- Adieux -
« Je te dis adieu, mon amour. Je désire autant t'oublier que te garder pour moi seul. Surtout, déteste-moi, haïs-moi car ainsi je vivrai encore et toujours dans ton cœur. Reviens ! Reviens chaque jour me hanter ! Je t'en supplie... reviens vers moi. »
Liam MacDowen
- Keir -
— Tu plaisantes là ?!
J’avais crié sans m’en apercevoir.
Oui, bon, en même temps ce n’était pas rien comme nouvelle.
Quelques têtes se tournèrent vers nous, je m’excusai donc d’un sourire charmeur de les avoir dérangés dans l’attente de leur vol.
Nous n’étions quand même pas dans une église, nom de nom !
Le serviteur de mon paternel se contenta d’attendre que l’orage passe. Et l’orage en question, c’était moi.
— Il a perdu la boule pour de bon ? C’est ça ? Tu arrives à faire ce genre de… truc ? T’as une espèce de gomme magique pour effacer des événements dans la tête des vampires ?
Certes, il était possible de le faire sur l’esprit des sangs chauds… mais chez les vampires, ça... ça m'en bouchait un coin !
Yui me regarda étrangement.
— Oui, j’ai cette faculté.
Je connaissais cette attitude chez le bras droit de mon père.
Un relent roussi me chatouilla la cervelle... il me cachait quelque chose.
— Dis donc, Yui… Tu t’es déjà servi de ton truc de gomme sur moi ? lui demandai-je, soupçonneux.
Pris la main dans le sac !
Le vampire asiatique, rarement mal à l’aise, m'indiqua par son comportement qu’il savait une chose que j’ignorais et qu’elle me concernait directement.
— J’ai tapé dans le mille, pas vrai ?! C’est quoi ?
Yui haussa un sourcil.
— Est-ce vraiment nécessaire de te le dire ?
— Un peu mon neveu ! m’exclamai-je, outré.
— Je ne suis pas ton neveu, Keir.
— C’est une façon de parler, ne change pas de sujet. Crache plutôt le morceau.
Le vampire croisa les bras sur son torse et prit une profonde inspiration.
— Tu l’as déjà rencontrée. Avant.
— Qui ça ?
Là, il désigna Anae d’un mouvement du menton. Elle attendait patiemment aux côtés de Gloria. Toutes deux assises sur les sièges en plastique gris de l’aéroport, à quelques mètres de nous.
Le temps que mon cerveau saisisse pleinement la teneur de l’information, je sentis ma mâchoire inférieure pendouiller sous le choc.
— Hein ! Comment ça... j’ai déjà rencontré Anae… Où, quand, comment ?
Yui secoua la tête, ses épaules tressautèrent comme sous l’effet d’un rire silencieux.
— C’était dans le train t’emmenant en Angleterre, lorsque ton père t’a envoyé chez Gloria, en Écosse. En trompant ma vigilance, tu t’es retrouvé dans le même wagon qu’elle. D’après ce que je sais, elle participait à un voyage scolaire. Ton attirance pour elle a fait « sortir » tes crocs.
— Tu… tu… attends là. Tu me dis que c’est Anae qui m’a… mes crocs ?! bégayai-je tout en faisant des moulinets dans les airs avec les mains.
Yui acquiesça.
— À l’époque, je ne savais pas qu’elle était une Élue. Je ne l’ai reconnu que lors de la cérémonie de répudiation. À son contact, ton instinct de vampire s’est déclenché. J’aurais dû le deviner ce jour-là.
Je tendis le pouce par-dessus mon épaule, en direction de la jeune femme.
— Elle ne s’en souvient pas non plus ?
Le vampire asiatique grimaça.
— Et non.
— ‘Chier.
— Surveille ton langage ! me sermonna Yui en fronçant les sourcils.
— Pardon, fis-je, penaud. C’est super frustrant ! Ni elle, ni moi n’avons gardé un souvenir de notre rencontre… Tu peux le faire revenir ?
— Non.
— Elle était aussi jolie qu’aujourd’hui ?
— Oui.
Je poursuivis le serviteur de mon père tandis qu’il marchait afin de rejoindre Gloria.
— T’es sûr de ne pas pouvoir nous le rendre ?
— Oui.
— Je l’ai mordue ?
Yui stoppa net et je manquai de lui rentrer dedans.
— Non ! Maintenant, arrête de me questionner !
— Juste une dernière, on était… enfin… tu vois…
À cette pensée je laissai mon imagination fertile faire le reste.
— Efface ce sourire pervers de ta figure, je ne vous ai pas surpris en position compromettante, grogna le vampire.
— Peut-être avions-nous terminé… et toi, tu es arrivé après. Les mecs sont rapides à cet âge-là…
Je me pris une claque sur la tête.
Bon okay. Visiblement mes rêves étaient loin de représenter la réalité.
***
— Qu’est-ce qui te rend aussi joyeux ?
Anae posait la question tout en se penchant légèrement vers moi.
— Tu devineras jamais ! gloussai-je.
— Oh, dit seulement la jeune femme en reprenant sa place initiale.
Je lui tirai doucement sur la manche afin de l'obliger à se tourner de nouveau dans ma direction. Ce qu’elle fit.
— Essaye de deviner !
Anae fronça les sourcils et Gloria, de l’autre côté de l’Élue, m'incita à la discrétion d'un signe de la main.
— Je ne sais pas… Tu as récupéré ta voiture ? chuchota-t-elle en esquissant un sourire taquin du bout des lèvres.
Tout doucement, la jeune femme reprenait vie, tel un enfant apprenant à marcher, un pas après l’autre. Prudemment.
Cette idée me réchauffa le cœur.
— Mhm, répondis-je en secouant la tête.
Malgré moi, mes yeux la dévoraient.
Certes elle avait maigri, son visage portait encore les stigmates des épreuves vécues ces derniers jours. Une espèce de tristesse mélancolique assombrissait ses doux yeux noisette. Parfois, elle soupirait comme si chaque geste du quotidien lui coûtait un effort inouï.
Mais pour moi, ce sourire valait de l'or.
— Toi et moi, nous nous sommes rencontrés durant notre jeunesse.
Voilà, j’avais lâché la bombe.
Trop heureux de le faire d’ailleurs.
— Pardon ?
Je m’amusais avec le bas de son pull, à la fois gêné et excité de constater quel effet aurait cette information sur Anae.
— Yui possède le talent d’effacer des événements de la mémoire. Lors de ton voyage en Angleterre avec ta classe, toi et moi nous nous sommes rencontrés dans le train… Et… Euh… il se trouve que…
La jeune femme croisa les bras, puis se tourna un peu plus de mon côté. Elle attendait patiemment que je lui dise le fin mot de l’histoire.
Ouais ben, pas fastoche d’avouer à une nana qu’elle vous attirait tellement à vous faire « sortir » vos crocs… C’était comme annoncer à une personne que vous aviez perdu votre virginité avec elle.
— Je veux dire qu’en fait c’était toi… Enfin c’était mon attirance envers toi qui m’avait fait sortir mes canines.
Voilà, c’était dit.
Puis je levai timidement les yeux vers elle.
Pour déchanter illico.
Non, Anae n’avait pas compris un traître mot de ce que je venais de lui raconter.
Oh merde !
C’était super frustrant.
— Tu sais que je ne suis pas totalement un vampire, hein ?
La jeune femme hocha la tête.
— Eh bien, figure-toi qu’adolescent je complexais à cause de ma différence, je n’avais pas de canines comme les autres alors que je devais me nourrir de sang. Comme… comme… Si on devait encore te couper ta viande en petits morceaux à l’âge de seize ans, tu vois le genre ?
L’expression d’Anae changea.
Elle avait compris.
— Ohooo… Et donc, à cause de mon côté Élue quand nous nous sommes retrouvés dans le train ensemble, tu as eu des crocs de vampire, c’est ça ?
— Oui ! m’exclamai-je en bondissant sur mon siège.
Non ! criai-je intérieurement simultanément.
Bon sang… Non ! Je ne voulais pas qu’elle pense que mon attirance était uniquement due à ses pouvoirs attractifs d’Élue !
— Oui, mais… je ne savais pas que tu étais une Élue à l’époque, commençai-je en m’agitant sur la chaise en plastique.
Anae pencha la tête sur le côté, elle paraissait réfléchir.
— N’empêche que j’en étais tout de même une à l’époque… À défaut d'en être informés, toi et moi, la force attractive était là.
— Ouais, ouais… grognai-je.
— Quoi ? Tu boudes ?
La jeune femme éclata de rire.
— Je ne boude pas… Est-ce que j’ai l’air d’un gamin ? marmonnai-je du bout des lèvres en lorgnant deux touristes suédoises qui nous passèrent devant.
Anae me planta un doigt dans les côtes.
— Mais si tu boudes !
— Ah ! Vraiment ! J’ai dit que je ne boudais pas !
Je m’étais exclamé avec humeur teintée de mauvaise foi. Alors que nous nous chamaillions gentiment en nous pinçant l’un l’autre, je l’aperçus dans mon champ de vision. Mon sourire se figea sur mes lèvres.
Que fichait-il ici ?
N’avait-il pas la mémoire lessivée ?
— Liam ! souffla Gloria.
Instinctivement, j'observai anxieusement Anae à la dérobée.
Chaque fois que mon frère se trouvait dans les parages de la jeune femme, j’avais le sentiment de marcher sur un fil tendu au-dessus du vide. Et entre nous, jouer les funambules n'était pas mon point fort.
Le peu de couleur que son visage possédait quelques secondes auparavant disparut instantanément.
Une bouffée de colère m’envahit.
À quoi s’amusait-il, franchement ?
Je me levai avec la ferme intention de lui dire le fond de ma pensée.
Yui m’arrêta d’une main en secouant la tête.
— Eh bien ? C’est quoi son problème ? Ça n’a pas marché ton truc de la gomme ?
— Si. Il ne vient pas pour elle, il vient juste dire au revoir à sa mère. Keir... Fais passer Anae pour ta compagne, cela évitera les questions délicates, notamment celle de sa présence parmi nous alors qu’elle n’est pas vampire. Dis rapidement à Anae que Liam ne se souvient pas de leur relation.
— Rien que ça, bougonnai-je.
Puis je vis le bon côté des choses.
Anae allait devenir ma compagne.
Bon, une fiancée virtuelle… mais rien ne m’empêchait de profiter pleinement de la situation, et ce, à mon avantage. Non ?
Là-dessus, ma bonne humeur revint au triple galop et je fonçai sur Anae avant que Liam n’arrive à notre hauteur. Je lui saisis les bras et la forçai à se lever pour la coller contre moi.
Du coin de la bouche, je lui murmurai rapidement un topo.
— Anae, tu sais ce que je t’ai dit pour le truc de la mémoire ?
— Oui… mais je…
— Figure-toi que Liam a demandé une faveur à Yui. Devine laquelle… Celle de t’effacer complètement de son esprit. Bref, tu es une parfaite inconnue pour lui désormais.
— Quoi ?? chuchota la jeune femme d’une voix blanche.
Je perçus le raidissement de son corps. Spontanément, mon bras vint se placer autour de ses épaules dans un geste protecteur. Puis, je penchai mon visage près de son oreille.
— À partir d’aujourd’hui, tu es ma compagne, une Thérianthrope loup. Je suis désolé de te l’annoncer de cette façon. Nous en reparlerons à tête reposée plus tard, si tu le souhaites. Il arrive.
Anae opina faiblement afin de me signaler qu'elle était d'accord.
***
- Liam -
Je voyais ma mère me faire des signes de la main, auxquels je répondis machinalement. Je devais remercier l’un des nôtres de m’avoir averti qu’elle venait juste de partir. N’étant pas sûr de la revoir avant plusieurs années, la moindre des choses était des adieux dignes d’un fils.
Yui se précipita à ma rencontre.
Mon regard fut attiré par un mouvement empressé de mon frère.
Il tenait une jeune femme dans ses bras et semblait lui parler à l'oreille.
Depuis le début de la soirée, une douleur lancinante me traversait le crâne par vague. Cela brouillait mes capacités à lire dans les esprits et également ma faculté d’entendre parfaitement une conversation à plusieurs mètres.
Qui était-elle ?
Keir paraissait si familier avec cette femme. Sa petite amie ? Depuis quand en avait-il une ? Pourquoi n'avais-je qu'une vague impression concernant son retour en France ? Avais-je perdu la mémoire ?
La jeune femme portait un sweat noir et un jean. Son visage paraissait pâle, et j’avais beau humer son odeur tout en avançant vers les membres de notre clan... son parfum n'avait rien à voir avec celui des vampires. Par contre, je reconnus celle typiquement canine.
Une Thérianthrope loup ?
Que fichait-elle avec ma mère et mon frère ?
Elle était jolie. Si on aimait le genre brindille fragile.
Je penchai la tête sur le côté. En fait, plus je m’approchais, plus je la trouvais attirante. Des traits délicats, un nez fin, une bouche délicieusement ourlée. De grands yeux noisette pailletés d’or qui me fixaient avec inquiétude.
Mon regard erra sur son corps. Pourtant elle m’agaçait sans que je puisse en déterminer la raison. Peut-être était-ce sa nature de Thérianthrope qui me tapait sur les nerfs.
Yui apparut devant moi, interrompant ainsi le fil de mes pensées.
— Liam ! Finalement vous êtes venus ? dit-il chaleureusement.
— Oui, cela m’était complètement sorti de l’esprit que vous partiez ce soir. J’ai d’ailleurs la tête en marmelade depuis deux heures.
Le serviteur de mon père me tapota amicalement le dos.
— C’est normal, vous avez reçu un sacré coup durant votre entraînement de ce soir avec Keir. Ce n’est plus un adolescent gauche désormais, jeune maître Liam.
Mes yeux furent inexorablement attirés par la jeune femme. Cette dernière martyrisait le bas de son pull. Je visai ensuite le geste affectueux de mon frère. Il lui caressait amoureusement l’épaule. La jalousie que j'éprouvai brutalement était absolument aberrante.
— Qui est-ce ? me renseignai-je auprès de Yui sans cesser de la dévisager.
— Elle ? Oh, c’est la compagne de votre frère. Elle nous a rejoints à la dernière minute, après que votre père ait accepté qu’elle nous accompagne.
— Père a accepté qu’une Thérianthrope se rende avec vous en Écosse ?!
J’étais réellement surpris.
Le serviteur d’Emmery détourna quelques secondes les yeux.
— Cette femme fait partie de la meute de la Colline d’Ombre, après le rejet par les siens suite à son refus de quitter votre frère, le Maître s’est montré indulgent. Nous devons composer avec le côté loup-garou de Keir. Leur attirance mutuelle est normale, au vu de leur nature à tous deux.
— Je vois, me contentai-je de répondre.
Je suivis Yui vers ma mère, qui m’étreignit avec une affection toute maternelle. Autant que pouvait le faire une vampire, néanmoins.
Puis je me tournai vers mon frère dont je trouvais le sourire un peu trop figé.
Que craignait-il ?
J’essayai d’entrer dans son esprit, en vain. Un fulgurant mal de crâne m’en coupa aussitôt l’envie.
Je n’aimais pas être démuni de ce pouvoir psychique.
— Keir ! L’Écosse te manque-t-elle à ce point ? plaisantai-je en m'astreignant à ne pas attarder mes yeux sur sa compagne.
— On s’habitue très vite à la pluie, frère.
Le ton de sa voix manquait passablement de naturel.
Ou peut-être étais-je trop méfiant ?
— Qui est… cette charmante jeune femme ?
La question m’avait brûlé les lèvres. Je devais faire plus attention. Même moi je reconnus le pouvoir dans le ton de ma voix : plus veloutée que je ne l’aurais souhaité.
Je plantai mes yeux dans les siens. La Thérianthrope paraissait troublée, nerveuse. Je percevais même de la colère.
Avait-elle compris ma tentative de séduction ?
Elle aurait dû en être flattée au lieu d’afficher cet air mécontent.
— Oh… je te présente ma petite chérie, Anae Leffroy. Anae, voici mon grand frère, vampire guerrier de notre clan, Liam MacDowen.
Je lui saisis la main entre mes doigts, savourant quelques instants sa chaleur avant de la porter à mes lèvres.
Nos yeux s’accrochèrent naturellement.
— Charmé… murmurai-je en pratiquant un baisemain des plus caressants.
Pourquoi détectais-je une fureur douloureuse émanant de la jeune femme ?
Je la voyais pour la première fois de ma vie, pourtant, elle me détestait cordialement !
Je relâchai à regret ses doigts fins.
Certes, elle ne m’était pas des plus sympathiques non plus mais je la trouvais étrangement fascinante.
Mon excuse étant que je ne portais pas particulièrement les Thérianthropes dans mon cœur, mais quelle était la sienne ? Vu sa relation avec mon frère, elle devait fort bien s’accommoder des vampires.
Keir récupéra la main de sa compagne.
— Bas les pattes avec ma petite amie ! C’est pas ta catégorie de fiancée. Anae est un gros chien, tout comme moi.
J’éclatai de rire. Quelle drôle d'expérience de voir Keir aussi possessif ! Après tout, ce soir je n’étais pas vraiment moi-même à cause de cette horrible migraine. Je devrais avant tout contrôler mes émotions.
— Nourrissons-nous avant de prendre l’avion, suggéra Yui en attrapant un petit sac de sport noir, au pied de Gloria.
Cette dernière acquiesça, mon frère, quant à lui fit la moue.
— Liam ? Pouvons-nous te confier Anae le temps de nous éclipser dans les sanitaires pour… ?
La requête provenait de ma mère. Cette demande de me laisser seul avec sa dulcinée ne semblait pas enchanter Keir.
Je haussai les épaules en souriant.
— Avec plaisir.
— Je peux très bien manger en arrivant au pays, marmonna le vampire mi loup-garou, tout en enfonçant les mains dans les poches de son jean.
Sans pour autant oser m'affronter franchement.
Gloria posa ses doigts sur sa taille délicate, dans une posture démontrant clairement son agacement face à son attitude qu'elle jugeait puérile.
— Pour prendre le risque que tu te transformes durant le vol et dévorer deux ou trois passagers ? Simplement parce que tu auras fait l’enfant ? De plus, nous ne pouvons pas garder du sang avec nous. Comment le justifier si on nous contrôle ?
Keir se contenta de grogner avant de les suivre, non sans avoir déposé un rapide baiser sur la joue de sa compagne. Anae sursauta à ce contact.
Bizarre.
N’était-elle pas censée avoir l’habitude des démonstrations d’affection de mon frère ?
Je pris un siège à côté du sien, une fois qu'elle se rassit.
Elle posa sagement les mains sur ses genoux, se figeant dans une posture raide.
Son regard braqué sur le flux des voyageurs allant et venant devant nous. Son dos ne touchait même pas le dossier. Quelle réaction excessive !
— Anae ?
La jeune femme sursauta, puis se tourna lentement vers moi.
— Je ne voudrais pas me montrer indiscret mais… me permettez-vous de vous poser quelques questions ?
Je lui dédiai un sourire enjôleur. Il n’eut pas l’effet escompté. Au lieu de se détendre et d’y répondre, la compagne de mon frère se raidit encore plus et ses yeux s’assombrirent.
— Allez-y.
Vraiment, c’était une première pour moi de ne pas arriver à amadouer une personne du sexe opposé.
Je trouvai presque la chose comique.
— Depuis combien de temps êtes-vous… avec mon frère ?
Anae fixa de nouveau son attention sur la foule.
— Nous nous connaissons depuis longtemps, mais nous ne sommes devenus un couple que récemment.
Je hochai la tête avant de croiser les bras sur mon torse.
— Vous êtes amoureuse de lui ?
Ma question lui provoqua une espèce de décharge électrique. Elle me fit face puis me contempla comme si j’avais perdu l’esprit.
— Je l’aime énormément, oui.
Je plissai les yeux en la fixant.
— Ce n’était pas vraiment le sens de ma question. Je vous ai demandé si vous étiez amoureuse de lui. Vous l’êtes ?
Elle croisa franchement mon regard.
— Oui, je suis amoureuse de Keir. Satisfait ?
Le ton de la compagne de mon frère était trop agressif à mon goût.
— Vous me détestez. Pourtant nous venons à peine de nous rencontrer. Ai-je raté quelque chose ?
La jeune femme ouvrit la bouche s’apprêtant à parler, pour se raviser. Finalement, elle se lança.
— Je suis désolée si je vous ai donné cette impression. Je suis simplement nerveuse. Je quitte mon pays et tout ce qui a fait ma vie jusqu’à aujourd’hui. Et je suis du genre méfiant avec les inconnus. Qui plus est, un vampire de votre trempe.
Cela sonnait faux, quelque part trônait l’odeur du mensonge.
— De ma trempe ? fis-je, en dévoilant légèrement mes canines.
Les yeux d’Anae devinrent réfrigérants.
— Je connais quelques-uns de vos exploits.
Je me penchai légèrement en avant.
— Mes conquêtes auraient-elles été trop bavardes ? chuchotai-je, taquin, tout en lui adressant un clin d’œil.
J’avais modulé ma voix afin qu’elle soit aussi caressante que de la soie. Accompagnant même mes paroles d’un sourire séducteur et carnassier.
Je le sentis.
Cela dura à peine une seconde, mais je l’avais perçu ! Son désir et les battements affolés de son cœur... Enfin une réaction normale face à mon pouvoir !
Le seul souci étant que je ne maîtrisais pas ce que cette réponse provoquait en moi.
Les lèvres d’Anae me parurent subitement aussi attractives que le sang coulant dans ses veines, voire plus. Une vague de pouvoir se répandit autour de nous.
L’effleurant telle une brise.
Elle était prise au piège et je le savourais. Quel goût avait cette bouche qui m’appelait ?
Alors que mes lèvres se trouvaient à quelques malheureux millimètres des siennes, je reçus une claque sur le sommet de mon crâne.
Cela rompit immédiatement la magie de l’instant.
Ma mère.
— Un peu de tenue que diable ! gronda la vampire.
Je laissai s’échapper un petit rire satisfait en visant la compagne de mon frère. Elle cligna plusieurs fois des paupières, comme sortant d’un rêve éveillé.
— J’ai cru avoir perdu mon pouvoir de séduction, mère. Un mâle qui doute fait toujours une sottise pour s'assurer de son charme.
— C’est ce que je constate… Alors rassuré ? persifla Gloria en s’installant à mes côtés.
Je braquai mes yeux sur la frêle jeune femme, encore secouée par notre échange.
— Au-delà de mes espérances, murmurai-je.
Le goût de son désir roulait dans la bouche, tel un bonbon sucré tentateur. Je dégustais sa saveur, complètement ivre.
Dès le lendemain, après avoir réglé quelques affaires en cours, je la rejoindrai en Écosse.
Cette femme m’intriguait trop... et mon envie de la posséder finirait par m'obséder à ce rythme.
Non pas que je souhaitai la voler à mon frère.
Mais jouer avec elle serait une délicieuse torture.
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