- Traître -
« Un direct dans la mâchoire est le meilleur moyen de régler un problème. »
Keir, mi-vampire, mi-loup-garou
- Keir -
La pauvre bestiole essayait de me mordre les doigts. Ses pattes arrière griffues battaient l’air de façon vraiment misérable. J’avais presque pitié d’elle. Enfin, presque.
Je plantai mes crocs dans le rat avec autant d’entrain qu’un gosse devant une purée d’épinards.
Mais à « rat donné, on ne renifle pas la puanteur ».
Comment m’étais-je retrouvé sur ce lit rongé par l’humidité, à bouffer du surmulot dégoûtant en guise de petit-déjeuner ? Comment avais-je obtenu ce superbe huit mètres carré avec vue sur… rien, puisque totalement dépourvu de fenêtre ?
Ça, c’était la question à mille euros.
Oui, fallait reconnaître que c’était l’endroit idéal pour quiconque désirait devenir ermite, ou complètement cinglé.
Le vrai mystère est : comment pouvait-on y séquestrer des vampires avec de super pouvoirs ? Surtout que personne n’avait pris la peine de verrouiller la porte en fer. Déjà rien que ce détail aurait dû me mettre la puce à l’oreille.
La réponse fut… percutante.
J’avais donc – très naïvement – cru pouvoir sortir tranquillement de cette jolie cellule décorée avec goût – oui à ce niveau, la moisissure relevait de l’art contemporain. J’eus juste l’immense plaisir de me recevoir une charge phénoménale d’électricité. Décharge m’ayant envoyé valdinguer avec empressement contre le mur.
Elle sortait d’où cette électricité ?
J’avais cherché, reniflé tous les coins… Pas moyen de savoir d’où venait cette protection.
Vu que je venais de bouffer mon unique colocataire, j’allais être désormais obligé de me faire la conversation tout seul.
En soupirant, je jetai le rat inerte qui alla se cogner mollement sur la pierre verdâtre et tomber sur le sol dans un bruit faible.
Une espèce de « scccchhhhhquiiick » écœurant.
Soudain, cela me démangea dans le cou.
Je me grattai donc sans vraiment y penser. Quand une démangeaison similaire se fit sentir dans mon dos.
En poussant un juron vraiment très laid, je bondis hors du lit.
Pas moyen ! Même sous ma forme loup-garou je n’avais jamais chopé de puce, ce n'est pas aujourd'hui que ces saletés me dévoreraient !
J’ôtai rapidement mon T-shirt afin de m’en frotter avec et le secouer au loin.
Puis je la vis.
Nom de Dieu !
Avais-je une hallucination ?!
Il avait becté quoi ce foutu rat pour me refiler des effets secondaires ?
Dans le mur de pierre envahi par une mousse verte et noire, une lumière blanche, faible, comme l’écran d’un rétroprojecteur à la luminosité au minimum. Je m’approchai, la main hésitante à toucher le truc, de peur de le faire disparaître.
Elle m'apparaissait aussi clairement que si elle était face à moi en chair et en os.
Anae.
— Bord… Qu’est-ce que… murmurai-je, complètement hypnotisé.
J’avais droit à une projection privée par le biais d'une caméra en train de la filmer. Question : Elle sortait d'où cette foutue caméra ?!
Elle dormait.
Sur un lit.
En soi, un détail banal. Seulement... la voir roupiller dans un lit et non dans un trou bourré de puces comme moi me rassurait.
C’était réel ? Mon cerveau débloquait ? C’était du direct ou une retransmission pour me torturer ? Je devenais cinglé ? Quoi, après juste quelques heures d'enfermement ?
Merde.
Je me croyais franchement plus solide.
J’en étais là de mes réflexions quand une autre personne pénétra dans le champ de la caméra cachée.
Le cabot gothique de la galerie !
Ce sale clébard se penchait au-dessus d’elle.
Je serrai les poings.
— Toi, je te jure que je vais t’épiler la tronche si tu la touches ! grognai-je.
Je le regardai s'abaisser inexorablement vers la jeune femme, complètement impuissant. Tout en retenant mon souffle, je fixais le Thérianthrope se retourner comme s’il avait été interpellé par une tierce personne au-delà de l'écran improvisé.
Je respirai de nouveau normalement en le voyant partir.
— Sauve-la !
L’ordre venait d’une voix masculine sortie de nulle part.
Je sursautai. Non, en fait, c’était bien plus qu’un simple sursaut, un peu comme un personnage de dessin animé à qui l’on aurait planté une fourche dans le postérieur !
Voilà, je devenais maboule. J’avais la vidéo, maintenant l’audio.
— Vous êtes qui vous ?! criai-je, tout en me sentant complètement idiot de m'adresser à cette voix.
— Aucune importance. Sauve-la ! m’ordonna la « voix ».
Je désignai d’un geste moqueur la porte, la seule issue de cette cellule.
— Peut-être êtes-vous juste une méga hallucination car je suis en train de péter les plombs… Seulement, je ne sais pas si vous avez remarqué : je ne peux pas sortir d’ici à moins de me transformer en ampoule pour survivre à la très sympathique décharge électrique. Ou en spectre, histoire de traverser le mur sans ressembler à un milk-shake. Mon frère est sans doute plus libre de ses mouvements, vous devriez l’appeler. Je vous donne son numéro ?
Ouais, le ton de ma voix était franchement ironique. Mais j’avais des circonstances atténuantes.
—… Peux pas... Liam… crachouilla la voix.
— Allô ? Vous passez sous un tunnel ? gloussai-je.
Fallait reconnaître que c’était super drôle.
Brusquement, la porte s’ouvrit toute seule comme par enchantement. J’en avais la mâchoire qui pendait tellement j’étais scié.
— Sans rire, vous êtes trop fort. Qui, ou quoi que vous soyez !
Je sortis de la cellule sans demander mon reste. Pour être immédiatement stoppé par le général en chef… Monsieur mon papa Ombre Brumeuse.
Il eut dans un premier temps, un air très choqué de me voir hors de ma cellule, porte grande ouverte.
J’aurais pu rire de son expression interloquée.
Oui, j’aurais pu.
Mais l’idée de retourner entre ces quatre murs me coupait franchement la chique.
— On peut savoir par quel miracle tu as réussi à t'évader ?
La voix d’Emmery était affable, comme s’il me demandait de lui passer le dernier Vamp’ magazine.
— C’est une excellente question, grimaçai-je.
Puis son visage, l’espace de quelques secondes, prit un air effrayé.
C’était très perturbant pour moi de lui voir faire une tête pareille.
Il se précipita dans ma cellule, laissant derrière lui deux vampires de sa garde personnelle et Yléonnore.
Je l’observai chercher quelque chose dans ma petite cellule parfumée à la moisissure. Soudain, il se tourna vers le mur où était apparu le petit film sur Anae.
Emmery s’approcha lentement en inspirant profondément. Le vampire n’osa pourtant pas le toucher directement, laissant sa main à quelques centimètres des pierres.
— Cela sent sa magie… ce n’est pas possible.
Il avait murmuré ces mots plus pour lui-même que pour nous autres.
— La magie de qui ? questionnai-je, curieux.
Le chef du clan sursauta, surpris que je l’aie entendu.
— Fais comme si je n’avais rien dit… Retourne dans ta cellule, Keir, nous te sortirons de là par les voies légales.
— Hein ?!
J’allais vraiment passer la nuit en compagnie des puces ?
***
- Liam -
— Liam ! Quel plaisir de te revoir !
Lokham m’enserra dans une étreinte qui aurait certainement brisé les côtes d’un être non surnaturel.
Je lui rendis l’accolade avec un sourire crispé sur les lèvres.
— J’aurais aimé qu’on se retrouve dans d’autres circonstances…
Le vampire en kilt poussa un soupir très humain.
— Oui, je sais. Les mauvaises nouvelles vont plus vite que les bonnes.
D’un geste de la main, mon ami m’invita à entrer dans sa demeure. L’ambiance chaleureuse de la ferme n’avait pas changé d’un iota depuis ma dernière visite avec Anae.
— Tu veux du sang en coupe ? me proposa Lokham en tapotant un fauteuil.
— Non merci, refusai-je en m’asseyant.
— J’imagine que tu es venu pour la situation de Keir.
La voix de Lokham était empreinte d’une gravité inhabituelle chez ce vampire plutôt enjoué.
Je hochai la tête en le regardant prendre place sur le fauteuil en face du mien.
Cela me rappela encore qu’Anae et moi étions dans cette pièce quelques mois auparavant.
Une douleur traversa mon corps.
— Oui. Mais avant toute chose, je souhaiterais connaître l’avancement des recherches de notre équipe sur le sérum de la Fraternitas récupéré par Keir lors de l’affrontement.
Mon ami vida d’un trait son verre de sang.
— Nous avons déterminé l’élément principal, qui est du mercure, cependant les autres restent un mystère.
— Le mercure ?! m'exclamai-je, étonné.
Lokham se gratta pensivement le menton.
— Mhm. Il semblerait que sa propriété neurotoxique y soit pour beaucoup dans la paralysie de nos pouvoirs et l’affaiblissement de notre corps. Nous travaillons sur un antidote basé sur une oxime nommée le HI-6, le clan des vampires du Canada nous fournit les informations nécessaires.
— Bien.
Lokham se racla la gorge, la mine encore plus grave.
— Ce n’est pas tout. Outre le fait que nous soyons sensibles à la neurotoxicité du mercure, il semblerait qu’il ait un second effet et non des moindres.
Je me tendis.
— Il a une incidence sur la reproduction.
— Comment ça ?!
— Il rend stérile, annonça Lokham d'une voix morne.
Je me statufiai.
— Tu veux… tu veux dire que je ne peux plus…
Mon ami secoua la tête, son visage attristé était plus éloquent que des mots.
— Ce n’est pas certain, après tout nous ne sommes pas humains. Les sangs-purs ne l’ont jamais été... Il faut pratiquer les tests adéquats. Nous connaissons désormais les plans de la Fraternitas nous concernant : nous stériliser.
Je me passai une main tremblante sur mon visage.
L’idée que je ne puisse plus mettre Anae enceinte me soulageait autant que cela m’était intolérable.
Ce sentiment paradoxal me rongeait de l’intérieur.
— Liam… commença-t-il, en esquissant vers moi un geste amical de réconfort.
Je le repoussai.
— Ça va. Qui sait, c’est peut-être mieux ainsi.
Un silence tendu s’installa entre nous.
Je décidai de le briser en me relevant.
— En ce qui concerne le traître… et le complot visant à renverser mon père ?
Lokham se redressa à son tour pour aller fouiller dans son bureau au fond du salon. Il revint avec un dossier protégé par une pochette carton de couleur crème.
— Je crois que tu as déjà ta petite idée sur son identité, il nous reste à découvrir la raison, me murmura le vampire en me tendant le dossier.
Je l’ouvris afin d’y lire rapidement les quelques lignes de la première page. Lorsque je soulevai cette dernière, des photos d’Yléonnore apparurent. Lokham ou mon père avait dû la faire suivre. Mais depuis quand ?
Mon ami dut lire dans mes pensées car il répondit machinalement à ma question.
— En fait, nous avons fait suivre Arthem et Yléonnore depuis la présentation de l’Élue lors du repas au manoir. Quand tu as informé ton père de l’attaque du vampire de notre clan, cela a éveillé notre méfiance. Yléonnore se comportait déjà étrangement depuis la découverte d’Anae.
Je haussai un sourcil. J’étais furieux.
— Personne n’a cru bon de m’en informer ?
Lokham semblait mal à l’aise.
— Tu connais Emmery… Il distille le moins d’informations possible, et ne le fait qu’en dernier recours.
— Et nous sommes en situation d’urgence, n'est-ce pas ? lançai-je, acide.
Mon ami baissa piteusement la tête.
Je soupirai, après tout ce n’était pas de sa faute, il ne faisait qu’obéir au chef du clan.
— Je ne t’en veux pas, Lokham. Je comprends.
Le vampire opina, acquiesçant ainsi à ma conclusion mentale.
— Regarde attentivement les photos, Liam.
Je lui renvoyai un regard interrogateur.
Mes yeux examinèrent plus consciencieusement les clichés de l’Oracle. Le premier détail frappant était la tenue on ne peut plus banale d’Yléonnore, jean, sweat à capuche… Elle qui adorait se pavaner dans des robes faites sur mesure dans le pur style gothique.
Le détective l’avait prise devant un hôtel miteux, on pouvait la sentir anxieuse à l’idée d’être suivie.
Mais qui allait-elle voir ?
Certains clichés la montraient dans une chambre discutant visiblement avec quelqu’un.
Même si le photographe espion avait essayé de prendre la chambre sous un maximum d’angle de vue différent, l’autre personne restait parfaitement invisible.
Je levai les yeux vers mon ami.
— Nous ne savons pas avec qui elle avait rendez-vous. Une seule chose est sûre, Arthem agissait sous ses ordres. Nous pensons qu’Yléonnore obéit à une autre personne. Tout porte à croire qu’Anae est le point central de l’histoire. Nous connaissons la dévotion d’Yléonnore pour Emmery, jamais elle ne se dresserait contre lui à moins d’en avoir reçu la directive d’une entité supérieure à ton père.
— Une entité supérieure à mon père ? Tu veux dire... Un « Puissant » ?!
Lokham acquiesça encore.
— Cela fait des années que nous n'avons pas eu à composer avec eux... Cela laisse présager que quelque chose se prépare.
Je lui rendis le dossier, anesthésié par la nouvelle.
— Donne-moi au moins un peu plus d’informations.
Mon ami plongea ses yeux gris dans les miens.
— Tout ce que je peux te dire, c’est que l’entité qui se trouvait dans cette chambre d’hôtel avec Yléonnore était l'un d'entre eux.
— Pardon ?! C'est impossible !
— Notre vampire-espion a senti une aura émanant de cette chambre… une aura puissante, non humaine qui lui était complètement inconnue et…
— Et… ?
Ma voix était sifflante.
— Et effrayante. Elle lui rampait dessus à lui coller la peur de sa vie. Notre détective n’est pas un simple vampire mordu, Liam, c’est un vampire sang-pur.
Du moment que l'on respectait les « règles », les Dieux nous laissaient tranquilles... du moins, c'était le cas depuis des centaines de décennies.
— Et Anae ? Que vient-elle faire dans cette histoire ?
Cette question m’avait brûlé les lèvres et le cœur.
Mon ami haussa les épaules.
— Comme je te le disais, Emmery ne distille que les informations qu'au compte-goutte. Il n’a pas jugé nécessaire de partager ce qu’il sait avec moi. Je te propose d’aller te coucher jusqu’à ce soir. Tu as besoin de toutes tes capacités physiques et mentales.
J’étais entièrement d’accord, même si l’envie furieuse d’aller voir mon père me taraudait.
— Où est Héléna ? m'enquis-je, étonné de son absence.
Il m’avait paru étrange que la vampire ne soit pas aux côtés de son compagnon.
Lokham retrouva son joyeux sourire.
— Shopping, Liam, le meilleur ami des humaines et des femelles vampires…
Cela me fit sourire, mais ce fut un sourire dénué de gaieté, parce que cela me rappelait que la mienne, d'humaine, était trop loin de mon cœur et de mes yeux.
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