- Le Plan -
« Chacun d'entre-nous a un plan... Court ou long terme.
Pour détruire l'adversaire. Vaincre. Gagner. Un plan, une machination, n'a qu'un seul but... Un objectif purement égoïste ».
Emmery MacDowen
- Anae -
J’étais assise sur le lit, dans la chambre de Luc, et regardais Kathy faire des allées et venues face à moi. Elle se rongeait les ongles en marmonnant des paroles inintelligibles.
En tout cas, elle ne semblait pas perturbée par les femmes à demi nues ornant les murs du loup-garou.
— Que voulais-tu me dire ? demandai-je sèchement, à bout de patience.
Comme si elle se souvint brusquement de ma présence, la Thérianthrope cessa son manège pour me gratifier d’un regard anxieux.
— Tu dois partir.
Bon ben, cela avait le mérite d’être clair... mais je n’étais pas vraiment surprise par sa requête.
— Mais encore ?
La femelle Gamma prit mes mains dans les siennes, et lorsque j’allai retirer vivement mes doigts, elle resserra son étreinte.
Ses yeux paraissaient fiévreux et un peu fous.
— Si tu restes, les vampires nous tueront tous.
Je clignai plusieurs fois des paupières.
Avait-elle pété les plombs pour de bon ?
— Comment le sais-tu ?
— J’ai rencontré ton vampire. C’est lui qui me l’a dit.
Un froid polaire se déversa dans mon sang. Mon cœur cessa de fonctionner correctement.
— Tu… as vu… Liam ? Où ? Comment ?
J’avais du mal à articuler, comme si ma mâchoire était anesthésiée par un puissant calmant.
— Je… j’ai pris contact avec lui par le biais de tes collègues de travail. On s’est vu dans un motel en ville. Il a failli me tuer.
— Est-ce que… Est-ce qu’un membre de la meute est au courant de ton entrevue avec… lui ?
Kathy secoua négativement la tête, totalement apeurée.
— Non, non, si je le faisais, je mettrais tout le monde en danger. Il m’a ordonné d’organiser ta fuite. Normalement, tu as rendez-vous avec lui, ce soir, aux abords de la forêt. Tu dois partir immédiatement ! Tant que la tanière est quasiment vide. Si tu ne le fais pas, les vampires débarqueront et cela sera un véritable carnage !
J’arrachai enfin mes mains des siennes.
La peur de revoir Liam après l'avoir trahi me paralysait.
Je lui fis non de la tête.
— Ce n’est pas possible... je... je ne peux pas. Pas après... Non !
La haine brilla férocement dans les yeux de la louve.
— Tu veux qu’on crève tous parce que tu trembles à l’idée d’assumer ta coucherie ?! Es-tu à ce point égoïste ? Il y a ici des femmes et des enfants innocents qui ne méritent pas de mourir parce que tu as la trouille !
Kathy avait raison. Je ne pouvais pas mettre toute la meute en danger parce que je craignais d’affronter Liam. Ma capitulation dut se lire sur mon visage, car la Thérianthrope m’attrapa violemment par le poignet.
— Viens ! Allons-y avant que tous ne reviennent ! lança-t-elle en me tirant avec force.
Je la suivis dans les couloirs sombres de la grotte, telle une automate. Ou du moins, elle me traînait derrière elle, ses doigts serrant mon poignet à me le briser.
Quand j’aperçus l’entrée, j’eus un mouvement de recul.
La Thérianthrope s’en rendit compte.
— C’est pas le moment de flancher !
Une fois à l’extérieur, elle me poussa vers la forêt.
— Avance toujours tout droit ! Ton vampire viendra à ta rencontre. Je ne peux pas t’accompagner, s’il me voit encore : il me tuera.
Je regardai la forêt, soudainement très dangereuse.
— De quoi as-tu peur ? Après tout, tu es une louve, désormais ! C’est toi le prédateur ! cracha Kathy, haineuse.
La Thérianthrope se dépêcha de retourner dans la tanière, prenant soin d’y remettre les branchages pour camoufler l’accès.
Je me frottai les avant-bras.
Était-ce donc si facile de s'en aller d'ici ? Si je l’avais su, j’aurais tenté ma chance bien avant !
Je pénétrai dans l’immense bois ténébreux, non sans avoir pris une longue inspiration afin de calmer mon angoisse. J’aurais bien aimé connaître le processus de transformation : être en loup aurait eu des avantages à cet instant précis.
Plus je marchais entre les arbres, plus mon cœur battait la chamade. Tout en sachant pertinemment que je n’aurais pas dû faire confiance aux propos de Kathy, une part de moi admettait que rester parmi les loups-garous les mettait en danger. Et que sur ce point-là, elle avait entièrement raison.
Quoi ?
Attendre le bon moment ?
Cela aurait été quand le bon moment pour partir ?
Autant s'en aller dès ce soir.
Même si Liam ne se venait pas au rendez-vous, au fond, peu importait.
***
- Kathy -
Depuis sa cachette, Kathy observait le départ d’Anae.
Cette gourde avait tout gobé.
Tant mieux !
La Thérianthrope n’avait pas entièrement menti... certes, il y avait bien un rendez-vous de prévu avec le vampire, mais seulement le lendemain ! D’ici là, elle atteindrait certainement le manoir des suceurs de sang.
Elle reçut un texto de son père, Jérôme, tandis qu’elle arrivait à sa chambre. Le message l'informait de leur retour dans deux heures, avec Raven et Luc. Quelle aubaine d'avoir trouvé Anae aussi vite et surtout seule dans la tanière !
Même si Kathy se doutait de la première réaction de Luc : partir immédiatement à la recherche de la femelle des vampires... Kathy mettrait tout en œuvre afin de le retarder... oui, elle inventerait n’importe quoi.
Sur ces pensées revigorantes, elle alla l'attendre dans la grande salle.
***
- Anae -
J’avançais tant bien que mal, me faisant souvent gifler par des branches. Elles m’égratignaient avec un certain enthousiasme... Brusquement, je reconnus la terrible douleur.
C’était bien cette douleur. Celle de la transformation !
Je tombai à genoux.
Bizarrement, ma première pensée fut pour mes vêtements.
Je me remémorai le strip-tease de Luc, avant sa métamorphose.
J’ôtai donc mes habits aussi vite que me le permettait la souffrance atroce me déchirant le corps.
La sensation, presque familière maintenant, qu’une chose me rampait sous la peau fit son apparition.
Je perdis connaissance.
À mon réveil, je n’étais pas surprise de me retrouver de nouveau en louve.
Le soulagement d’être en gros chien était ô combien ironique !
Vu mon environnement actuel et le danger potentiel qu’il regorgeait, je pensais qu’effectivement me transformer était la meilleure des choses.
Je me secouai de la truffe au bout de la queue, ce qui eut pour effet d’ébouriffer mon poil. Geste doublant le volume de mon pelage mais me protégeant du froid extérieur.
Mon sens animal m’annonçait qu'aucun ennui sérieux ne se profilait à l'horizon ; je me mis donc à trottiner paisiblement dans la forêt. M'arrêtant de temps à autre de-ci de-là afin de renifler les différentes choses, identifiant clairement leurs odeurs et les cataloguant mentalement.
Puis je me mis à penser à Luc.
Comment réagirait-il à ma fuite ?
Me chercherait-il ?
Oui, j’en étais certaine.
En fait, le mieux était de ne pas aller au manoir. Je devais m'éloigner des vampires et des loups-garous. Il n'existait que ce moyen pour éviter une confrontation sanglante entre les deux clans de créatures, confrontation dont j’étais l’objet.
Je changeai donc de direction et ne suivis plus celle indiquée par Kathy.
C’est là que je les entendis.
Les cris.
C’était un homme réclamant de l’aide.
J’hésitai.
Finalement, je pris la décision de voir de quoi il en retournait.
En avançant le plus doucement possible, je m’approchai de lui silencieusement, posant délicatement une patte après l’autre.
L’homme ne semblait pas en grande forme.
Adossé contre un mur, il sentait la sueur et le sang.
Après l’avoir observé attentivement, je compris d’où venait le problème. Il avait le pied pris dans un piège à loups.
— Aidez-moi ! Par pitié ! Il n’y a donc personne ! cria-t-il.
Je me montrai, les oreilles dressées à l’avant, prudente.
Quand il me vit, il devint blanc comme un linge.
En voilà donc une drôle de réaction ! C’était bien la première fois que j’inspirais la peur chez un homme.
J’en aurais bien ri si mes cordes vocales me l’avaient permis.
— Oh merde ! Oh merde ! marmonna l’homme, c’est bien ma veine, je vais me faire bouffer par un loup la jambe prise dans un piège censé les attraper !
Oui, la situation avait le goût de la mauvaise blague.
Alors que je faisais quelques pas dans sa direction, il se mit à gesticuler en agitant ses bras.
— Pst ! Ouste ! Dégage ! Je ne serai pas ton repas !
Non, mais il croyait vraiment avoir l’air appétissant ? « Mon gars, t’es loin de ressembler à une pizza ! », avais-je envie de lui dire.
Je continuai donc à me rapprocher malgré ses hurlements censés m’effrayer, je dis bien « censé ».
Lorsque je fus assez près, à presque me retrouver nez à nez avec l'étranger, il s’arrêta de bouger, n'osant même plus respirer.
Je percevais sa peur, elle roulait sur ma langue, excitant mon instinct de prédateur.
Il était plutôt beau garçon, même si son bonnet camouflait ses cheveux. Des traits réguliers, un menton volontaire et des pommettes saillantes.
— Tu ne vas pas me bouffer, hein ?
« À moins que tu ne deviennes par magie un hamburger, aucune chance » lui rétorquai-je, mentalement.
Il plongea ses yeux dans les miens.
— Wow ! Je n’ai jamais vu des yeux aussi dorés chez un animal.
Cela me rappela Luc, ce dernier en possédait de bien plus dorés que les miens.
Comment le libérer de là ?
Sa cheville était prise dans un piège, et les mâchoires de fer le saignaient à blanc.
Nous avions besoin d'un bâton assez gros, solide, afin d'appuyer sur le mécanisme. Je me mis alors à en chercher un.
À quelques mètres de l’homme, je trouvai mon bonheur, après l’avoir saisi dans ma mâchoire je l’apportai à l’inconnu.
Il me fixa avec des yeux ronds comme des ballons quand je lui lâchai le bout de bois dans les mains.
— Toi, t’es un loup sacrément intelligent ! murmura l’étranger, incrédule.
Je m’assis sur mon postérieur, pour le regarder s’évertuer à ouvrir le piège.
Il rata trois fois avant de réussir. L’homme se releva péniblement en laissant échapper des gémissements de douleur.
Bon, je venais donc de faire ma première bonne action en tant que loup-garou... chouette ! Maintenant, je devais reprendre mon chemin.
Alors que je me détournais de lui, l’inconnu m’interpella.
— Hey ! Le loup ! Merci !
Je levai ma gueule vers le randonneur blessé.
— Je… – Il se racla la gorge – 'tin je cause à un loup sans déconner ! Hum, il y a la cabane de mon père un peu plus haut… Dis, le loup, je te paye un repas et une nuit au chaud pour te remercier, ça te tente ?
Il était vraiment en train de m’inviter à manger, là ?
J’hésitai. Un tas de créatures allaient me poursuivre et ils ne feraient qu’une bouchée de ce randonneur imprudent… Cependant, l’idée de chasser la biche afin de me nourrir ne m’emballait pas.
Bon, j’allais suivre ce séduisant jeune homme, me nourrir et partirais à la vitesse de l'éclair... mais seulement une fois mon estomac plein. Je revins vers lui en guise de réponse.
— Je crois que je deviens maboule. En plus de discuter avec un loup, j’ai l’impression qu’il me comprend… lâcha l’homme, au comble de l’étonnement.
Nous parcourûmes quelques mètres avant de nous retrouver devant une sympathique maisonnette en bois.
Je lançai un regard renfrogné à l’inconnu.
« Dis donc, t’es au courant que ton cabanon se trouve au milieu d’un territoire de vampires et de loups-garous ? » l'informai-je en pensée.
Avant d’ouvrir la porte, il remarqua mon air désapprobateur.
— Quoi ? On dirait que tu m’engueules avec une tête pareille ! s’esclaffa le randonneur.
Il appuya sur un interrupteur et une lumière douce envahit l’intérieur, somme toute assez douillet, de la petite cabane. Il y avait un petit coin kitchenette sur la gauche avec à côté une table en pin et un banc assorti. Sur la droite se trouvait un lit de camp avec un tas de couvertures et un poêle à bois. Le sol était couvert de peaux de bêtes.
— Je te promets que ces peaux sont cent pour cent synthétiques.
Il avait dû m’observer.
J’entrai prudemment. Mes griffes résonnèrent sur le plancher en bois vernis.
En prenant soin de ne pas s’appuyer sur sa jambe blessée, l’inconnu chercha le nécessaire afin de se soigner dans l’armoire à pharmacie.
Tandis que je reniflais ici et là, ne sachant pas trop où m’installer je l’entendis jurer.
Je me tournai vivement vers lui.
Armé de fil et d'aiguille, ainsi que de désinfectant, l'étranger esquissa un sourire penaud qui n'atteignit pas ses yeux bleu pâle.
— Je suis étudiant en médecine. Heureusement pour moi, ma cheville n’a besoin que de quelques points de suture, aucun téléphone portable ne passe ici.
Je le laissai donc se soigner, me roulant en boule à même le sol.
Sans m’en rendre compte, je m’assoupis.
***
C’est l’odeur de la viande grillée qui me réveilla.
J’avais une faim de loup. Sans vouloir trop pousser dans le jeu de mots facile.
Par chance, je ne m’étais pas à nouveau transformée en humaine. Quoique... j’aurais payé cher pour voir la tête du randonneur si cela avait été le cas.
Il ne s’était pas changé ; quand il s’aperçut que j’avais terminé ma petite sieste, il prit une assiette pour y déposer un steak cru.
C’était une blague ?
Hors de question que je mange de la viande pas cuite.
Je poussai l’assiette du museau en gémissant.
L’homme me dévisagea sans comprendre.
— Eh bien ? Tu n’en veux pas ?
C’était assez logique. Il ignorait avoir à faire à un loup pas vraiment élevé à la dure.
Je lorgnai donc le sien, cuit à point et posé dans son assiette sur la table. Avant qu’il ait pu comprendre ce que je m’apprêtais à faire, je lui volai purement et simplement sa pitance.
Son expression valait de l’or.
— Hey ! Ça, c’est mon steak ! s’écria-t-il en tentant de me reprendre le morceau de viande.
Je l’esquivai avec une déconcertante facilité, surtout avec sa jambe blessée, il n’était pas en pleine possession de ses moyens.
L’inconnu leva les mains en l’air en signe de reddition.
— Okay, mange donc celui-là... je vais me faire cuire l’autre. Bon sang ! Je n'y crois pas ! Un loup qui ne mange pas de la viande crue ! Décidément, t’es pas commun toi...
J’exprimai mon contentement par de légers grognements, tout en dévorant ce tendre morceau de bœuf.
Lorsque j’eus terminé, instinctivement, je me léchai les babines, pour finir par mes pattes. Le jus de la viande avait coulé dessus.
— Ai-je payé ma dette ? s'enquit le randonneur en mettant les assiettes dans l’évier en inox.
Je me contentai seulement de grogner – comment m'exprimer autrement ? – puis posai mon museau entre mes pattes avant.
Il hocha la tête en arborant une moue mi-amusée, mi-vexée.
— Je vois... tu n'as pas l’air convaincu ! Tiens, pendant que tu dormais, j’ai pu voir que tu étais une femelle...
Ô Seigneur ! Béni soit le ciel que les loups soient incapables de rougir !
L’inconnu me sourit.
— Tu es vraiment superbe, miss louve. Je suis étonné qu’il y ait des loups dans cette forêt. Je n’y viens pas souvent depuis la mort de mon père, et encore moins depuis que j’ai commencé les études de médecine. Jamais je n’aurais cru trouver un animal comme toi dans les parages.
« Oui, moi non plus, si tu veux savoir ! » lui répondis-je.
Tout d’un coup, je l’entendis. Je me dressai rapidement sur mes pattes.
Un grognement qui n’avait rien d’humain.
Je me mis à renifler frénétiquement, m’approchant même de la porte pour mieux sentir l’air se faufilant par en dessous.
— Quoi ? Que se passe-t-il ? Tu as senti quelque chose ?
Mon grognement furieux lui fit comprendre que oui... ce qui n’était pas forcément une bonne chose. Je reculai tout en continuant de grogner et sans cesser de fixer la porte d’entrée.
L’odeur m’avait paru familière, mais ce n’était pas Luc.
Qui était-ce ?
Mes babines se retroussèrent, dévoilant mes crocs, le grondement sourd sortant de ma poitrine allant crescendo. Bref, le parfait loup prêt à en découdre ! Puis je n’entendis plus rien. Les oreilles tendues vers l’avant, je reniflai encore.
L’odeur était toujours là mais s’était modifiée. Celle-ci était déjà plus identifiable.
Impossible !
Que faisait-il là ?!
Des coups frappés à la porte nous firent sursauter. Étant donné que je n’étais plus en posture de défense, l’homme se sentit légèrement rassuré puis se décida à ouvrir à notre « mystérieux » visiteur.
Il apparut, tel un ange descendu des cieux !
Keir !
— Excusez-moi de vous déranger… mais j’ai perdu mon chien et j’ai vu de la lumière ! dit le vampire mi loup-garou avec une expression innocente sur le visage.
L’inconnu se posta sur le côté afin de permettre à notre invité de me voir.
— Vous voulez dire que c’est… un chien ? s'exclama l’homme, incrédule.
Sans me lâcher des yeux, Keir répondit au randonneur.
— Oui, c’est un chien-loup… Alors, ma douce ? On part toute seule en vadrouille pour faire du mouron à papa Keir ? Hein ?
Il s’était accroupi puis me fit signe d’approcher. Je courus me jeter sur lui et il perdit l’équilibre sous l’assaut. Je léchai joyeusement son visage en gémissant de bonheur. Si le randonneur avait eu des doutes, je venais de les lui ôter par mon comportement.
— Entrez boire un café.
La tête dans mon cou, Keir me serrait dans ses bras à m’étouffer.
— Méchante fille pour m’avoir inquiété ! s’esclaffa-t-il, la voix tremblante d’émotion.
Je reculai afin de le laisser entrer.
— Je viens vous demander l’hospitalité pour la nuit. Je n'arriverai pas à retrouver mon chemin dans cette pénombre...
« Oh petit menteur, Keir ! Tu vois aussi bien la nuit que le jour ! Qu’as-tu en tête ? » m'interrogeai-je en dardant sur lui un regard soupçonneux.
— Pas de souci ! Je comprends ! Nous serons un peu à l’étroit mais ça devrait aller. Je m’appelle Randy Rixten.
— Keir MacDowen, se présenta le vampire à son tour, en lui tendant la main.
Randy accepta sa poignée de main avec chaleur.
Les deux hommes s’assirent sur le banc. Le randonneur proposa une tasse de café que le vampire mi loup-garou déclina.
— C’est votre chien ? Elle est vraiment magnifique ! En plus, elle m’a sauvé la vie !
— Ah ? fit Keir en croisant mon regard.
— Oui ! Mon pied était pris dans un piège à loups ; elle m’a aidée à trouver un bâton et j'ai pu l'enlever… sans même que je lui demande ! C’est fou, hein ?
Le vampire esquissa un sourire goguenard.
— Absolument incroyable ! Mais Anae est une chienne pleine de ressources et très intelligente, susurra-t-il en me dévisageant entre ses paupières.
Randy but une gorgée de café brûlant puis hocha la tête.
— Anae ? C’est son nom ? Cela lui va bien, dit l’étudiant en me souriant.
Je me couchai aux pieds de Keir, ce dernier se mit à me gratter le sommet du crâne. La caresse était appréciable voire m’apaisait.
— Cela faisait longtemps que vous l’aviez perdue ? s'enquit Randy, curieux.
— Plusieurs jours… J’ai cru mourir de chagrin.
Je grognai, percevant parfaitement le reproche dans la voix du vampire.
Le randonneur éclata de rire.
— Elle ne semble pas le croire !
Keir sourit, faussement enjoué, mais ses yeux restaient sombres.
— Elle doute toujours de ma sincérité. Quoi que je dise.
***
Alors que Randy ronflait, Keir fixait l’aube à travers la petite fenêtre.
Je ne comprenais pas la raison qui poussait le vampire mi loup-garou à rester toute la nuit dans le cabanon. En soupirant, il s’assit sur le sol, à mes côtés.
— Ton odeur a changé à un tel point, commença-t-il en chuchotant. J'ai rôdé près de la tanière des Thérianthropes, sans être sûr de t’apercevoir, puis je t’ai sentie…
Là, il caressa de nouveau le sommet de mon crâne, un sourire triste sur les lèvres. Keir, lui, n’avait pas changé d'un iota : ses cheveux noirs encadraient merveilleusement son visage, ses yeux verts luisaient dans la pénombre.
— C’était bien toi. Fou de joie, je t'ai pistée puis elle s’est modifiée et, malgré tout, je l’ai suivie jusqu’ici. Je… je ne sais pas quoi faire, Anae. Je pense que nous devrions partir, peut-être en Angleterre.
En Angleterre ?
Pourquoi si loin ?
Le regard de Keir plongea dans le mien.
— Liam sait, Anae, Liam… sait tout.
Une lame chauffée à blanc s’enfonça loin dans mon âme.
Une douleur brûlante me ravagea le corps.
Oh non, j’allais me transformer.
Des spasmes me secouèrent avant que je m’évanouisse.
***
Lorsque je revins à moi, la première chose que je remarquai c’est que je n’étais pas nue. Je portais les mêmes vêtements que la veille, ceux que j’avais abandonnés dans la forêt.
Keir les avait pris, il se pencha au-dessus de moi.
— Ne me fais plus jamais ça ! marmonna le vampire en m’aidant à me relever d’une main.
— Quoi donc ?
— M’obliger à t’habiller alors que tu es aussi nue qu’un nouveau-né ! s’étrangla Keir.
Je rougis.
— Partons avant qu’il ne se réveille, Anae.
Je hochai la tête, et, après un dernier regard à Randy, je suivis le vampire mi loup-garou à l’extérieur.
***
- Fadlan et Pol -
Randy se leva pour se diriger à pas lents vers la porte. Il s’adossa au chambranle, un sourire énigmatique sur les lèvres.
Derrière lui apparut un homme aux longs cheveux couleur de sang.
— Eh bien, eh bien… Mon cher Fadlan, tu es vraiment doué pour aider notre amie sans influer sur son libre arbitre.
À la place de Randy se tenait le tigre-garou qui ôta le bonnet en libérant ses cheveux neige striés de mèches de couleur crème.
— Oh, le soleil va se lever… adieu force de la nuit, bonjour pouvoir de l’astre… chantonna l’homme aux yeux rubis avant de se dématérialiser.
Fadlan le suivit sans cesser de fixer Anae et Keir qui dévalaient la pente.
***
- Anae -
Liam savait que je l’avais trahi.
Cette pensée ne me quittait pas, elle tournait encore et encore dans mon esprit. Une main glacée me serrait le cœur, elle l’étreignait si fort que je ne le sentais pratiquement plus battre dans ma poitrine. C’est une morte vivante qui traînait derrière Keir.
Le vampire-loup-garou stoppa sa marche, puis il me fit signe de me taire en posant son index sur sa bouche.
Son odeur me parvint également.
Contrairement à mon ami, je la reconnus sans peine.
C’était Luc.
Mes yeux fouillèrent désespérément la forêt.
Je tentai d’aiguiser au maximum mon ouïe pour déterminer l’endroit d’où allait débouler le Thérianthrope.
Je le perçus.
Dans mon dos.
C’est avec une lenteur empreinte d’appréhension que je me tournai vers lui.
Il avait sa forme humaine, ses cheveux blonds étaient échevelés, son visage ravagé par l’inquiétude. Son évidente fatigue me confirmait qu’il n’avait pas dû dormir de la nuit.
Les secondes durant lesquelles nous nous observâmes me parurent interminables.
— Anae… murmura le Thérianthrope.
Alors qu’il allait courir à ma rencontre, une boule de fourrure noire surgie de nulle part alla le plaquer à terre dans un rugissement de dément.
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