Chapitre V

 

– Première Nuit –

 

 

 

« Il n’y a pas de longue journée qui ne se termine par une nuit. »

 

Ahmadou Kourouma

 

 

- Anae -

 

Mes paupières pesaient une tonne. J’avais un léger élancement du côté gauche, et quelque chose de froid posé sur ma joue semblait calmer ce dernier.

Je décidai d’ouvrir quand même mes yeux, histoire de savoir où j'étais exactement et qui faisait ce bruit distinct de cintres glissant sur un tube de fer.

Il y avait une femme.

Une superbe rousse plantureuse vêtue d’un short vert amande et d’un top noir. Sa crinière était relevée en une queue de cheval et des boucles folles s’échappaient pour encadrer son visage ovale. Elle se tenait devant une gigantesque armoire, agitant devant elle des tenues diverses et colorées en les tenant par le crochet des cintres.

Ce n’était pas Kathy.

J’en éprouvai un soulagement incommensurable.

Me retrouver encore face à cette furie m’aurait franchement déplu.

— Tu es enfin réveillée ?

Sa voix était douce, musicale. Et il n’y avait pas une once d’animosité.

Malgré moi, je poussai un soupir. Je n’avais pas fini d’être un funambule sur la corde raide dans cette tanière.

Je me redressai lentement.

Là, un objet tomba faiblement avec un petit bruit sourd.

Mes yeux se baissèrent vers le sol.

C’était un linge blanc, hésitant entre la serviette éponge et le torchon.

Je le ramassai mollement, des courbatures tiraillaient chaque parcelle de mon corps. J’étais sur un vieux sofa orange, usé jusqu’à la corde.

Quelle heure était-il ?

— Tiens ! lança la rouquine en me tendant un cintre avec un jean et un long pull noir.

— Merci, murmurai-je en prenant les vêtements.

— Je m’appelle Sonja, je suis la femelle Bêta de la meute de la Colline d'Ombre. Je suis la compagne de Raven, actuel mâle Alpha.

La jeune femme avait dit cela avec un sourire amical gagnant presque son regard vert.

Quasiment la même couleur d'yeux que Keir… Keir. Allait-il bien ?

— Je suis…

— Je sais qui tu es ! Tu es la femelle du vampire guerrier des Ombres Brumeuses. Enfin, tu étais… rectifia Sonja avec un plaisir évident.

Comment ça « j’étais » ? La moutarde commençait à me monter au nez.

Et puis cette facilité à dire « femelle » pour désigner d’autres femmes réveillait la féministe en moi.

— Je le suis toujours, jusqu’à preuve du contraire !

Mon ton colérique ne parut pas le moins du monde impressionner la louve, cette dernière se pencha vers moi tout en reniflant bruyamment.

J’eus un mouvement de recul.

Non mais, ils n’en avaient pas marre de me renifler !

— Eh bien, pourtant tu portes l’odeur de Luc.

Cela me hérissa.

— Il ne m’a pas demandé mon autorisation pour me la coller si tu veux savoir, grognai-je.

Sonja éclata de rire.

— Tu sais que cela fait de toi ma deuxième meilleure amie ?

Je la regardai comme s’il venait de lui pousser une deuxième tête.

La louve me fit un clin d’œil avant de se diriger vers la porte.

— Kathy est hors d’elle, elle comptait bien sur cette saison pour mettre la main sur Luc... tu ne peux pas t’imaginer à quel point c’est hilarant pour moi de voir sa place de compagne lui passer sous le nez ! Bon, je te laisse te changer avant de t’emmener à la chambre de Luc, je t’attends devant la porte !

Sur ce, elle sortit joyeusement en souriant.

Je jetai un coup d’œil circulaire à la pièce.

Les murs étaient comme les autres que j'avais aperçus : des parois bosselées et suintantes. Ici, il y avait juste le sofa où je me trouvais, une grande armoire en pin, une psyché émaillée. C’était peut-être l’endroit où la louve Bêta se changeait. On ne pouvait certainement pas y dormir, ou alors à la limite une sieste sur ce canapé ayant vécu des jours meilleurs.

J’ôtai mes vêtements de la veille, j’aurais aimé me doucher avant de changer d’habits.

Le jean m’allait, par contre le pull… Je n’avais visiblement pas le même tour de poitrine que la Thérianthrope loup. Il ne cessait de descendre sur mon épaule droite.

Je ne pus m’empêcher de regarder mon reflet dans la psyché.

Seigneur !

Mes cheveux étaient emmêlés, mon teint trop pâle... et j’avais gardé en souvenir de Kathy, une belle marque rouge sur ma joue gauche. Le jean et le pull me donnaient un air d’adolescente version Kate Moss.

C’est en soupirant que j’ouvris la porte d’entrée. Sonja m’attendait adossée contre le chambranle. Elle me détailla quelques secondes avant de hocher la tête, un sourire narquois sur les lèvres.

Je la remerciai mentalement de ne faire aucune remarque sur notre « légère » différence de taille de bonnet.

— Bon, allons dans les appartements de Luc. Tu pourras y prendre une douche et… te familiariser avec son antre !

La louve gloussa, amusée par ses propres dires.

Je désirais frapper quelqu’un. N’importe qui aurait fait l’affaire pour me défouler. Enfin presque… n'étant pas assez téméraire pour cogner sur des loups-garous.

Je la suivis dans les méandres de couloirs obscurs de la grotte. C’était vraiment suffocant d’évoluer dans leur tanière ; pratiquement aucune lumière ni fenêtre – logique, dans une grotte... n'empêche que j’aurais donné n’importe quoi pour voir le soleil.

— Quelle heure est-il ?

J’avais posé la question tout en continuant de la suivre dans l’étroit couloir.

— Presque dix-sept heures.

Elle m’avait répondu sans même se retourner.

— Hein ?! J’ai dormi autant de…

— Tu n’as pas dormi, tu as hiberné !

Oui, en même temps, ce n’était pas faux. Pour ma défense, on m'avait offert une sacrée gifle et la force d'un Thérianthrope n'était en rien comparable à l'effleurement d'une mouche.

— Nous y voilà.

Sonja désigna d’un geste gracieux une porte en bois puis l’ouvrit.

— Je ne peux pas t’accompagner à l’intérieur. Luc est un mâle Gamma, cela pourrait être pris comme une avance de ma part, sous-entendant que Raven ne remplit pas correctement son devoir conjugal.

D’accord… Encore une subtilité du comportement social des Thérianthropes loups.

Je n’avais pas envie d’entrer dans la chambre de Luc. Je voulais partir d’ici. Je voulais Liam.

Sonja patientait en tapotant du pied le sol terreux. Visiblement elle ne partirait qu’une fois moi à l’intérieur. Très bien, je redressai les épaules, prête à affronter le grand méchant loup. Enfin, quand je dis « affronter »… c’est un bien grand mot lorsqu'on est une humaine.

 

***

 

La porte refermée, j’eus le brusque réflexe de me retourner et d'en saisir la poignée dans l'idée de fuir.

— Si j’étais toi, j’éviterais de faire une chose aussi stupide que d’errer seule dans la tanière.

C’était Luc.

Sa voix semblait lointaine, comme s’il se trouvait dans une autre pièce.

Je lâchai à contrecœur la clenche puis inspectai l'endroit, avançant à petits pas hésitants. Il y avait un grand lit, juste un sommier, un matelas et une couette marine chiffonnée dessus.

Des vêtements jonchaient le sol, ainsi que des tas de feuilles éparpillées partout. J’en ramassai une. C’était une partition griffonnée avec des annotations illisibles. Je cherchai donc du regard un instrument. Dans un angle, il y avait une guitare sèche et une guitare électrique avec un ampli.

Sur les murs étaient affichés des posters de groupes de rock, mais aussi des femmes dans des pauses très suggestives et relativement peu vêtues.

Pas de doute : c’était bien la chambre d’un gars qui ne partageait pas le lieu avec une femme. Je m’approchai de l’une d’elles, une brune exposant ses attributs féminins, à peine cachés par des bouts de dentelles.

« Miss janvier »

Oui beh si on se trimbalait dans ce genre de tenue en janvier, je me demande ce que ces filles portaient en août…

— La déco te plaît ?

Je sursautai.

Le Thérianthrope loup se tenait devant moi, vêtu seulement d’un bas de jogging gris, les cheveux gouttant sur son torse nu. Il était musclé et la peau dorée habituée aux rayons du soleil.

Luc tenait une serviette éponge blanche tout en me fixant de son regard bleuté.

Je réalisai, dans la seconde, avoir encore dans la main la feuille de partition quand ses yeux s'arrêtèrent dessus.

Alors que je m’attendais à me faire houspiller pour avoir osé toucher ses sacro-saintes affaires, il se contenta d’avancer vers moi d’un pas souple. Une fois assez proche, il m'enleva le papier d'un geste sec sans même y jeter un œil.

— Tu peux prendre une douche avant le souper.

Je n’allais certainement pas rechigner : le besoin de me laver se faisait réellement sentir, au sens littéral du terme.

— Dans la salle de bain, il y a aussi des WC… Par contre…

Il s’interrompit, soudain l’air mal à l’aise.

— Par contre, si tu… les utilises, je te prierai de ne pas… – Il se racla la gorge – ne pas tirer la chasse d’eau, finit-il dans un souffle en détournant les yeux.

Ma parole ! Il venait de... rougir  ?!

Quelque chose me disait que Luc n’était pas du genre à éprouver de la gêne en évoquant les toilettes.

— Pourquoi ? demandai-je, curieuse.

Le Thérianthrope me lança un regard noir.

— Ce n'est pas tes oignons ! aboya-t-il.

Je croisai les bras sur ma poitrine, hors de question de laisser passer cette occasion de lui mettre la pression.

— Un peu que cela me regarde ! fis-je, un brin perfide.

Luc se détourna brusquement de moi.

— On économise l’eau.

J’aurais pu me contenter de cette réponse. Elle était pleine de bon sens. Seulement, l'embarras de Luc confirmait qu'il y avait plus que cette raison. Visiblement, il considérait cela comme une faiblesse.

Eh bien, nous allions voir cela illico !

— Merci d’aborder le sujet, j’ai justement un besoin pressant. Ma vessie est sur le point d’éclater.

Le frère d’Éric bondit comme s’il avait été brûlé, une expression horrifiée sur le visage.

— C’est pas vrai… se contenta-t-il de murmurer.

Raide comme un piquet, il me fit signe de le suivre. Je traversai donc la chambre afin de le rejoindre.

On pénétra dans une autre pièce, entièrement de pierre, avec juste un pommeau de douche sur le mur du fond et une évacuation au sol. Pas de rideau ou de panneau. Bonjour l’intimité !

Dans le coin opposé se trouvait l’objet du délit. Un WC d’un blanc immaculé.

Luc désigna d’un doigt furieux la cuvette.

— Je t’en prie ! grogna le loup-garou, acide.

J’eus l’impression qu’il s’enfuit plus qu’il ne sortit de la pièce, cela me donna envie de rire. Je me saisis du papier toilette vert et parfumé en souriant.

Une fois ma vessie soulagée et le rituel d’essuyage effectué, je me rhabillai. J’allais tirer la chasse d’eau par pur réflexe lorsque je me souvins de Luc. Autant se la jouer bête et disciplinée pour voir la suite des événements. Je sortis de la salle d’eau, guillerette.

Luc était assis sur le rebord du lit, la tête penchée entre ses mains. Un véritable condamné à mort.

— Voilà, voilà… chantonnai-je, sadique.

Le Thérianthrope m’assassina du regard. Il se leva et se dirigea vers la salle de bain.

J’entendis le bruit distinct de quelqu’un qui fait la petite commission, puis la chasse d’eau.

J’hallucinai !

Quoi ?!

C’était pour ça que je ne devais pas l’actionner ?

Pour qu’il passe derrière moi ?!

Je l’attendais de pied ferme, les mains sur ma taille.

Quand il réapparût, il avait toujours l’air aussi en colère.

— Tu peux m’expliquer ?

— J’imagine que je n’ai pas le choix, grogna le loup-garou.

J’opinai pour le lui confirmer.

Il soupira en ébouriffant ses cheveux blonds.

— Pendant… hum… Pendant la saison des amours, nous… les mâles je veux dire, nous… « passons » derrière nos femelles. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut contrôler, alors faisons avec.

Je m'en décrochai la mâchoire sous le choc.

Sans rire ?

Luc me jeta une serviette.

— Pas besoin de faire cette tête ! Ne t’imagine pas que cela me plaise autant qu’à toi... va donc prendre ta douche.

 

***

 

Ladite douche avait été une bénédiction pour mes muscles endoloris. Je revins dans la chambre tout en finissant de me sécher énergiquement les cheveux.

Luc était assis en tailleur sur son lit toujours défait et écrivait sur l’une des feuilles que je supposais être ses partitions. Le Thérianthrope leva la tête vers moi, une expression indéchiffrable sur le visage. Comme si quelque chose l’agaçait.

— Quoi ! lançai-je, agressive.

Il ne prit pas la peine de me répondre, le loup-garou se contenta de tapoter le lit de sa main libre.

Non mais et puis quoi encore ? Je n’allais certainement pas me coucher dans ce lit avec lui !

Je pris un malin plaisir à m’asseoir à même le sol, puis tentai de démêler mes cheveux avec les doigts, la serviette sur mes cuisses. Je l’entendis soupirer et me forçai à ne pas le regarder.

D’après les bruits, le Thérianthrope paraissait chercher quelque chose dans un tiroir.

Aussi silencieux qu’un chat, je ne perçus sa présence que lorsqu’il me colla un peigne sous le nez.

J’allais le prendre mais Luc le retira prestement. Je levai vers lui un regard interrogateur.

Pour seule réponse il s’installa derrière moi et quand je compris ce qu’il s'apprêtait à faire, je bondis hors de sa portée.

Seul Liam était autorisé à me brosser les cheveux ! Pas question que mon kidnappeur entache ce souvenir !

— Même pas en rêve ! crachai-je.

Une vague dorée effaça le bleu de ses yeux.

— Pourquoi ? m'interrogea Luc d’une voix sourde.

— Ce geste intime est réservé à…

— Si tu ne t’assieds pas immédiatement, je te brise les os.

Cela avait le mérite d’être clair. Tant pis, qu’il me casse une jambe s’il le voulait, voire les deux ! Mais jamais je ne lui permettrai de me toucher les cheveux !

Sa réaction ne se fit pas attendre, ses paupières se plissèrent sur deux océans dorés, et d’un seul bond, il me plaqua sur le lit.

J’étais entièrement sous lui, le souffle coupé par l’attaque.

— Si je veux te brosser les cheveux, je le ferai. Si je veux me frotter contre toi afin que chaque centimètre de ton corps porte mon odeur, je le ferai. Si je veux te prendre ici et maintenant, rien ni personne ne m’en empêchera. Tu saisis ? Tu n’es plus sa femelle, tu es la mienne jusqu'à ce que j’en décide autrement. Il ne tient qu’à toi que cela se passe relativement bien ou dans la douleur.

Luc avait murmuré ses mots, sa bouche quasiment collée contre la mienne. J’avais le cœur qui faisait des ratés. De peur ? Je l’espérais presque.

Il s'ôta de moi d'un saut en arrière aussi gracieux que silencieux. Puis, d’un geste impérieux, il m'intima de me placer devant lui sur le sol.

J’obtempérai, la mort dans l’âme, en ayant l’impression que l'on salissait un précieux moment avec Liam.

Je le sentis prendre, hésitant, délicatement une mèche de ma chevelure. Était-ce la première fois qu’il faisait cela à une femme ?

Il entama le démêlage avec douceur et maladresse. J’aurais pourtant juré qu’il aurait besogné de manière plus rude.

Et soudain, je l’entendis.

Ce fameux ronronnement animal ténu. Le même que dans le van. Je me raidis. Je ne sais pas pourquoi ce son m’enveloppait de douceur, comme s’il avait des doigts invisibles et tendres.

Je me serais giflée.

Je sentis le loup-garou soulever mes cheveux, puis la caresse de sa langue sur ma nuque.

J'étais tétanisée.

Ce n’était pas bon du tout. Mais alors pas du tout.

D’une, parce que cela signifiait que la bête de Luc avait pris le dessus et qu’il pouvait arriver n’importe quoi. De deux, parce que nous étions seuls dans sa chambre. Et de trois, c’était une zone particulièrement érogène chez moi. Cela me déclenchait des frissons qui n’étaient pas de dégoût. Je m’horrifiais de posséder un corps aussi déloyal.

Il réitéra son geste. Cette fois-ci sa langue profita que mon pull soit trop grand pour partir d'un peu plus bas, entre les omoplates, puis remonta dans le creux de mon cou.

Seigneur !

Je commençais à me liquéfier. Son souffle devenait de plus en plus rapide, son ronronnement plus fort, et ma respiration semblait lui faire écho, à mon grand désespoir. Je fermai les yeux, tentant de reprendre le contrôle de mon être qui répondait aux avances du Thérianthrope.

Il me saisit la taille de ses deux mains pour me coller contre lui. Je me crispai. Comment me sortir de cette situation ?

Luc commença par me mordiller l’épaule. Même si je ne voulais pas le savoir, force m’était de constater que c’était son endroit favori pour pratiquer ce genre de démonstration d’affection… ou de préliminaire.

Puis, il se mit à onduler : un mouvement très explicite sur ce qu’il souhaitait faire.

J’avais les joues en feu.

Le grondement très bruyant et soudain de mon estomac le figea.

C’est ce qui s’appelait « être sauvée par le gong ».

Soudain, je le sentis secoué par de petits tremblements.

Et lorsque je l’entendis rire franchement, je me retournai vers le loup-garou, méfiante.

Il venait de s'allonger sur le sol, un avant-bras cachant ses yeux, l’autre posé sur son torse, laissant libre cours à son hilarité.

J’en profitai pour m’éloigner lentement de lui.

Mon ventre se remit à gargouiller, plus furieusement, cette fois-ci. Par réflexe, je mis une main dessus, comme si cela pouvait le calmer.

Luc se redressa, joyeux. Émotion jamais vue chez lui jusqu'à présent. Assez choquant pour me couper la parole, et tomber pratiquement sous le charme de ce doux visage brusquement juvénile.

— J’hésite entre te nourrir des biscuits traînant ici afin de poursuivre ce que nous avons commencé... sans passer par la case présentation à la meute, ou bien te permettre d’avoir un vrai repas, histoire d’éviter de me sentir coupable. Quel dilemme !

Le Thérianthrope avait accompagné ses paroles d’un sourire tendre, non dénué d’humour.

Je grimpai rapidement sur le lit, geste n'ayant que pour objectif de mettre une plus grande distance entre lui et moi. Grave erreur.

Il se mit sur ses pieds et ses mains, s’aplatissant de manière indéniablement animale. Luc rampa souplement jusqu’à se retrouver également sur le matelas. Quant à moi, je reculai jusqu'à buter contre le mur.

— Je choisis la meute, soufflai-je, les yeux écarquillés de crainte.

— Mhm.

Il frotta ses joues sur mes jambes, y prenant un plaisir évident. Chaque millimètre de mes vêtements passa soit sous son cou, soit sous ses joues.

Lorsqu’il me lécha le creux de l’oreille, une boule de désir explosa dans mon ventre.

Je me débattis. Luc se contenta, en réponse à ma rébellion, de s’écarter de moi, un sourire carnassier sur les lèvres et le regard doré.

— Je commence à connaître tes points sensibles.

Il jubilait que mon corps réagisse à ses caresses.

Le loup-garou me prit le poignet afin de coller ma main sur son torse. J’évitai soigneusement de le regarder en face mais j'étais malgré tout hypnotisée par mes doigts sur la poitrine glabre du Thérianthrope. Il m’obligea à caresser une partie de ses abdominaux.

J’étais choquée.

Soudain, il y eut un crépitement. Si je devais décrire cet étrange phénomène, je le dirais ainsi : comme si sa peau vibrait à mon contact. Comme si… une fourrure invisible se froissait sous mon toucher en émettant un bruit de tissu qu'on frotte. Cela picotait également. Tout bonnement fascinant. La peau de Luc répondait de façon totalement inhumaine à ma main. Je ne me rendis pas compte qu’il avait lâché mon poignet, j’étais subjuguée par la réaction du corps du loup-garou.

Je repris mes esprits quand le visage de Luc se trouva contre le mien. Quelque chose me disait que je ne pourrais pas échapper à ce qui allait suivre. Il me saisit le menton entre l'index et le pouce, puis frôla ma bouche de la sienne. À ce simple contact, il y eut une sorte d’électricité statique, je crus même voir des étincelles.

Luc siffla entre ses dents avant de s’écarter de moi à nouveau.

Il semblait à la fois, effrayé, émerveillé et furieux.

Pour ma part, même si mon cerveau paraissait fonctionner encore, mon corps, lui, était devenu mou et sans vie. Vidé de toute énergie.

Que venait-il de se passer ?

 

***

 

De retour dans l’immense salle à manger où Kathy m’avait gentiment envoyé valser d’une baffe.

J’étais nerveuse. Horriblement et terriblement nerveuse.

Ne sachant pas quoi faire de mes bras, je triturais mon pull feignant de me perdre dans la contemplation des mailles, trop larges pour être un vêtement industriel.

Luc était à mes côtés, totalement détendu, vêtu d’un pantalon en cuir marron et d’un débardeur noir sans manche. Et d’une paire de bottes qui aurait fait fureur dans le film Matrix. Ce qui me rappela Keir, lorsqu'il avait comparé le Thérianthrope au héros, Néo.

Je me mis à sourire au souvenir de l’adorable vampire moitié loup-garou.

Des mouvements attirèrent mon regard. Je reconnus Sonja, habillée d’une robe mauve tout aussi courte que le short qu’elle portait lors de notre première rencontre. Elle était accrochée au bras d’une montagne de muscles au visage taillé à coup de serpe. Il avait des cheveux noir corbeau et bouclés lui tombant sur sa nuque de taureau.

Voici donc le fameux Raven. Revêtu d'un gilet en cuir noir sans rien dessous et d'un jean délavé. Ses mains, si énormes, auraient pu facilement me broyer la tête.

Il me fixait froidement de ses yeux sombres, comme on observe un vulgaire insecte. Très loin d'être un canon de beauté, il inspirait uniquement la violence à l’état pur.

Le couple alla s’installer à l’énorme table se trouvant au fond de la pièce.

Kathy arriva. Oh, elle, par contre, avait tout misé sur sa tenue. Des talons aiguilles vertigineux assortis à une robe rouge scandaleusement indécente qui faisait d’elle une créature invoquant la luxure. Un décolleté aussi plongeant devant que derrière… À se demander comment cette robe ne lui tombait pas sur les chevilles à chacun de ses mouvements. Elle ondula des hanches en nous passant devant, non sans avoir gratifié Luc d’un sourire aguicheur.

Je notai un vif intérêt dans le regard de ce dernier. Mais au lieu d’être jalouse, j’espérais récupérer le lit de la louve et qu’elle aille dans celui de mon kidnappeur.

Mes pensées durent se lire sur mon visage, car elle dardait sur moi un regard surpris. J'y répondis par un large sourire. Si elle souhaitait attiser ma jalousie, elle en était pour ses frais. C’est avec un air pincé qu’elle rejoignit le couple dominant à la tablée. Mike entra à son tour, se contentant d'un signe de tête en guise de salutation. Puis ce fut Jérôme, toujours avec cet air jovial sur le visage. Il m'adressa un clin d’œil tout en s’inclinant cérémonieusement. Billy le suivit de près, avec d’autres loups-garous, hommes et femmes, de tout âge.

Il vint directement vers moi, esquissant un sourire maladroit. Habillé d’un pantacourt militaire extra large et d’un sweat noir à capuche, apparemment sa tenue de prédilection. L’adolescent paraissait content de me revoir. Cela faisait deux avec son père.

Il regarda prudemment Luc qui saluait d’autres Thérianthropes avant de me poser une rapide bise sur la joue.

— Avec un peu de chance, le plan de ma sœur marchera, me chuchota-t-il à l’oreille.

Il détala comme un lapin lorsque, alerté par une sorte de sixième sens, Luc le fusilla d'une œillade assassine.

Le plan de sa sœur, hein ? Oui, vu d’ici, son plan était on ne peut plus limpide... Remarquez, cela pouvait marcher si on pensait au calendrier scabreux ornant les murs de la chambre de Luc. J’allais même faciliter les choses, au besoin.

Tandis que j’observais l’organisation de la tablée, une vieille femme se planta devant moi. Son visage profondément ridé dévoilait largement son âge avancé, mais ses yeux bleu clair étaient aussi vifs que si elle avait eu vingt ans.

Ce devait être Maguy, la chamane.

Elle portait une longue robe grise et un châle noir. Accrochée à sa robe, une enfant aux boucles châtaines et aux prunelles noisette me fixait prudemment.

La vieille femme me saisit les mains et se concentra sur mes paumes avant de froncer les sourcils. Elle renifla doucement et, sans les lâcher, se tourna vers Luc pour s’adresser à ce dernier dans leur patois familial. C’était très frustrant de ne rien comprendre à ce charabia.

Le frère d’Éric lui répondit brièvement du bout des lèvres.

La chamane le questionna de nouveau, le loup-garou hocha la tête, perplexe.

La vieille femme partit en trottinant jusqu'à la table, suivie de près par la fillette. Ce devait être la petite Lucille dont m’avait parlé Billy.

Il restait deux places libres.

Juste entre Kathy et l’adolescent Thérianthrope.

Je priai afin que Luc s’asseye aux côtés de la fameuse louve. Soudain, il m'attrapa le poignet et me tira férocement derrière lui.

Je m’assis rapidement sans prononcer un mot, sur la dernière chaise vacante, près du louveteau.

En face de moi se trouvait Jérôme, toujours le visage fendu par un sourire joyeux.

J’osai jeter un coup d'œil vers Kathy qui s’était penchée afin qu'un très grand nombre de paires d’yeux puissent profiter pleinement de l’échancrure de sa robe. Mon regard croisa le sien, un brin provocateur. Pour toute réponse, je lui dédiai mon plus beau sourire faux-jeton en levant mon pouce droit en l’air, lui signifiant ainsi : « vas-y ma cocotte ».

J’eus le bonheur de voir une expression étranglée se peindre sur son visage en forme de cœur. Pour peu, j’en aurais ri.

J’avais une faim de loup. Sans vouloir faire un mauvais jeu de mots... quand deux jeunes femmes apportèrent des dindes rôties accompagnées de patates vapeurs, j’en salivai. L'odeur émanant des volailles préalablement découpées en généreux morceaux fit gronder mon estomac.

Je rougis, certaine que toute la tablée de loups-garous avait entendu mon ventre crier famine.

Au moins, ils eurent la délicatesse de l’ignorer. Enfin presque tous. Luc m'adressa un regard goguenard... Billy, lui, un sourire compatissant. Jérôme se retenait à peine d’éclater de rire.

Je quittai des yeux les appétissantes dindes pour remarquer que les hommes se laissaient servir par leur tendre moitié. Alors là, Luc pouvait se taper sur le ventre et boire de l'eau fraîche : je ne jouerai pas le rôle de la parfaite petite louve.

Je pouffai.

Pourquoi ?

Kathy s’était jetée sur la viande afin de servir Luc, ce dernier grogna un remerciement non sans avoir reluqué le décolleté de la Thérianthrope.

À mon gloussement, les deux se tournèrent vers moi en même temps. Je me raclai aussitôt la gorge, me mordant presque la lèvre inférieure au sang pour contenir cet accès d’hilarité. Je ne sais pas d’où il venait. Trop-plein d’émotion, ou hystérie latente ou encore le simple fait d'être spectatrice de cette ridicule mise en scène ayant certainement pour objectif d’aiguiser ma jalousie. Beh, mes enfants, c’était raté. Et pas qu'un peu !

Visiblement, Luc apprécia moyennement vu son air furieux. Quant à Kathy, elle semblait se demander si c’était du lard ou du cochon.

Le gentil Billy me servit, un petit sourire hésitant sur les lèvres.

Quand je vis mon assiette remplie de cette alléchante nourriture, je faillis l’étreindre de reconnaissance. Jamais je n'aurais osé me servir, et Luc paraissait vouloir me faire payer mon manque de possessivité.

Je lui offris mon plus beau sourire, pleine de gratitude.

L’adolescent rougit violemment.

Avant de devenir pâle comme la mort.

Je fronçai les sourcils, devinant aisément que le mâle Gamma se trouvant à ma gauche y était pour beaucoup dans le changement de teint du petit Thérianthrope.

Au moment où je me tournais vers lui afin d'exprimer ma façon de penser sur ses manières, j’entendis une mâchoire claquer dans l'air puis un grognement sourd. Luc s’adressa ensuite à Billy dans leur langue. Sa voix était dangereusement basse et ses yeux avaient leur couleur d’or liquide. Il était à moitié debout, dans une position très agressive.

Jérôme intervint.

— Luc, Billy a juste voulu être poli vu que tu n’as même pas pris la peine de servir ta femelle lors de son premier repas parmi nous. On a tous entendu son ventre gargouiller. Au lieu de batifoler avec Kathy, tu aurais dû la nourrir.

Les propos du loup-garou firent mouche.

Luc se rassit immédiatement en serrant les dents.

Je crus entendre Billy soupirer de soulagement, j’allais poser une main consolatrice sur celle de l’adolescent quand Jérôme interrompit mon geste d'un signe négatif de la tête.

Je ramenai donc gentiment ma main près de moi. Pour dévorer le contenu de mon assiette.

 

***

 

Il y avait bien une personne que je n’avais pas encore rencontrée depuis mon arrivée à la tanière. C’était la compagne d’Éric. Joana. La femelle Alpha.

Je n’osais pas questionner franchement Luc. J’essaierai peut-être de me renseigner auprès de Billy...

— Que va-t-on faire d’elle, Luc ?

C’était Raven.

Un silence lourd s’installa dans la salle.

Tous les loups-garous baissèrent la tête.

Le frère d’Éric haussa les épaules avant de lui répondre.

— Eh bien, c'est très simple... Anae est désormais mienne.

— Tu es naïf si tu crois que les Ombres Brumeuses vont gentiment te la laisser sans rien tenter, continua le mâle Alpha, le visage dur.

Luc se tendit. J’en fis de même mais peut-être pas pour les mêmes raisons que lui. J’espérais une suite en ma faveur.

— Une vie pour une vie, Raven. Qu’ils s’estiment heureux que je ne l’aie pas tuée.

— Ce ne sont pas eux qui ont tué Éric, Luc.

Cette voix féminine n'appartenait à aucune des convives déjà présentes autour de la table. Une superbe femme blonde se tenait sur le seuil de l’entrée de la salle, portant dans ses bras le bébé gazouilleur entrevu avec Kathy. Elle s'avança gracieusement, telle une véritable reine vêtue d’une longue robe violette mais pieds nus.

— Joana… commença Luc, d’une voix douce.

Énormément de tendresse s'affichait sur le visage du Thérianthrope, tant, que cela m’émut malgré moi.

De près, Joana avait des yeux bleu clair, presque transparents.

Elle me gratifia d’un regard froid. Je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas m’aimer. Si j’avais perdu Liam, je n'étais pas sûre de pouvoir accueillir à bras ouverts une personne potentiellement responsable de son décès.

— Je t’en parlerai en privé, Luc.

Le ton de sa voix était celui d’une personne possédant une autorité naturelle.

— J’espère, ma chère Joana, que je pourrai profiter de vos lumières concernant cette affaire, susurra Raven, un sourire mauvais sur sa bouche fine.

La compagne d’Éric le lui rendit, en beaucoup plus glacial.

— C’est évident. Surtout que vos sources sont médiocres concernant le clan des Ombres Brumeuses.

Raven ne prit même plus la peine de cacher sa haine. Ses yeux étincelèrent d'une teinte animale, un jaune vif luisant.

— Luc, tu devrais ramener cette femelle dans ta chambre, chantonna Maguy en posant sur moi son regard bleuté.

Luc lança une phrase dans leur langue maternelle. Ce à quoi la chamane sourit avant de prononcer quelques mots à son tour.

Des gloussements secouèrent une partie des loups-garous femelles.

Je n’aimais pas ça du tout.

Billy et Kathy s’étaient simultanément renfrognés.

Non, ce n’était pas bon du tout, la tournure des événements.

 

 

 

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