– Gloire –
« Déclare-toi vaincu : qu'il suffise à ta gloire de dire que tu m'as affronté au combat... »
Torquato Tasso
- Liam -
L'idée de la laisser seule avec son frère irritait Liam au plus haut point. La jalousie lui dévorait l’esprit. C'était l'essence même des vampires de séduire leurs proies, pourtant, l'image de Keir sur Anae lui donnait des envies de meurtre. MacDowen n'avait pas eu le choix : personne n'était plus à même de la protéger que son frère. Un autre vampire aurait peut-être cédé à la tentation d'en faire un simple repas. De tous les maux, toujours choisir le moindre.
Emmery avait confirmé le lieu du rendez-vous à savoir le parc, près du lac aux cygnes.
Plus vite il aurait réglé cette affaire, plus vite il serait de retour auprès d'Anae.
Le vampire gara sa voiture sur le parking puis se concentra afin de prendre la forme d'une fumée vaporeuse, une brume inconsistante sortant du véhicule, glissant sur le sol. Ses yeux étaient partout, une vision à trois-cent-soixante degrés.
Il repéra rapidement Éric Lejoillier, debout près du lac, dans la clarté de la lune. Des oiseaux gracieux couleur neige effleuraient paisiblement l'eau dans une danse mystérieuse.
Liam rampa sur l'arbre près du Thérianthrope loup.
— Je sais que tu es là, tu empestes l'air ! lâcha Éric d'une voix tranquille.
Lorsque le loup-garou leva les yeux vers la branche au-dessus de sa tête, il perçut Liam. Son ennemi naturel était accroupi, les bras posés sur les genoux, un sourire suffisant étirant ses lèvres.
— Tu es venu seul ?
Éric haussa un sourcil.
— Tu croyais sérieusement que j'aurais peur de me retrouver sans escorte avec toi ?
En un bond souple, rapide et silencieux, Liam se trouva à côté du géant blond.
À son tour, l'Ombre Brumeuse fixa les volatiles.
— Je ne pensais pas que ta meute laisserait leur chef rencontrer un vampire seul. Surtout après... les rumeurs sur la mort de ton père, dit Liam en plongeant son regard d'obsidienne dans celui du Thérianthrope.
Éric grimaça un demi-sourire moqueur.
— Si une humaine peut se trimbaler à tes côtés et s'en sortir indemne... Je ne risque pas grand-chose.
Liam plissa les paupières, mais sourit également, découvrant ainsi ses crocs.
— Ne t’imagine pas que je sois inoffensif pour les autres êtres peuplant cette planète.
— Je suppose que c'est une menace ?
— Du tout. Je tenais juste à éviter les malentendus. Je suis venu ici pour annoncer officiellement que nous ne sommes pas responsables de la mort de ton père. Du moins, si c'est bien un vampire qui est à l'origine de son décès prématuré, c'est un acte isolé. Nous sommes parfaitement conscients qu'un tel agissement aurait des conséquences... fâcheuses.
Le loup-garou garda parfaitement son calme, nullement surpris par les propos de Liam.
— Tu n'as pas l'air étonné, constata le vampire. Soit tu ne me crois pas, soit tu sais déjà qui est derrière la mort d’Abraham.
Éric croisa ses bras dans le dos et se mit à avancer au bord du lac.
— Nous nous doutons de l'identité du... meurtrier de mon père. Seulement, il y a un hic.
— Un... hic ? répéta Liam, perplexe.
Éric brouillait ses pensées d'une manière efficace en imposant Anae dans son esprit. Il était obligé de se contenter des réponses du loup-garou.
— Oui.
Éric regarda de nouveau le vampire dans les yeux.
— L'assassin a reçu l'aide d'un vampire. Indirectement, un des vôtres est impliqué dans son décès. Un traître issu de ton clan.
Liam accusa le coup sans broncher.
— Je ne vois qu'une personne capable d'agir de la sorte... Arthem. Je me ferai un plaisir de l’interroger.
Éric parut déconcerté par la note de haine vibrant dans la voix du vampire.
— Eh bien... Tu n'as pas l'air de le porter dans ton cœur... Puis-je savoir pourquoi ? Afin de juger si tu ne me mènes pas en bateau.
Liam soupira.
— Il a osé toucher à... l'humaine... à Anae.
— Oh oh... Je saisis mieux. C'est vraiment étonnant... votre relation. Alors, comme cela, tu as une dent – passe-moi l'expression – contre ce Arthem parce qu'il a approché d'un peu trop près Anae, l'employée de Robert ?
Liam se contenta de grogner en signe d'assentiment. La discussion prenait une tournure déplaisante, selon ses propres critères.
— Joli brin de fille, fit pensivement Éric.
— Je sais, répliqua sèchement Liam.
— Bon, je te propose un marché, livrez-nous ce Arthem et il n'y aura aucunes représailles de notre part.
— C'est comme si c'était fait.
Soudain, Éric se tendit, humant l'air.
Alerté lui aussi par un danger proche, Liam sentit son corps se raidir, prêt à combattre.
— Nous ne sommes pas seuls... marmonna le loup-garou.
— Je les sens aussi... Qu’est-ce que... hoqueta Liam en baissant ses yeux sur son ventre où venait de se planter une drôle de seringue au liquide argenté.
Il sentit ses forces le quitter instantanément et jeta brièvement un regard hébété à Éric. Ce dernier n'eut pas le temps de terminer sa transformation, il s'écroula sur le sol, le corps secoué par des convulsions enragées.
Sa vue se brouilla sur l'apparition du visage réjoui de Gillian au-dessus de lui. Il tenta de l'attraper par le col... Mais le chasseur de vampires devint un kaléidoscope lumineux, puis les ténèbres l'emportèrent. Pour la première fois de sa vie, Liam perdit totalement connaissance.
***
Liam goûtait l'amertume poisseuse de son propre sang. Gêné, il cracha ce qui lui sembla être au moins un quart de litre de liquide noirâtre. N'ayant jamais souffert de migraine, MacDowen se demandait si l'élancement sourd lui tambourinant le cerveau pouvait être nommé ainsi.
Il se remémora mentalement les derniers événements avant que l'inconscience ne l'assomme.
Gillian !
La Fraternitas Percussor Sanguisugua !
Évidemment, la Golden Dawn était derrière tout cela !
Le vampire grogna en se découvrant sanglé à ce qui ressemblait à une croix en acier... Il s'agita pour tenter de défaire les liens, sans succès.
— Inutile... chuchota une voix familière près de lui.
Liam tourna la tête vers son compagnon d'infortune. Éric !
Le Thérianthrope ne paraissait pas en meilleur état que lui, et était également crucifié sur une énorme croix chromée.
— Eh bien, je me demande par quel miracle ils ont réussi à nous maîtriser, ces crétins ! grogna-t-il en remuant sa mâchoire sur laquelle s’étalait un énorme hématome.
— Sais-tu depuis combien de temps nous sommes ici ? demanda le vampire en crachant une autre gerbe de sang noir.
Le loup-garou secoua la tête.
— Je suppose que cela doit faire quelques heures. Difficile à dire puisqu'ils m'ont piqué ma Rolex, s'esclaffa le Thérianthrope.
Liam réussit à esquisser un sourire.
— Que veux-tu ! Les véritables valeurs se perdent...
— Je suis ravi que votre situation vous amuse ! ricana Gillian.
Le vampire regarda le chasseur de la fraternité se tenant devant eux, en fanfaronnant.
— J'aurai ta peau, sale morveux... susurra Liam d'une voix affable.
— Laisse-m’en un bout, tout de même, ajouta joyeusement Éric.
Gillian secoua la tête d'un air navré.
— Je ne crois pas que vous réalisiez que j'aurai la vôtre bien avant.
Liam allait répliquer lorsqu’un cri lui parvint. Ses yeux s'agrandirent sous le choc, ce timbre... il l'aurait reconnu entre mille.
Le vampire se mit à chercher frénétiquement des yeux où se trouvait Anae.
Il la vit, accrochée à la rambarde de l'escalier menant à la sorte d'arène où il se trouvait avec le loup-garou. Elle avait le teint pâle et les traits défaits. Un homme vêtu d'une cape pourpre lui parlait tout en se penchant sur elle.
Liam poussa un véritable rugissement de fureur, se débattant soudain contre ses entraves d'acier. Ils avaient Anae ! Il les tuerait tous, un par un, les saignant comme des porcs.
Il posa son regard rougeoyant sur Gillian qui eut un mouvement de recul, subitement inquiet.
Anae se mit à courir comme une dératée vers lui.
***
- Anae -
Liam était couvert de sang noir, attaché à une énorme croix en métal, sa peau était presque translucide, je dus me retenir à la rambarde de l'escalier donnant sur cette espèce d'arène antique pour éviter de m'effondrer totalement.
— Très bien, je vous dirai ce que vous voudrez, laissez-moi juste le voir, s'il vous plaît... dis-je dans un souffle.
L'Imperator se pencha vers moi.
— Je me doutais que vous sauriez vous montrer raisonnable.
Je fermai les yeux le temps d'évacuer le flot de bile me montant dans la gorge. Entre lui et Liam, aucun doute possible, c'était cet homme le monstre !
J'entendis mon vampire pousser le plus terrifiant des cris, en soulevant mes paupières, je le vis s'arc-bouter sur la croix.
Puis je courus le plus vite possible vers lui, manquant de trébucher à plusieurs reprises. Lorsque je fus à ses pieds, il posa son regard enflammé sur moi. Il tenta d'esquisser un sourire rassurant, mais je n'étais pas dupe.
— Dégage ! persiflai-je à Gillian qui restait prudemment en arrière.
— Non, je ne vais pas vous laisser seuls... commença à protester le jeune homme d'une voix faiblarde.
— Si tu ne pars pas dans la seconde qui suit, je jure devant Dieu que je te tue de mes propres mains ! hurlai-je.
Interloqué, le chasseur fit quelques pas en arrière avant de rebrousser chemin vers l'Imperator. Son chef surveillait la scène du haut de l'escalier.
— Liam... murmurai-je en tendant la main vers ses jambes.
Je dus relever la tête, il était trop haut pour que je puisse toucher son visage.
— Ne pleure pas, chuchota-t-il.
Je me rendis compte que, effectivement, des larmes inondaient mes joues.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce que je peux faire ?
J'avais besoin de savoir comment l'aider, même si je n'avais aucune idée de la façon miraculeuse dont on pourrait tous se sortir de cette situation.
Liam secoua lentement la tête sans me quitter des yeux.
— Essaye juste de rester en vie, fais ce qu'il faut pour cela, c'est tout ce que je te demande.
Je posai mon visage contre ses genoux.
— Impossible n'est pas français, hein... reniflai-je. Ce soir, ils vont vous faire combattre l'un contre l'autre, ils enverront une vidéo au clan de celui qui...
Éric poussa un juron, je sursautai en me tournant vers le Thérianthrope. Je ne l'avais même pas remarqué, trop préoccupée par Liam.
Il n'avait pas l'air en meilleur état que mon vampire. Ensanglanté et épuisé, une lueur féroce brillait cependant dans ses prunelles azur.
— À celui qui y restera... terminai-je, sachant qu'ils avaient tous deux parfaitement compris le plan de la fraternité.
— Nous ferons en sorte que leur plan échoue... Ils ne pourront pas nous forcer à nous battre.
Je grimaçai tristement.
Liam me scruta du regard et un grognement sourd fit vibrer son torse.
— Je ne... peux pas lire dans tes pensées, ce qu'ils m'ont injecté... Dis-moi ce qu'il y a !
— Si tu refuses le combat... ces fous me tueront… devant toi.
Liam écarquilla les yeux et ils devinrent rouge sang sous l'effet de la rage.
— Bon, maintenant que nous le savons, nous allons leur donner du grand spectacle ! siffla le loup-garou.
— Gillian revient, annonça Liam d'une voix lugubre.
— Ce n'est pas tout, Liam, Keir... Keir est au courant, je ne sais pas s'il a un plan, je sais juste qu'il a dû nous suivre quand Gillian m'a forcée à venir avec lui... je suis sûre qu'il va nous aider, dis-je rapidement avant que le chasseur ne soit trop proche pour entendre notre conversation.
Mon vampire hocha la tête.
— Anae... Anae, quoi qu'il se passe ce soir, sache que... sache que...
— Moi aussi, Liam.
Gillian m'attrapa brutalement par le bras, provoquant un rugissement chez Liam.
— Ne la touche pas, vermine ! gronda MacDowen.
Gillian lui retourna un sourire méprisant.
— Tu es mal placé pour donner des ordres, sangsue !
Sur ce, il posa violemment sa bouche sur la mienne, mais s'écarta avant que j'eus le temps de le repousser.
Il se mit à ricaner en regardant Liam qui se contorsionnait.
— Je te tuerai ! Lentement et en te faisant tellement souffrir que tu me supplieras de t'achever !
Je giflai Gillian de toutes mes forces. Sa tête flancha sous le coup puis il me fixa, abasourdi.
Éric se mit à rire.
— Si j'étais toi, je garderais mes mains dans mes poches ! s'exclama le loup-garou, visiblement ravi de mon geste.
— Sale catin de sangsues ! hurla Gillian.
— Et je préfère cent fois être la sienne ! rétorquai-je.
Je crus qu'il allait me frapper, mais il se contenta de me traîner brutalement derrière lui.
Ce ne fut qu'une fois devant l'Imperator qu'il me lâcha sans ménagement.
— Gillian, je vous prie de bien vouloir conduire l’Élue dans mes appartements jusqu'à l'heure du duel, demanda l'homme à la cape de sa voix étrange.
— Bien, grand Maître.
Toujours sans douceur, Gillian me poussa vers la porte et nous traversâmes la fameuse grande salle dorénavant vide.
Là encore, nous empruntâmes une porte dérobée s'ouvrant sur ce qui ressemblait à la suite luxueuse d'un hôtel huppé.
— Tu ne peux pas t'enfuir de cette pièce, annonça le chasseur de la fraternité, et inutile de crier également. Je vais t'apporter de quoi manger.
Je sentais toujours de la colère à travers sa voix sourde. Je lui jetai un regard mauvais.
— Tu peux la garder, ta sale nourriture, persiflai-je.
Gillian haussa les épaules.
— Libre à toi de mourir de faim.
— Ça ou autre chose... murmurai-je en entendant une clef verrouiller la serrure.
Je me laissai tomber sur le canapé, puis, enfouissant mon visage entre mes bras, je m'abandonnai à mon chagrin.
Comment allions-nous nous sortir de là ? Mais où était Keir ?
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