Chapitre XIV

 

- Nouveau Départ -

 

 

 

« La vie est un éternel recommencement. Des cercles qui se dessinent à l'infini... Encore, et encore... Un nouveau départ, n'est-ce pas la dernière chose que l'on aperçoit en terminant le cercle ? »

 

Eric Lejoillier

 

 

- Anae -

 

— Petite, j’entends ton ventre crier famine jusqu’ici. Tu devrais manger.

Pourquoi cette femme ne partait pas ? Je voulais juste rester seule. J’enfonçai un peu plus mon museau sous mon ventre.

Des petits coups furent frappés à la porte.

— Entre, Liam.

Je tressaillis en entendant le prénom maudit. Mais je ne me relevai pas, pas même la tête.

— Mère… Comment allez-vous ?

Sa voix profonde n’avait pas changé.

Le lit grinça sous le poids du vampire.

Au son, je devinai que sa mère venait de lui tapoter la main.

C’est ça, consolez-vous entre vous ! enrageai-je.

— A-t-elle… s’est-elle nourrie aujourd’hui ?

Comme tu sembles hésitant, monsieur l’assassin !

— Non, répondit tristement Gloria, on dirait qu’elle souhaite juste se laisser mourir.

Je pouvais sentir le poids du regard de Liam sur moi.

Mes muscles se contractèrent.

D’autres coups résonnèrent de nouveau contre la porte.

À l’odeur, c’était Keir.

Je gémis et me redressai péniblement, puis finalement, j'optai pour ramper jusqu’à ses pieds. Tremblante, battant faiblement de la queue.

Il s’accroupit en ouvrant l'espace de ses bras. Je m’y faufilai, secouée par de légères convulsions.

— Seigneur ! Comme tu grelottes !

Je geignis en savourant sa chaleur amicale.

Il me caressa le corps et murmura des mots apaisants.

— Faut que tu manges un peu, vilaine fille… Je sens presque tes côtes.

Comme s’il ne supportait plus ce qu’il voyait, Liam sortit brutalement de la chambre.

— Eh bien, cela a le mérite d’être clair, dit pensivement la mère du vampire.

— Quoi donc ? grogna Keir en me soulevant dans ses bras.

— Visiblement, elle ne porte pas Liam en odeur de sainteté. Mais il semblerait que, toi, tu puisses l’aider à sortir de cet état.

Le vampire mi loup-garou me posa avec délicatesse sur le lit.

— Yui a affirmé que, lorsqu’elle aura totalement épuisé son énergie, l’âme loup quittera son corps et elle récupérera sa forme humaine. Peut-être cette nuit.

— C’est une excellente nouvelle, chuchota mon ami, m’octroyant une dernière caresse.

— Je le crois aussi. Elle ne peut pas vivre le reste de sa vie sous… sa forme actuelle, soupira la vampire avant de se relever.

— Liam va la renier. Ce soir.

Keir annonça cela en s’adressant à Gloria mais il gardait ses yeux dans les miens.

— Si on y réfléchit, c’est la meilleure décision qu’il puisse prendre au vu de la situation.

Le frère du vampire ricana.

— La meilleure décision pour qui ? Pour lui ? Je n’en doute pas une seconde. Il a foutu le bordel dans la vie d’Anae, les choses ont pris une tournure à son désavantage et hop, la petite Élue devient gênante pour son bien-être alors, on la gicle !

— Tu penses vraiment cela, Keir ? Ton frère est vraiment ce genre d’individu mesquin ?

— Je m’en balance de ce qu’il est ! Tout ce que je vois, moi, c’est qu’il l’abandonne aussi facilement qu’une vieille paire de godasses ! Et juste parce qu’un autre a obtenu d’elle ce qui lui était inaccessible ! Je n'appelle pas ça de l’amour, j’appelle ça de la fierté mal placée !

— Je n’en suis pas aussi certaine que toi, murmura la mère de Liam avant de sortir de la chambre.

— Anae… Écoute-moi attentivement, chuchota le vampire mi loup-garou, en me prenant doucement la gueule entre ses mains. Il va falloir redevenir humaine, ce soir… ce soir Liam va proclamer officiellement que tu ne lui appartiens plus à la communauté. Veux-tu… rester ici malgré tout ? Ou veux-tu qu’on parte en Écosse avec Gloria et Yui ?

Je fixais intensément son regard émeraude.

Je voulais partir d’ici.

Je voulais fuir loin.

Des spasmes me secouèrent, je savais ce qu’ils signifiaient : ma transformation humaine.

 

***

 

Keir m’avait forcée à prendre une douche en s’écriant que je puais le chien errant. Il avait pris des vêtements appartenant à Yléonnore ; jamais je n’aurais pensé que l’Oracle possédait un jean et un sweat dans sa garde-robe... Je nageais un peu dans les habits, mais dans l’ensemble, cela convenait.

Je rejoignis Keir tout en attachant mes cheveux encore mouillés en un chignon très serré.

Le vampire mi loup-garou tapota le lit m’invitant ainsi à m’y asseoir.

Il avait posé face à lui un plateau chargé de nourriture : fromage, pain, fruits, soupe.

En soupirant, je pris place à ses côtés et me mis à manger du bout des lèvres.

— Je te préviens, on ne sort pas de cette chambre tant que tu n’auras pas vidé ce plateau.

Keir dardait sur moi un regard intense qui laissait deviner le milliard de questions qu’il brûlait de me poser.

— Vas-y, lâche tout, lui dis-je entre deux bouchées.

— Tu n’es pas obligée… Ça peut attendre…

Tandis que je portais un bout de pain à mes lèvres, la vision de Luc mourant dans mes bras me traversa aussi fugace que douloureuse.

— Ça va.

Le vampire mi loup-garou souffla comme s’il voulait se donner du courage.

Si seulement j’avais su que Liam se trouvait de l’autre côté de la porte, totalement figé, j’aurais peut-être raconté les choses autrement.

Peut-être.

— Comment… comment es-tu devenue une Thérianthrope ?

J’avalai péniblement la nourriture que je mastiquais avant de lui répondre.

— C’est leur Chamane, une vieille femme. Elle m’a fait boire à mon insu un breuvage permettant de faire entrer en moi l’âme du loup. Visiblement, les esprits de la meute lui avaient confirmé que j’étais celle désignée pour accueillir l’âme de la louve Calypsone.

— Calypsone ?

Afin de cacher les tremblements de mes doigts, je me mis à émietter consciencieusement la tranche de pain.

— C’est… c’est une vieille légende de leur meute. Chaque génération de Thérianthropes possède son loup blanc et la compagne de ce dernier… c’est une louve noire se prénommant Calypsone.

— Et tu es…

— Oui.

Je repoussai le plateau, ne pouvant plus avaler quoi que ce soit.

Alors que je me levais du lit, Keir posa la question qui le taraudait le plus.

— C’est pour ça que toi et le loup-garou…

Mon cœur souffrait.

— Oui… entre autres. Après avoir bu la mixture de la vieille femme, j’ai beaucoup souffert et je n’étais plus vraiment moi-même.

— Je vois…

Je me retournai vivement vers le vampire.

— Je suis tombée amoureuse de Luc, et pas seulement à cause de cela. Peut-être était-ce l’isolement, peut-être ai-je cédé trop rapidement à ses attentions dans un milieu hostile... Peut-être ai-je découvert que lui et moi possédions les mêmes souffrances d’avoir perdu notre famille. Cela m’a probablement rapprochée de lui. Peut-être me sentais-je plus en phase avec lui qu’avec un vampire sanguinaire n’ayant rien d’humain ! Une créature qui s’amuse juste à imiter les êtres dont il se nourrit ! Faut-il vraiment que je trouve l’explication qui m’accordera votre pardon à tous ?! Je n’ai rien de tel dans mes manches, il y a un million de raisons, et surtout le fait que je ne suis pas parfaite. Désolée de n’être qu’une faible humaine... À prendre ou à laisser.

Quand j’ouvris violemment la porte, je me retrouvai nez à nez avec Liam. Je posai sur lui le regard le plus dur et le plus haineux dont j’étais capable.

Il l’affronta sans sourciller.

Ce vampire que j’avais adoré de tout mon corps, de tout mon être, n’avait pas attendu d’éclaircir ces événements avec moi. Non, il avait juste lâché sa rage meurtrière sur un homme ayant eu le malheur de m’aimer et d’être aimé en retour.

— Alors quoi ? On écoute aux portes maintenant pour satisfaire sa curiosité ? lui lançai-je, cinglante.

Le vampire pinça furieusement ses lèvres avant de me saisir l’avant-bras et me plaquer contre le mur.

Je me débattis, mais il bloqua mes deux poignets à hauteur de mon visage. Puis me dévora, quelques instants, d’un regard fiévreux pour finalement écraser sa bouche contre la mienne.

Je m’arcboutai de toutes mes forces, en vain. Je n’arrivais pas à échapper à son baiser... je lui mordis donc sauvagement la lèvre inférieure.

Keir intervint en le tirant violemment en arrière.

— Tu fais quoi là ?! hurla ce dernier.

Liam éclata d’un rire mauvais.

— Je m’octroie un dernier privilège, dit-il narquois, en essuyant de la main sa lèvre malmenée.

L’air sifflait entre mes dents, la fureur déversait son feu dans chaque atome de mon corps : si j’avais été en louve, je l’aurais mordu avec rage.

Liam pencha la tête sur le côté tout en s’approchant de nouveau.

Keir colla contre son frère un bras lui interdisant de s’avancer plus. Mais il le baissa d’une pichenette sans cesser de me regarder.

— Chaton… petit chaton, tu es si jolie quand tu es en colère… susurra le vampire.

— Liam… gronda Keir, menaçant.

— Dis-moi, crois-tu que la douleur du souvenir est plus supportable que l’absence du souvenir ? me chuchota Liam, sa bouche contre ma joue.

Sur ces paroles mystérieuses, le vampire éclata de rire avant de reculer rapidement afin de me saluer en s’inclinant.

Il se dispersa ensuite par magie, en une brume dense. Celle-ci remonta le long de mon corps tel un millier de doigts caressants. Puis elle s’étala sur le sol, ne laissant que l’écho d’un ricanement amer, pour totalement disparaître.

 

***

 

Nous étions tous réunis dans la grande salle du manoir. Tous, sauf Yléonnore.

Où était passé l’Oracle ? Je ne l’avais pas croisée une seule fois depuis mon arrivée dans le QG des vampires.

Je poserai la question à Keir plus tard.

Lokham était assis aux côtés de sa femme, Héléna, les deux s’accordaient par leur tenue d’un gris sobre.

Gloria se trouvait près d’Emmery, en bout de table. Le dénommé Yui, le vampire m’ayant auscultée, se tenait discrètement derrière eux.

Keir était installé à ma droite. L'unique personne dont la présence me donnait du courage.

Liam se contentait d’être accolé au mur, les bras croisés sur son torse. Il portait pour l’occasion un élégant complet blanc sur une chemise et une cravate noire.

Emmery se tourna vers moi, un sourire presque amical sur les lèvres. Cependant, ses yeux d’un violet profond gardaient une certaine froideur. Comme s’il se méfiait de moi.

— Anae, heureux de te retrouver saine et sauve…

Je penchai ma tête sur le côté, quelque chose me disait qu’il mentait tel un arracheur de dents.

— Au vu des circonstances… Liam m’a fait part de son désir de… se séparer de toi. Le jour où il… m’a annoncé qu’il te voulait pour compagne, il a comme… compare cela à des fiançailles officielles. Bref, ce soir il va rompre cette union. Es-tu d’accord ? Acceptes-tu de mettre un terme au lien qui vous unit ?

La voix tendue du chef de clan me fit sourire.

Si je ne l’avais pas connu, j’aurais dit que le vampire souhaitait que je rompe rapidement. Peut-être était-ce le cas ?

J’étais donc devenue un tel boulet pour le gentil clan des Ombres Brumeuses !

Une étrange lueur brilla dans les prunelles d’Emmery.

Tiens, j’avais presque oublié qu’ils pouvaient tous lire dans mes pensées.

Bah, peu importe.

Keir me saisit la main et la serra dans la sienne. Un geste se voulant réconfortant.

Je répondis.

— Je suis absolument d’accord.

Ma voix n’avait pas tremblé.

Quel soulagement !

Pourtant, je ne me risquai pas à regarder du côté de Liam. Je n’avais aucune envie d’affronter sa haine.

Je perçus nettement le soulagement se peindre sur les traits parfaits du chef de clan… d’ailleurs Gloria lui jeta un bref regard glacial. Certainement lisait-elle les déplaisantes pensées d’Emmery.

Keir se leva en se raclant la gorge, signalant ainsi aux autres qu’il allait prendre la parole.

— Je prends Anae sous ma protection, nous partirons dès ce soir avec Gloria et Yui pour l’Écosse.

Tous les regards convergèrent vers Liam, ce dernier n’avait pas bougé d’un pouce.

Tandis que chaque vampire l'observait attentivement, s’attendant probablement à ce qu’il explose telle une bombe à retardement, mon ancien petit ami se borna à me fixer.

Je soutins son regard en prenant soin de vider mon esprit. S’il cherchait à se renseigner sur ce que je ressentais, il en serait pour ses frais.

Lorsque je le vis plisser les yeux avec colère, je sus avoir tapé dans le mille ! J'y répondis en esquissant un petit sourire en coin. Liam répliqua à son tour en dévoilant ses canines, un brin mauvais.

— Je n’y vois aucune objection, prononça Liam avec une lenteur calculée sans me lâcher de ses yeux couleur nuit.

Emmery acquiesça du menton, satisfait.

— Quelle tenue vestimentaire, fils ! Tu te rends quelque part après notre réunion ? s'enquit Gloria, d’un ton faussement détaché et en ôtant une poussière imaginaire de sa veste.

— Une soirée, mère. Je retrouve ma liberté de célibataire... cela se fête, non ? rétorqua le vampire, fielleux.

Son regard restait obstinément vrillé au mien, comme s’il souhaitait ne pas perdre une seconde de ce contact visuel.

— Oh ? Alors tu ne prendras pas la peine de m’accompagner à l’aéroport ?

Gloria semblait déçue.

— J’en suis navré, mère. Il faudra vous contenter de me faire vos adieux ici.

Parlait-il à sa mère ou à moi ?

Dans quel jeu tordu il se lançait ?

— Yui, pourrais-je te voir avant ton départ ? demanda Liam en cessant enfin de me fixer.

— Bien sûr, maître Liam, dit respectueusement le vampire asiatique.

— Bon, eh bien si vous n’avez plus besoin de moi… je vais dans mes appartements.

Sur ce, le vampire disparut en une seconde.

Ce fut le signal pour tous les autres vampires présents : Lokham sortit sans un mot ni même un regard dans ma direction, suivi de sa femme. Vint le tour de Gloria et du vampire asiatique dans sa tenue traditionnelle.

Emmery s’approcha de Keir et de moi.

— Anae, prenez cela comme un nouveau départ. Vous serez très bien dans notre demeure en Écosse. Keir veillera sur vous, et nous… nous occuperons de Liam de notre côté. Vous n’étiez finalement pas destinés à être ensemble.

J’avais la gorge nouée, j’aurais été bien incapable de trouver une explication à ce flot d’émotions. Je me contentais juste de le subir.

Après m’avoir caressé la joue, le chef du clan sortit de la salle.

— Je vais prendre l’air, Keir, annonçai-je abruptement pour ensuite courir hors de la pièce.

Il ne me suivit pas et je lui en fus reconnaissante.

 

***

 

Je commençai par ôter mes vêtements dans un coin du parking, cachée derrière un arbuste. Je désirais tant me transformer en louve afin de ressentir la présence de Luc, même purement imaginaire.

— On peut savoir ce que tu fabriques ?

Je me statufiai en serrant le T-shirt contre ma poitrine nue.

Cette voix... elle n’appartenait qu’à une seule personne.

Je me retournai.

Il était là, adossé contre le mur et fumait une cigarette.

Je ne l’avais jamais vu s'adonner à cette habitude depuis le premier jour de notre rencontre.

— Je bois aussi. Tout le monde change.

Un ricanement m'échappa. Bien sûr... il lisait dans mon esprit !

Il me détailla longuement, puis exhala la fumée.

— Tu as maigri, constata Liam d’une voix dénuée d’émotion, avant de jeter le mégot rougeoyant pour l’écraser du pied.

— Tu comptes rester là longtemps ? lançai-je, agressive.

Il s’approcha lentement de moi, les mains dans les poches.

— Je suis chez moi, je vais donc où je veux et j’y reste autant qu’il me plaît.

— Alors, permets-moi d’aller ailleurs, répondis-je en commençant à me détourner.

Mais il fut plus rapide. Le vampire se plaça face à moi en un clin d’œil, me barrant ainsi le passage.

Je changeai de direction, mais il recommença.

— Que veux-tu à la fin ? lui criai-je, énervée par son petit manège puéril.

— Je m’amuse. Tu ne trouves pas cela drôle ? persifla le vampire.

— Hilarant.

D’un geste vif, il arracha le T-shirt cachant ma poitrine. Impossible de forcer une transformation afin de courir une dernière fois les bois. Liam m’avait interrompue et je me retrouvais désormais à demi-nue face à un vampire de mauvaise humeur.

Instinctivement, mes mains prirent le relais de mon T-shirt sur mes seins.

Il tint le vêtement entre l’index et le pouce, l’agita brièvement puis le porta à son visage pour le humer, me gratifiant d’un regard intense.

— Même ton odeur a changé... murmura-t-il, doucereux. Tu voulais gambader dans la forêt ? Cela te plaît donc tant d’être une chienne ?

Il avait prononcé la dernière phrase avec un sourire empreint de cruauté, afin de bien me faire comprendre son double sens insultant.

— Crois-tu sincèrement pouvoir me blesser aussi facilement ? crachai-je, hargneuse.

Je lui arrachai le T-shirt des mains, poussant même la provocation à le remettre sans me soustraire à son regard.

Lorsque mes yeux croisèrent les siens, j’eus la satisfaction d’y voir une vague rubis les traverser.

— Si je le désirais... je pourrais te faire mienne à même le sol, sur ces graviers. Je pourrais faire en sorte que tu me supplies de te prendre.

Sa voix avait descendu de plusieurs octaves, à la fois caressante et coupante, telle une lame glacée.

Liam se colla contre moi et me saisit le menton entre ses doigts afin de me forcer à lever le visage vers lui.

— Tu aimerais ? me demanda-t-il en usant de sa voix de vampire.

Je luttai pour rejeter son pouvoir d’attraction.

— J’ai dit… Est-ce que tu aimerais que je te fasse l’amour ?

Il l’avait encore plus imprégnée de persuasion. Je sentais cette force presque palpable m’encourageant à me laisser faire. Apaisante et chassant mes doutes, mes peurs, étouffant ma colère.

Je le rejetai. De tout mon être.

— Non… je détesterais ça, soufflai-je.

Le vampire éclata de rire, un rire cynique et amer... cruel.

— À la bonne heure ! Parce que je n’ai absolument pas envie de passer derrière un clébard.

Ce fut comme s’il m’avait giflée.

En un clignement de paupière, il était de nouveau adossé contre le mur et avait allumé une autre cigarette.

— Tu peux partir, te voir m’ennuie ! lança-t-il badin, comme on chasse un insecte gênant.

— C’est réciproque, fis-je en imitant son intonation.

Liam esquissa un sourire en coin, les prunelles léchées par des flammes rubis.

— Menteuse. Je déguste en cet instant précis ton désir dans ma bouche... Mais le goût de la trahison le rend détestable.

Je m’enfuis, purement et simplement.

Je courus loin de ce démon que j’avais autrefois aimé. Et que j'aimais peut-être encore...

 

***

 

- Liam -

 

Je la regardai partir en écrasant la cigarette à peine entamée dans le creux de ma paume. La brûlure entraîna une douleur, trop fugace et superficielle pour arriver à me faire oublier celle me ravageant de l’intérieur.

Comment pouvait-on en arriver à haïr et désirer aussi puissamment une même personne ? Était-ce son pouvoir d’Élue qui m’incitait à la vouloir encore et toujours ?

Je n'éprouvais qu'une envie... celle de la poursuivre, de la rattraper et de la serrer dans mes bras à l'en étouffer.

Boire son sang... laver le sien en offrant le mien... la nettoyer de cette horrible odeur canine qui l'imprégnait. Au diable les conséquences !

Je fermai les yeux. Puis hurlai ma douleur. Un cri de vampire... ni animal, ni humain.

J’attendais Yui sur le balcon de ma chambre lorsque je l’avais aperçue.

Au début, je souhaitais seulement l’observer de loin, tel un voyeur assouvissant son penchant. Mais quand elle eut ôté son sweat et son T-shirt, une folie incontrôlable s’était emparée de moi.

J’ai eu peur. Une peur irrépressible qu’elle se transforme et disparaisse à nouveau avec un de ces chiens. Peur qu’elle en aime encore un autre.

Ensuite je l’ai blessée intentionnellement. Pour qu’elle souffre autant que moi... tout en lui cachant ma propre douleur.

C’était aussi pour cette raison que j’avais tué le frère d’Éric. Je désirais qu’elle agonise en voyant son ancien amour arracher la vie de celui à qui elle s’était donnée. Et je haïssais ce chien d'avoir possédé son corps... Alors que l'idiot que j'étais s'était refusé à la brusquer.

Anae n’avait jamais vu cette facette sanguinaire dissimulée avec soin. Pourquoi lui aurais-je fait goûter mes ténèbres ?

Le désir de n’être que perfection à ses yeux avait pris le dessus sur tout : le clan et ma nature profonde. Désormais, je pouvais laisser ça derrière moi.

— Es-tu sûr de le vouloir ?

Yui.

Je regardais encore où Anae avait disparu tantôt.

— Je ne le supporte plus. Je vais devenir fou, Yui.

— L’effacer de ta mémoire, de ta vie, risque de te poser des difficultés pour lire dans son esprit ultérieurement…

J’éclatai d’un rire sans joie.

— Quelle importance ?

Le serviteur de mon père me posa une main affectueuse sur le bras.

Je me tournai vers lui.

— Je désire simplement redevenir un guerrier. Je veux qu’elle quitte ma tête… définitivement.

— Très bien, Liam... qu’il en soit ainsi. Néanmoins, j’avertirai ton frère et ton père. Afin qu’une personne en Écosse, en dehors de moi, sache que tu as oublié cette femme, mais aussi une autre ici. Nous pourrons mieux gérer la situation en cas de problème… ou de rencontres inopinées.

— C’est toi le médecin de famille, acceptai-je en haussant les épaules.

 

 

 

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