Sophie Albert
Enseignante, École secondaire Roméo Dallaire,
Barrie (Ontario)
Je m’appelle Sophie Albert. Ma langue maternelle est le français. Je suis francophone de souche, née dans une famille où les deux parents parlent couramment le français. En fait, mes deux parents, originaires du nord de l’Ontario, ont été élevés dans des familles francophones, chose qui est assez unique en Ontario ! À vrai dire, mes parents étaient les genres qui, lorsque tu parlais, te corrigeaient quand tu faisais une erreur et qui contestaient l’utilisation de mots anglais qui étaient insérés naturellement dans tes phrases. Ces « fautes » n’étaient pas acceptables. Ils auraient honte s’ils savaient qu’on m’a déjà donné une retenue pour avoir parlé en anglais dans les corridors. Je comprends maintenant pourquoi, pour eux, parler correctement et continuellement en français était important.
J’ai passé la majorité de mon enfance dans un petit village au nord de l’Ontario nommé Blind River. Par la suite, ma famille a déménagé dans une banlieue de Sudbury et j’ai commencé ma 3e année à l’école Sacré Cœur de Val-Caron. Suite à notre court séjour à Sudbury, ma famille et moi avons déménagé dans une banlieue de Barrie dans le Centre-Sud de l’Ontario. C’est dans cette ville que j’ai vécu mon adolescence et c’est à cause du fait que je m’identifie comme Franco-Ontarienne du Centre-Sud que j’ai décidé d’écrire cet article.
Je garde de bons souvenirs de mon secondaire. Pendant quatre ans, j’ai porté avec fierté les nombreux maillots des Tornades de l’ÉSC Nouvelle-Alliance qui était, à l’époque, la seule école secondaire francophone dans la région. Ceci dit, les souvenirs de l’école que je tiens le plus à cœur sont les épreuves surmontées avec les équipes sportives, les tournois franco, les concerts comme Konflit Dramatik et Swing, les activités avec le conseil des élèves et les camps de leadership. De toute évidence, j’ai poursuivi une carrière en enseignement grâce aux nombreuses expériences inoubliables que j’ai eu la chance de vivre comme élève. J’ai eu d’excellents entraîneurs et des enseignants dévoués. Bref, je n’avais pas loin à chercher pour trouver des modèles accessibles. Quand il était temps de faire demande aux universités, je n’avais pas à y songer longtemps ; je savais que je voulais donner à mes futurs élèves les mêmes expériences qui m’avaient été données. C’est ma façon de dire merci.
En arrivant à l’université Laurentienne, à l’automne 2004, je pensais que j’étais comme tous les autres francophones. Mais je me suis vite rendu compte que j’étais très différente. J’étais la seule dans mon programme qui avait un accent. Je ne savais pas que j’avais un accent ! Tout le monde à Barrie parle le français comme moi ! Pourtant, personne ne m’avait préparée, personne ne m’avait donné de signe qu’un jour je me sentirais exclue de ma propre communauté. Effectivement, je parlais, et je parle toujours, avec un accent qu’on associe avec les gens du Centre-Sud de l’Ontario… un accent dit « anglophone ». Par la suite de mes présentations orales, mes collègues étaient surpris que je parlais bien le français ou que je pouvais bien écrire, « sans beaucoup de fautes ». Pourtant, on parlait la même langue, non ? Les commentaires comme « tu parles pas mal bien pour une fille du Sud » m’ont donné l’impression que les gens trouvaient que mon accent était laid et tout à coup, j’avais honte de mon français. À vrai dire, j’avais beaucoup de difficulté à accepter que mon français soit inférieur à celui de Sudbury ou de Sturgeon Falls, mais c’est comme ça que je me sentais et personne ne m’a fait signe au contraire.
L’université Laurentienne étant une institution postsecondaire bilingue, je ne m’attendais pas à débattre avec un de mes amis la question de l’importance du bilinguisme dans un banquet athlétique organisé par l’université. À la suite du banquet, j’ai mentionné à mes amis que j’étais déçue du fait que le banquet athlétique s’était déroulé presque entièrement en anglais. J’ai ajouté que j’étais surprise qu’aucun discours n’ait été fait en français. Un de mes amis a répliqué que procéder en français était inutile puisque la majorité des gens dans la salle ne comprenaient pas le français tandis que ceux qui étaient francophones comprenaient l’anglais. Les échanges entre nous étaient animés, car je croyais, par principe, que le banquet aurait dû être bilingue et il croyait le contraire. C’est difficile de croire que même si les gens choisissent une institution bilingue, ils ne reconnaissent pas l’importance du bilinguisme.
Dans ma troisième année à l’Université, j’habitais avec deux filles. Une des deux filles était dans le même programme que moi et l’autre était dans le programme équivalent, mais anglophone. L’année scolaire avait bien commencé, mais une tension entre nous est devenue de plus en plus évidente. Notre colocataire anglophone a exprimé sa frustration par rapport à nos discussions francophones auxquelles elle ne pouvait pas participer. Les francophones, nous étions surprises ! Nous croyions avoir fait un effort de changer de langue quand elle était dans la salle et de lui lancer un commentaire en anglais pour l’inclure. Or, ce n’était pas assez ! À son avis, il fallait toujours que nous parlions en anglais afin qu’elle puisse savoir que nous n’étions pas en train de parler dans son dos. Même si nous étions dans nos propres chambres en train de discuter de nos travaux scolaires qui sont en français, elle voulait que ça se passe en anglais. Si elle regardait la télévision ou si elle était dans sa chambre avec la porte fermée, elle voulait être capable de comprendre nos conversations même si celles-ci ne la concernaient pas. Je ne pense pas que nous avions tort de parler en français dans notre appartement puisque nous avions fait un effort de l’inclure quand c’était nécessaire ou approprié. J’avoue que depuis ce temps, je me sens souvent mal à l’aise quand je m’adresse à quelqu’un en français et que les autres personnes autour de nous ne comprennent pas la langue, même si la conversation ne les regarde pas. Est-ce que je devrais me sentir ainsi ? Est-ce impoli ? J’ai abordé ces questions avec beaucoup de gens dans mon entourage. Toutefois, je constate que les opinions divergent à ce sujet. Je n’ai donc toujours pas la réponse.
Au secondaire, j’ai eu la chance de participer à deux camps de leadership exceptionnels. Le premier était FEL, formation en leadership, qui était offert principalement aux élèves qui siégeaient sur le conseil des élèves de leur école. Ce camp offrait une gamme d’activités enrichissantes pour permettre aux élèves de retourner dans leurs écoles outillés et confiants. Le deuxième était CASO (Centre d’Animation Scolaire de l’Ontario), où les élèves ont été choisis, car ils démontraient des qualités de leadership mais surtout à travers le sport. Quand j’y ai participé, je n’avais aucune idée à quoi m’attendre, mais lors de mon retour j’étais transformée.
Maintenant, j’ai l’honneur de passer une semaine chaque été au camp CASO comme facilitatrice. J’ai la chance de rencontrer et de travailler avec les leaders de nos écoles. Toutefois, chaque année je suis déçue, car nos nombres ne reflètent pas l’importance ou la qualité du camp. Les effectifs sont en baisse chaque année et les écoles envoient de moins en moins d’élèves. Pourtant, ces camps de leadership sont essentiels à la vitalité de la francophonie. Est-ce des raisons de financement ? Un manque d’informations ? Malheureusement, les gérants et les facilitateurs se penchent sur cette question et n’ont pas trouvé de réponse concrète. Une chose est certaine, si moins d’élèves peuvent participer au camp, il sera difficile de justifier son existence. Je crains laisser tomber ceux qui travaillent fort pour que les élèves francophones de l’Ontario puissent vivre cette expérience inoubliable.
Les tournois franco et les camps de leadership ont tous contribué à tisser mon identité franco-ontarienne. Il ne faut pas oublier qu’afin de vraiment profiter de ses expériences, il faut avoir l’esprit ouvert pour se permettre de les vivre… tant comme élève/participant, enseignant et comme direction d’école pour encourager la participation des élèves. En tant qu’élève au secondaire, j’ai reconnu l’importance de m’impliquer au sein de mon école et de ma communauté pour m’aider à trouver ma place au sein de celles-ci. En tant qu’étudiante à l’université, j’ai appris que faire partie de la communauté franco-ontarienne plus large n’est pas toujours évident et que l’on peut vivre des moments d’insécurité linguistique, voire même de l’exclusion. Cependant, ma conviction, ma détermination et mon implication au sein de cette communauté m’ont aidée à persévérer. Aujourd’hui, en tant qu’enseignante dans une école secondaire, je me rends compte que la construction identitaire est un processus continuel pour mes élèves et pour moi-même. Je suis là pour les accompagner et les encourager à trouver leurs qualités de leader et de trouver le rôle qu’ils s’intéressent à jouer dans la communauté franco-ontarienne.