je suis... ? s'enquit-il, doucement.

— Explique-moi !

Il eut un rire désabusé.

— Je ne suis pas humain, Anae.

— Co... comment ça ?

— Ce cœur... précisa-t-il en désignant sa poitrine, n'a jamais battu.

Liam s'avança vers la fenêtre, les yeux perdus dans le vague.

— Je suis un monstre qui ne devrait pas exister, hormis dans la littérature fantastique. Pour faire simple : je suis un vampire.

— C'est impossible ! m'écriai-je, en faisant un pas dans sa direction.

Un sourire sinistre étira ses lèvres.

— Je me nourris de sang.

Cet aveu me coupa le souffle.

— Un... un vampire ? couinai-je, hystérique.

— Tu ne me crois pas ?

Je me rapprochai de lui en frottant légèrement mes mains sur mes avant-bras alors que j'aurais dû le fuir en hurlant.

Je n'étais pas véritablement choquée, comme si une obscure partie de moi le reconnaissait, admettant inconsciemment sa nature extraordinaire. Absurde ! Il était psychotique... et moi aussi. Voilà l'explication !

Soudain, Liam me tendit mes vêtements. Ces derniers se trouvant sur mon lit, à la base.

Il ricana devant mon air effaré.

— Je peux me déplacer très... très vite. Trop pour que tes yeux puissent me suivre.

Je digérai l'information tant bien que mal. Passer de la théorie à la pratique de ses « particularités » était à la fois fascinant et effrayant.

Liam se détourna de moi afin de me laisser un minimum d'intimité, le temps de m'habiller.

— Que fais-tu d'autre ?

Fuis en hurlant ! Cela serait plus sensé que de l'interroger sur ses capacités de monstre mythique !

— La liste est longue… Je manipule mon corps à ma guise. Sans compter quelques pouvoirs psi...

Il avait marqué un bref moment empreint d'hésitation avant de prononcer la dernière phrase.

— C'est bon, lui annonçai-je, une fois correctement vêtue.

Liam se retourna vers moi.

Sous son regard impénétrable, mes joues se teintèrent de rose.

— Quel genre… de dons ?

Pourquoi trouvais-je cette discussion normale ? Je fantasmais tout ceci, bien au chaud dans une cellule capitonnée ?

— Je peux influencer les esprits. Obtenir de ma victime qu'elle me suive de son propre gré, expliqua-t-il, lugubre.

— Mais encore ?

Pourquoi n'étais-je pas effrayée d'être face à un vampire qui avouait se nourrir des gens ? J'étais folle, c'est tout. Nous étions tous deux des cinglés de première catégorie.

— Je perçois facilement... les émotions humaines.

Me rendant compte qu'il paraissait subitement mal à l'aise, je devins soupçonneuse.

— Développe ! intimai-je.

Le vampire se racla la gorge, tout en fuyant mon regard.

— Disons que, par exemple, si tu es particulièrement triste, je le ressentirai physiquement.

Manifestement, il omettait certains détails.

Je devins cramoisi de gêne, je pensai brusquement à un type d'émotion spécifique.

— Ça marche pour... pour…

Là, il me jeta un rapide coup d’œil avant de fixer obstinément un point par-dessus mon épaule.

— Oui, pour ÇA aussi. Je le perçois de la même manière, me confirma Liam, devinant parfaitement ce à quoi je faisais allusion.

— Oh mon Dieu ! gémis-je, au comble de l'humiliation. Je ne peux donc rien te cacher ?

Il eut un pauvre sourire.

— Pas grand-chose, en effet.

— C'est atroce !

— À qui le dis-tu... murmura Liam, ironique.

— Pourquoi ?

Il prit une longue inspiration, décidant de me regarder droit dans les yeux, cette fois-ci.

— Essaie d'imaginer que TOUT ce que tu éprouves devienne une odeur distinctive : un parfum particulier pour... chaque type de sentiment. La peur, par exemple, est un effluve acide et frais... et…

Liam fit une pause pour fouiller mon regard du sien. Que cherchait-il ?

—... le... désir... physique, quant à lui, possède une saveur que tu pourrais qualifier de sucrée, finit-il par avouer, d'une voix sourde.

Un silence gêné s'installa. MacDowen le rompit le premier.

— Je... mes instincts réagissent de manière archaïque à ces différentes fragrances, toutes parfaitement adaptées : des réponses idéales aux problèmes que tu poses, en quelque sorte.

— Je ne suis pas sûre de comprendre.

Liam fit une nouvelle pause silencieuse avant de poursuivre.

— Pour être plus clair, si tu as envie de moi, mon corps va réagir en provoquant une multitude de pièges sensoriels afin que j’obtienne facilement ce que je souhaite... j'arrive parfois à... à les contenir.

Je reçus l'information tel un coup de poing.

— Et que souhaites-tu ? Du... du sang ?

— Oui, entre autres... mes soifs peuvent être de sexe ou de sang, dit-il sobrement. Toutes mes capacités, mes dons n'existent que dans ce but. C'est ce que je suis... une bête perpétuellement assoiffée.

— Essaies-tu de me dire que je ne représente uniquement pour toi qu’un moyen d'assouvir tes besoins ?

— Crois-tu que si c'était réellement le cas, je prendrais la peine de t'expliquer tout ceci ? fit Liam d'une voix blanche.

Cette phrase me calma instantanément. Et cette discussion aurait dû m'horrifier.

— J'aimerais vivre une vraie relation avec toi, Anae. Ce que je ressens depuis notre rencontre est quelque chose d'aussi inédit que puissant. Je ne veux pas passer à côté de... ça.

— Je désire également donner une chance à notre relation. Aussi incroyable que cela puisse paraître, tu m'obsèdes complètement. Comme si... si une partie de moi te reconnaissait. Je sais, c'est complètement dingue !

MacDowen resta interdit.

— Il est étonnant de voir à quel point une simple décision à la croisée des chemins peut renverser, bouleverser l'ordre établi par le destin lui-même.

Il prononça ces mots de façon presque inaudible.

Je le fixai. Malgré son aveu, le vampire restait sagement loin de moi.

Mue par un désir profond, je m'avançai, décidée à effectuer le premier pas s'il le fallait. Comme s’il avait deviné mes intentions, Liam eut un mouvement de recul, presque paniqué. Il tendit ses mains en avant, dans une impulsion pour m'empêcher d'agir.

Je tins bon, sûre de moi, plus que je ne l'avais jamais été auparavant et les repoussai gentiment.

Nos regards rivés l'un à l'autre, je compris qu'il renonçait à me combattre.

Je levai doucement mon visage vers le sien, jusqu'à ce que nos lèvres soient assez proches pour se goûter. Je ne sus lequel de nous deux laissa échapper une douce plainte lorsqu'elles s'unirent, enfin.

C'était le baiser le plus intense de ma vie.

Mes mains glissèrent dans ses cheveux soyeux, m'y agrippant, je tanguai sous cette tornade de sentiments exaltants. Ses doigts parcoururent fébrilement mes hanches, puis il me serra dans l'étau solide de ses bras en m'amenant au plus près de lui.

Je ne me rendis pas compte immédiatement d’avoir été portée, sauf quand Liam me déposa sur le sofa. Ensuite des milliers d'étoiles explosèrent dans mon corps. Un véritable feu d'artifice.

Mon unique souhait étant que cet instant dure une éternité.

Sa bouche descendit avec une lenteur intolérable le long de mon cou et je frémis.

Liam répondit par un grognement sourd, puis, je perçus sa main, brûlante par le sillon de feu qu'elle laissait sur ma cuisse, remonter vers ma taille.

Brusquement, il se redressa, le regard rougeoyant – hallucinant ! hypnotisant ! – et s'écarta prestement de moi, réalisant encore une prouesse physique, avec un saut impressionnant d'une grande souplesse.

Je remarquai à ma grande honte, sa chemise entièrement déboutonnée par mes soins. Je ne fus pas déçue du spectacle qu'offrait son torse.

— Laisse-moi reprendre le contrôle, murmura-t-il, étrangement essoufflé.

— Oui, oui, bredouillai-je, au bord d’un séisme hormonal.

Ses prunelles reprirent une teinte « normale », il arborait à présent un air amusé.

— Sache que mon self-control est la preuve de l'authenticité de mes... sentiments.

Je voyais bien qu'il riait intérieurement, et lui balançai un des coussins se trouvant à ma portée – qu'il évita sans peine. Liam se rapprocha, sans même refermer sa chemise. Savourait-il ce que cela provoquait en moi ?

Son sourire s'élargit.

Soudain, je le soupçonnai de connaître chacune de mes réflexions mentales.

— Tu ne serais pas capable de lire dans les pensées, des fois... ? marmonnai-je, méfiante.

— J'aime beaucoup ce que tu portes, dit-il, en éludant ma question.

Il caressa du pouce mes lèvres encore gonflées de notre baiser.

— Ça... là.

Liam se mit ensuite à caresser du bout des doigts mes cheveux défaits.

— Ceci également...

Je me sentis de nouveau perdre pied.

Brutalement, il se raidit.

— Que se passe-t-il ? demandai-je, angoissée de le voir aux aguets.

— Tes amis rentrent.

— Oh.

L'inquiétude avait effacé toute trace de désir sur son visage.

— Anae, il faudra que l'on ait une conversation.

— À propos...?

— Il y a quelqu'un dans ton entourage qui n'est pas ce qu'il prétend.

Je lui jetai un drôle de regard. Le vampire leva les yeux au ciel, agacé.

— Pas moi !

— Oh ! Fis-je, de nouveau.

MacDowen fronça les sourcils.

— Je n'ai pas beaucoup de temps, ils seront bientôt là.

— Tu ne restes pas ?

Ma déception visible déclencha chez lui un sourire prédateur.

— Cela risquerait de provoquer quelque chose de dangereux, si je restais, m'informa-t-il sérieusement néanmoins. Une confrontation à éviter en ta présence, pour l'instant.

— Suis-je un tel boulet ! m'exclamai-je, vexée.

Liam eut un petit rire.

— Non, mais tu as la fâcheuse tendance à me... déconcentrer. Dès que tu es dans la même pièce que moi, le reste devient vite... secondaire.

Je rougis sous le compliment.

— Vil flatteur !

Une lueur indéfinissable éclaira brièvement ses yeux.

— Sois prudente. Je ne serai pas loin, de toute façon. Et… tu devrais remettre un peu d'ordre dans ta tenue, sinon ton amie devinera que tu n'étais pas seule, susurra MacDowen.

— Je peux en dire autant pour toi, monsieur le « débraillé »...

Le temps que je dise cette phrase, je me retrouvai dans une pièce vide. Je crus entendre l'écho de son rire, sans en être certaine.

Je me précipitai dans la salle de bains afin de donner un rapide coup de brosse dans mes cheveux emmêlés, puis, d'un geste machinal, je lissai mes vêtements de la main.

Bien que les paroles de Liam résonnèrent dans un coin de ma tête, j'avais du mal à croire que Mel ou Max puissent représenter un danger.

Liam... un vampire. Je regardai furtivement mon reflet pâle dans le miroir.

Qui aurait pu dire que des créatures comme lui existaient ?

Mes yeux ne pouvaient voir en lui un monstre assoiffé de sang.

J'entendis la porte d'entrée s'ouvrir et sortis de la pièce le plus naturellement possible.

— Hello les amoureux, cette soirée ?

Ils sursautèrent au son de ma voix.

— Hey, Anae !

Je ne sais pas si c'était le fait que Liam ait émis un doute sur mes amis, mais je trouvais que Max n'avait pas l'air tranquille. Un peu la même tête que le vampire lorsqu'il était entré la première fois dans mon appartement, jetant des coups d'œil un peu partout.

Mel affichait la même expression nerveuse, bien qu'elle tenta de sourire.

— Très bien... et la tienne ?

Je perçus de la tension dans sa voix.

Espérant secrètement être une excellente actrice, j’arborai une mine décontractée.

— Oh, j'ai bouquiné... Alors, Bruce Willis a encore sauvé le monde ? dis-je en haussant les sourcils.

Ils ne se détendirent pas pour autant, mais jouèrent le jeu.

— Comme d'hab' ! ricana Stevant.

— Un vrai héros ! renchérit Mel.

— Tu n'as pas de reçu de visite ? insista Max.

— Non... pourquoi ?

Soudain, les questions insistantes de MacDowen ou sa façon détournée de connaître qui allait et venait dans l'appartement prirent un tout autre sens.

— Sur le chemin du retour, on a décidé avec Max de s'octroyer un week-end à la campagne, je suis juste venue récupérer quelques affaires de rechange ! lança mon amie sur un ton faussement enjoué.

À croire qu'elle était aussi bonne actrice que moi.

— Ah ? me contentai-je de répliquer.

Elle se faufila très vite dans sa chambre afin de remplir tout aussi rapidement son sac de voyage.

— Ça va aller, Anae ? me demanda-t-elle, subitement anxieuse.

— Mais oui !

— Bien !

Elle me fit une rapide bise

Mélissa attrapa le bras de Max et j'avais le désagréable sentiment qu'ils prenaient la fuite. Ils me saluèrent sur le seuil de la porte avant de la refermer avec précipitation.

— Tu es une piètre actrice, souffla une voix que je reconnus sans peine.

— Par ta faute, j'ai trouvé mes amis particulièrement bizarres, lançai-je, accusatrice.

Il sembla contrarié.

— Bizarres comment ?

— Comme toi lorsque tu es venu ici !

— Cela signifie que j'ai raison.

— Je ne pige rien à ce que tu racontes !

J'étais énervée. Journée trop longue, trop de choses me tombant dessus sans pouvoir les assimiler ou m'habituer à elles.

— Je comprends.

Il me prit la main puis m’emmena dans ma chambre, stoppant net devant son portrait.

Je rougis : étonnant, non ?

— Je ne l'ai pas remarqué tout à l'heure. Il est… très réussi. Est-ce ainsi que tu me perçois ?

— Oui, répondis-je dans un souffle.

Liam me sourit.

— C'est plutôt flatteur. Je peux te demander un... service ?

— Bien sûr.

Il toussota, visiblement gêné par sa requête.

— Peux-tu éviter d'éprouver de... de l'excitation physique durant les minutes qui vont suivre ?

Je restai coite face à sa demande. À croire que j'étais une obsédée, ma parole !

— Je crois en être capable, marmonnai-je, un brin acide.

— Merci, dit-il en ignorant mon sarcasme.

— Et pour quelle raison dois-je tenir en laisse mes féroces hormones ?

— J’ai juste envie de prendre soin de toi et de… me tester. Un désir exacerbé, en l’occurrence par le tien... peut provoquer une réaction plutôt violente chez moi.

Je le regardai s'approcher, hésitant.

Il prit délicatement le bas de mon pull.

Seigneur ! Je ne suis pas dans cette chambre, je suis dans un jardin et je dessine le paysage... 

C'était beau la théorie !

Je fermai les yeux pour éviter de réagir à ce que Liam était en train de faire – à savoir : me déshabiller  ! – et me concentrai sur l'image mentale que je m'imposais.

Une nouvelle fois : c'était beau la théorie !

— C'est... très difficile... fit-il, d'une voix hachée.

Je m'efforçai du mieux que je pus à rester concentrée sur un paysage bucolique malgré le chapelet de jurons qui sortait de sa bouche. Puis je sentis Liam me prendre dans ses bras ; il inspirait et expirait bruyamment. Pour me déposer ensuite doucement sous les draps frais de mon lit, et m'en couvrir très rapidement, d'ailleurs.

— Tu peux ouvrir les yeux.

Je pensais sincèrement croiser un regard narquois, mais il n'y avait aucune trace d'humour dans ses prunelles de couleur onyx... des yeux couleur onyx ! C'était donc Liam dans ma salle de bain ce soir-là !

— C'était toi !

MacDowen eut un sourire en coin.

— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles. Maintenant, dors ! Tu en as besoin.

Le vampire effleura mes yeux de ses doigts et mes paupières me picotèrent instantanément.

— Je n'ai... pas... sommeil... du tout...

Je cessais finalement de lutter contre cet engourdissement si familier, je sombrai dans un sommeil profond au son des murmures apaisants de Liam.

 

 

 

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