Megan Cotnam
Doctorante, Université d’Ottawa et
Università di Corsica Pasquale Paoli
En 8e année en Ontario, les élèves sont appelés à faire plusieurs choix de façon quotidienne. Quel groupe d’amis vais-je fréquenter ? Quelles activités parascolaires vais-je poursuivre ? Que ferai-je ce weekend ? Mais comment s’effectue le choix d’une école secondaire ? Plus particulièrement, comment s’y prennent les élèves inscrits dans une école de langue française pour choisir de continuer en français au secondaire ou d’opter pour une école de langue anglaise ?
Le présent article fait état des données que j’ai recueillies dans le cadre de mon projet de maîtrise1. Ce projet s’inscrit dans le domaine des transitions de vies (Zittoun et Perret-Clermont, 2001) et la transition plus particulière des élèves du primaire au secondaire (Laveault, 2006). Or, les recherches de ces auteurs restent muettes sur la question du choix d’une école que doivent faire les élèves à ce moment de leur parcours scolaire. En effet, les voix des élèves sont marginalisées et souvent absentes dans la littérature internationale dans le domaine du choix scolaire (Cotnam, 2011a). Effectivement, alors que les recherches portant sur les choix scolaires des parents (Arsenault, 2008 ; Allard et al., 2004 ; Bagley et al., 2001 ; Bosetti, 2004 ; Bulman, 2004 ; Dalley et Saint-Onge, 2008 ; Saint-Onge, 2002) éclaircissent certains aspects du choix d’une école secondaire selon le point de vue des adultes, les seuls écrits qui parlent du choix des élèves de quitter le système francophone sont liés à une étude sur le décrochage scolaire (Allaire et al., 2005 ; Boissonneault et al., 2007 ; Ferguson et al., 2005 ; Michaud et al., 2008 ; Tremblay et al., 2007). Ces auteurs qualifient ce choix de décrochage culturel.
À dire vrai, le ministère de l’Éducation de l’Ontario (ci-après EDU), la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario ainsi que plusieurs chercheurs qualifient les élèves francophones qui choisissent de fréquenter une école de langue anglaise de « décrocheurs culturels » (Assemblée de la francophonie de l’Ontario, 2003 ; Allaire et al., 2005 ; Boissonneault et coll., 2007 ; Ferguson et coll., 2005 ; Michaud et coll., 2008 ; EDU, 2006 ; Tremblay et coll., 2007 ; Tremblay, 2007), un terme qui semble impliquer que ces jeunes décrochent complètement de la langue et de la culture françaises. Cependant, selon une l’étude provinciale de Ferguson et collaborateurs (2005), la langue d’instruction n’est pas le facteur déterminant dans la décision de quitter une école : « in terms of general risk issues, many Francophone youth described what seems to be a shared experience with their non-Francophone counterparts » (p. 29). En d’autres mots, selon cette étude, les facteurs qui influencent le choix d’une école ou le choix de décrocher semblent être les mêmes pour les francophones que pour les anglophones. D’un autre côté, le travail de Lamoureux (2007) démontre que le choix d’une université de langue anglaise par des élèves d’écoles de langue française ne représente pas un « décrochage » de la francophonie.
En effectuant ma recherche sur le terrain pour mon projet de maîtrise, je me suis questionnée de plus en plus sur le bien-fondé de l’utilisation du terme « décrochage culturel » et surtout de l’étiquette « décrocheur culturel », ce qui m’a amenée à rédiger un article critique sur l’utilisation de ce terme (Cotnam, 2011b). C’est également une raison pour laquelle je m’attarde à raconter les parcours identitaires de deux élèves, David et Sarah, que j’ai rencontrés sur le terrain. Ceux-ci ont choisi de quitter une école de langue française pour une école de langue anglaise. Bien qu’à première vue, ce choix puisse sembler inextricablement lié à la langue et à la culture, nous verrons qu’il y a une variété de facteurs qui influent sur le choix de la langue d’instruction et d’une école. Je donne beaucoup de place aux voix de David et de Sarah dans le présent article où je me propose de montrer qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais choix scolaires, mais plutôt une panoplie de trajectoires différentes dans lesquelles les élèves en milieu minoritaire francophone peuvent s’inscrire.
Comment faire pour tenter de comprendre les choix scolaires qu’effectuent les élèves en Ontario français ? Dans la section qui suit, je présenterai les concepts clés de cet article, soit le décrochage culturel, l’identité, la construction identitaire et les années de transition. Qui plus est, j’exposerai l’influence du travail d’Anthony Giddens sur la conceptualisation de l’article.
En conceptualisant mon projet et le présent article, j’ai été influencée par l’œuvre de Giddens sur la structuration. Disons d’abord que je souscris à sa position (1987) selon laquelle « tous les êtres humains sont des agents compétents » (p. 343), y compris les enfants et adolescents. En effet, les élèves sont des citoyens à part entière qui font preuve d’agency, terme qui « représente la capacité d’un acteur de réagir dans une interaction, sans pour autant avoir prédéterminé cette réaction » (Byrd Clark, 2011), en choisissant leur école secondaire. C’est la raison pour laquelle les voix des élèves sont mises en évidence dans ce texte, puisqu’ils sont les experts du sujet qui nous intéresse : comment les élèves vivent la transition de l’école primaire à l’école secondaire lorsqu’ils choisissent une autre langue d’instruction. En deuxième lieu, je tiens à souligner que l’acte de choisir représente un acte intentionnel et significatif puisqu’on tient pour acquis, dans une conception structuraliste, que l’acteur « sait ou croit que cet acte possède une qualité particulière ou conduit à un certain résultat et qu’il utilise cette connaissance ou cette croyance pour obtenir cette qualité ou atteindre ce résultat » (Giddens, 1987, p. 59). De ce fait, je considère que le choix d’une école secondaire est une action, un acte significatif qui aura des retombées importantes pour l’avenir de l’élève.
Le terme « décrochage culturel », déjà évoqué en début d’article, est assez nouveau dans le domaine de l’éducation. Ce qu’on entend par un « décrocheur culturel » est un élève qui quitte le système de langue française pour aller vers le système de langue anglaise. Le terme semble avoir été utilisé pour la première fois en 1993 dans un document de la FESFO et, depuis, il est apparu sporadiquement dans des articles et des rapports sur le décrochage scolaire du ministère de l’Éducation de l’Ontario et par un certain nombre de chercheurs (Assemblée de la francophonie de l’Ontario, 2003 ; Allaire et al., 2005 ; Boissonneault, et al., 2007 ; EDU, 2006 ; FESFO, 2006 ; Michaud, et al., 2008 ; Tremblay, 2007 ; Tremblay et al., 2007). Alors que je m’intéresse ici aux élèves francophones qui décident de choisir une école secondaire de langue anglaise, je m’attarderai également à découvrir si ceux qui quittent le système francophone « décrochent » vraiment de la langue et de la culture françaises. Il me semble important de maintenir une ouverture d’esprit envers ces élèves et de ne pas tenir pour acquis que le choix scolaire d’une école anglaise représente nécessairement un rejet de la culture francophone, d’où l’intérêt de s’attarder aux parcours identitaires d’élèves qui ont choisi une école secondaire de langue anglaise.
Dans cet article, je définis l’identité comme un construit social, influencé par le regard de l’autre. Dans le contexte particulier de cette étude, les identités d’élèves d’écoles de langue française en milieu minoritaire sont souvent associées à la langue. Ce que veut dire pour un élève d’être étiqueté ou de s’auto-identifier comme anglophone, francophone, bilingue, décrocheur culturel, ou autre, dépend des structures sociales qui forment ces identités. Pour sa part, Gérin-Lajoie (2003) précise que « ce rapport à l’identité et à la langue est influencé par des représentations et des pratiques langagières en mouvance » (p. 168). L’identité est donc toujours à renégocier. En outre, il importe d’évoquer ici le processus de construction identitaire. La construction identitaire constitue un processus social dynamique jamais achevé. La définition privilégiée par le ministère de l’Éducation de l’Ontario (2009c) et l’ACELF est la suivante : « la construction identitaire est un processus hautement dynamique au cours duquel la personne se définit et se reconnaît par sa façon de réfléchir, d’agir et de vouloir dans les contextes sociaux et l’environnement naturel où elle évolue » (ACELF, 2006, p. 12). À la fois chercheurs, enseignants et parents se donnent la mission d’accompagner les enfants en milieu minoritaire dans leur processus de construction identitaire. En effet, la construction identitaire représente un des cinq axes d’intervention établis dans la Politique d’aménagement linguistique (2004) du ministère de l’Éducation de l’Ontario et constitue donc une priorité pour les conseils scolaires de langue française en Ontario. Dans cet article, je m’intéresse à des identités qui se construisent en périphérie de l’école de langue française, mais qui y sont rattachées pour de nombreuses raisons.
Les années de transition renvoient aux 7e, 8e et 9e années. Au cours de ces années, les élèves doivent faire la transition, souvent difficile, de l’école élémentaire à l’école secondaire. En effet, selon Zittoun (2001), cette période peut faire en sorte que « les certitudes de la personne sur elle-même ou sur le monde, les représentations de soi et de ses propres compétences peuvent être remises en question ; elle peut être l’occasion d’une redéfinition de soi et de repositionnement dans l’espace social » (p. 2). Il est donc impératif de mieux comprendre comment les élèves vivent leur choix scolaire durant cette période identitaire complexe. Dans cette recherche, je précise que la transition à l’école secondaire, et le choix scolaire, sont un processus qui s’enclenche en huitième année, l’année où l’élève doit évaluer ses options scolaires (Lucey et Reay, 2002). Ce processus continue en neuvième année, ou même plus tard, jusqu’à ce que l’élève se trouve dans un état d’équilibre continu grâce aux ressources qu’il reçoit (Lamoureux, 2007). C’est en raison de la période prolongée de transition scolaire que l’étape de la recherche sur le terrain de cette étude s’est échelonnée sur deux années scolaires pour les participants, soit leur 8e et leur 9e année. C’est ce que nous verrons dans la section qui suit, traitant de la méthodologie du projet.
Le présent article a été conçu à partir de données recueillies entre 2009 et 2011 dans le cadre d’un projet de maîtrise, qui privilégiait une démarche de recherche qualitative.
L’échantillonnage par cas unique du projet, plus précisément par milieu scolaire, relève de l’approche interprétative. Le projet s’intéresse au point de vue des élèves de la 8e année ; ce sont eux qui vivent le processus. Le cas ciblé est une école secondaire du Centre-Sud de l’Ontario. Parmi les 84 élèves en 8e année, 79 ont accepté volontairement de remplir un questionnaire, ce qui représente un taux de participation de 94 %. Pour les entrevues qualitatives, j’ai rencontré en tout 14 élèves qui étaient inscrits dans trois écoles secondaires différentes, soit sept garçons et sept filles. L’âge des participants varie de 13 à 15 ans (8e et 9e année). Cela étant dit, cet article s’attarde plus particulièrement aux parcours de deux participants, David et Sarah, deux des élèves que j’ai interviewés lorsqu’ils étaient en 9e année.
J’ai tenu un sondage ponctuel une seule fois auprès des élèves qui se sont portés volontaires. J’ai conçu ce sondage en m’inspirant de l’étude du Réseau CIRCUM (1999) quant aux choix scolaires de parents, mais j’ai également ajouté de nombreuses sections pour mieux cibler ce que je voulais apprendre au sujet des expériences d’élèves. Ce sondage était composé de questions portant sur les divers facteurs qui influencent le choix d’une école secondaire : techniques, psychologiques, démographiques, économiques, politiques, culturels, familiaux et sociaux. Les questions que j’ai incluses abordaient également les opinions des participants quant à leur expérience à l’école de langue française et leur appartenance à la langue et la culture françaises. Pour la dernière question du sondage, les élèves ont dû identifier l’école qu’ils ont choisie pour la neuvième année. Cet outil a donné un aperçu global du processus de choix scolaire que vivent ces jeunes.
Lorsque les élèves étaient en 9e année dans leurs nouvelles écoles, j’ai effectué des entrevues semi-dirigées et des groupes de discussion avec un nombre plus restreint d’élèves. Encore une fois, j’étais l’unique auteure des questions posées lors de ces discussions. Le but était d’examiner plus en détail le point de vue d’un nombre limité d’élèves. Qui plus est, le format semi-dirigé m’a permis d’ajouter des questions au cours de la conversation et de me faire guider par ce que les participants avaient à dire, le tout pour mieux leur permettre de se raconter.
Dans la section suivante, je présenterai les cas de deux élèves inscrits à l’école primaire catholique de langue française l’Ange-Gardien2 au Centre-Sud de l’Ontario, David et Sarah. Ces deux participants de mon étude ont répondu au sondage lorsqu’ils étaient en 8e année ; ce sondage fait état de leur profil sociolinguistique, de leurs intérêts et de leur choix scolaire. Je les ai rencontrés presque une année plus tard, à la fin de leur 9e année à l’école de langue anglaise catholique Sacred Heart pour discuter de leurs expériences de transition d’une école primaire de langue française à une école secondaire de langue anglaise. Les deux participants ont choisi de passer leur entrevue en anglais. Cela étant dit, je tiens à souligner que les entrevues ont eu lieu à leur nouvelle école de langue anglaise, facteur qui a peut-être influencé leur choix de langue. Pour donner de la place à leurs voix, je les cite verbatim dans la langue de leur choix dans cet article. La présentation de leurs parcours est ce qui suit.
J’ai eu l’occasion de rencontrer David en mai 2010 lorsqu’il était en 8e année à l’école de l’Ange-Gardien au moment où j’ai réalisé un sondage auprès de tous les élèves de ce niveau. À la dernière page du sondage, j’ai demandé à chaque élève s’il accepterait de participer à une entrevue individuelle. Au bas de son sondage, David a écrit ceci : « S’il te plaît, car j’ai beaucoup à te dire ». Son désir de participer au projet de recherche et de partager ses expériences était donc manifeste dès le début de notre relation. Lors de notre entrevue, une année plus tard en juin 2011, David avait 14 ans et terminait sa 9e année à Sacred Heart.
La famille de David se compose de son père, ingénieur environnemental, de sa mère, architecte, et de son petit frère. David parle souvent l’anglais et parfois le français à la maison avec sa famille. Toutefois, il ajoute qu’il aide souvent son petit frère, élève en 4e année à une école de langue française, avec ses devoirs en français. Le père de David a fait sa scolarité en français jusqu’à la fin de la 6e année et a continué ses études en anglais tandis que sa mère a fait toute sa scolarité en anglais. David qualifie son père de bilingue et sa mère d’anglophone qui comprend le français. C’est David qui a abordé ses parents pour discuter de sa décision de changer d’école et de langue d’instruction pour son école secondaire. Il me raconte : « It’s my choice of what school I want to go to after grade 8. [My parents’] only main thing about me and my brother is that we stay in French school until grade 8 so that we have it stuck in our heads. » Les parents de David voulaient donc que David acquière des compétences en français qu’il pourrait garder tout au long de sa vie. Lorsque David a choisi une école de langue anglaise, ses parents l’ont encouragé dans sa décision. David ajoute qu’il est beaucoup trop tôt pour savoir quel choix scolaire fera son petit frère.
David indique avec confiance qu’il est à l’aise à communiquer en français et en anglais. En effet, sur son sondage, il a répondu que son français est meilleur que la plupart de ses camarades à l’école de l’Ange-Gardien. Lorsqu’on parle de ses capacités en français une année plus tard, il réitère ce qu’il a dit : « Yeah I definitely think my French is better than most of my peers. » Il ajoute qu’il parle toujours bien français et qu’il espère continuer de le faire. Il affirme : « I think what’s important to me is just not to lose my French and make sure I always have it. » Je lui ai demandé quelles occasions lui sont offertes de parler en français de façon quotidienne. David me répond qu’il parle parfois français avec son père et son frère. De plus, il suit le cours de Grade 9 French, crédit obligatoire de son diplôme. Pourtant, ce cours, le premier de quatre cours d’introduction au français offerts en 9e, 10e, 11e et 12e respectivement à son école, ne représente pas un défi pour David : « Yeah I’m getting 90s in my French class and I don’t even have to try. » À dire vrai, bien que David soit inscrit dans un cours de français langue seconde, il n’a pas la possibilité de suivre un cours correspondant à son niveau de français et qui pourrait l’aider à mieux maîtriser son français. David continue à vivre entre deux langues, mais l’on peut constater que l’anglais occupe une partie importante de son quotidien.
La plupart des amis de David ont choisi l’école secondaire de langue française. « Yeah a lot of my friends told me I should stay », explique David, mais à son avis le choix de ses amis a eu peu d’influence sur son propre choix d’une école secondaire. Il sait que pour certains, l’idée d’aller à une nouvelle école sans un groupe d’amis peut être intimidant, mais pour David ce n’est pas le cas : « I just like to meet new friends and I like to go to new places and discover new things and stuff like that. » Il ajoute : « I have a few friends that said they wanted to come, but their parents like wanted them to stay in French », raison pour laquelle il a beaucoup apprécié que ses parents lui aient donné la chance de décider par lui-même. David croit que cela est assez rare : « Yeah I think for lots of kids it’s the parents that decide, especially in the French schools, the parents are always like “No! You can’t change schools!” ». Le choix d’une école secondaire n’était pas facile pour David. En effet, cela a demandé beaucoup de recherche. Il a comparé les divers programmes de musique offerts à différentes écoles dans la région. Par exemple, il a constaté que l’école publique locale Terry Fox High School avait un curriculum de sports incroyable. Toutefois, David s’intéresse particulièrement à la musique et il a appris que c’est Sacred Heart qui a le meilleur programme de toute la ville. Étant donné que David joue de neuf instruments différents, fait qui m’impressionne énormément, la qualité de l’enseignement de la musique et des activités parascolaires importe beaucoup pour lui. À cette école « there’s pit band, there’s junior band and there’s senior band. » Par ailleurs, il me raconte le succès qu’il a connu à sa nouvelle école : « At the music regionals this year we went up against [Terry Fox] and they got silver, we got gold », fait qui confirme pour lui qu’il est au bon endroit. D’ailleurs, David précise que si le programme de musique à son école diminuait de qualité, il serait prêt à changer d’école.
La géographie n’a pas joué un rôle déterminant dans le choix de David. Effectivement, il vit à 20 km de sa nouvelle école secondaire. Pour cette raison, il doit attendre jusqu’à 17 h que sa mère vienne le chercher, malgré le fait que l’école se termine à 15 h 25. D’autres facteurs qui ont joué un rôle dans le choix de David furent le peu d’activités parascolaires offertes à l’école de l’Ange-Gardien et les règlements de port d’uniforme. Bien qu’il soit toujours obligatoire de porter un uniforme à sa nouvelle école, David indique que le personnel enseignant était beaucoup trop sévère par rapport aux uniformes à son école de langue française alors qu’à Sacred Heart les règlements donnent plus de liberté aux élèves et leur permettent de porter leur uniforme à leur façon. À plusieurs moments lors de l’entrevue, David insiste qu’il est toujours très content de son choix scolaire.
Je ne peux coller une étiquette ou une seule identité à David, mais j’aimerais rappeler certains de ses propos pour brosser son portrait identitaire. David soutient qu’il est reconnu au sein de son école comme étant francophone : « Here when I speak French people are like “Oh that French kid”, but then they get used to it and it’s like “Oh you can speak French, can you teach me stuff ?” ». Il admet que sa transition à sa nouvelle école n’a pas été facile, surtout lorsque ses camarades le traitaient négativement de « that French kid ». Pourtant, aujourd’hui il se sent valorisé à sa nouvelle école pour ses habiletés en français. Quant à ses projets d’avenir, David aimerait devenir enseignant de musique. Il est confiant en ses capacités et affirme qu’il pourrait travailler dans une école de langue anglaise ou de langue française : « Either way I would spice up the classroom because I speak both languages. » Cela étant dit, il n’a pas indiqué s’il préfèrerait travailler en français. Il ne semble donc tenir à faire une carrière en français.
David parle beaucoup de son éducation et de la qualité de l’enseignement à sa nouvelle école. Il mentionne que les rappels du personnel enseignant quant à l’utilisation du français et l’intérêt qu’ils accordent à cette question « takes away at least five minutes from each class … time we don’t waste at an English school. » Il soutient qu’il reçoit une meilleure éducation à son école de langue anglaise puisque les enseignants s’intéressent uniquement à la matière à enseigner. Il semble que ça va mieux à son école puisque David obtenait des notes moins élevées à l’école de l’Ange-Gardien : « At my old school, I was getting like 60s and 70s. Now I’m getting 70s and 80s in my courses. It’s great. » Il dit qu’il est plus motivé à sa nouvelle école et qu’il croit que les enseignants paraissent plus impliqués et plus industrieux. Toutefois, il soutient que l’enseignement du français à cette école ne correspond aucunement à ses besoins.
David explique que la transition de la 8e à la 9e année ainsi que la transition d’un programme de langue française à un programme de langue anglaise sont tout sauf faciles. Sur le plan linguistique, David a connu des difficultés : « Like I was learning math and science and everything in French before so switching for English, it’s just really complicated … I’m still kind of adapting. » De ce fait, même au mois de juin de sa 9e année, David admet qu’il vit toujours cette transition scolaire. En parlant des transitions, il ajoute :
I don’t know why, kids just take a long time to adapt. That’s all I gotta say. I mean learning to switch classes, having different people in your classes and stuff like that. Just some kids get stressed out over that.
Bien qu’il ne s’inclue pas nécessairement dans le groupe d’élèves (« some kids ») que la transition inquiète, David semble très bien situer et comprendre les difficultés qu’une transition scolaire peut poser à un élève.
David aimerait que son enfant aille à une école de langue française jusqu’à la 8e année et s’inscrive par la suite dans une école de langue anglaise, tout comme il a choisi de le faire. Il réaffirme qu’une scolarité dans une école de langue française jusqu’à la 8e année suffit pour apprendre le français.
J’ai également eu l’occasion de rencontrer Sarah pour la première fois en 2010 lorsqu’elle était en 8e année et à nouveau en 2011 pour notre entrevue. À la fin de notre deuxième rencontre, elle répète à quel point elle est contente de pouvoir participer au projet : « I mean I have really strong opinions about these things and I want to talk about them. » Ces paroles m’incitent donc à raconter l’histoire de Sarah.
La famille de Sarah se compose de son père, de sa mère, de ses deux demi-sœurs et de sa petite sœur. Ses parents et ses demi-sœurs sont tous avocats. Sa petite sœur a sauté une classe et est actuellement inscrite en 8e année à l’école de l’Ange-Gardien. Elle compte aller à l’école Sacred Heart pour sa 9e tout comme Sarah. La langue maternelle de la mère de Sarah est l’anglais et les langues maternelles de son père sont l’anglais et le français. Sa mère a aussi suivi des cours de français pour débutants offerts aux parents anglophones à l’école de l’Ange-Gardien. Toutes ses sœurs ont fait leur scolarité primaire dans une école de langue française et ses demi-sœurs ont continué dans des écoles secondaires et des universités de langue anglaise. Une de ses demi-sœurs a maintenant un petit garçon de six ans, qui commence sa première année dans une école de langue française. De ce fait, le mari de sa demi-sœur fait maintenant un effort pour apprendre le français. Sarah explique : « You know so my whole family is into French schools. » Il y a donc un investissement de la part de toute sa famille pour favoriser l’usage et l’apprentissage du français.
Lorsque j’ai commencé l’entrevue avec Sarah, je lui ai demandé de signer un formulaire de consentement que j’avais préparé, et qui était uniquement en français. Elle m’a répondu : « Wow it’s been a while since I read or filled a form out in French. » Sarah était inscrite au même cours de Grade 9 French que David au premier semestre, mais après son premier cours elle a demandé de suivre un cours plus difficile. Son enseignante de français l’a donc placée dans le cours de Grade 10 French. Encore une fois Sarah n’était pas satisfaite du cours, mais le directeur de l’école lui a expliqué que si on la plaçait dans le cours de Grade 12 French, elle ne pourrait plus suivre de cours de français dans ses trois prochaines années. Sarah, avec réticence, a donc accepté de suivre le cours de 10e : « I took a grade 10 French course and I was sitting there like this is terrible (laughs). Yeah, I corrected the teacher so much and sometimes she couldn’t even understand me because I would talk too fast for her. » Bien que Sarah ait très bien réussi le cours, « I got a 97 in the class », elle n’a pas beaucoup aimé l’expérience. Elle explique que « when they were doing like imparfait and passé composé, I was like “I learned this in grade 5! Are you kidding me?” ». À part son cours de français, Sarah parle avec sa meilleure amie en français, même dans les couloirs de l’école Sacred Heart :
With my best friend who also went to French school we just kind of talk randomly in French sometimes. Why not? And people give us funny looks but I don’t care. I’m kind of concerned, like I don’t want to lose it.
De surcroît, Sarah parle parfois en français à la maison, notamment avec ses demi-sœurs et sa petite sœur. Pourtant, ils parlent plus fréquemment en anglais entre eux.
Sarah admet qu’elle se rend déjà compte qu’elle a parfois plus de misère à s’exprimer de façon spontanée en français : « I find myself, like I kind of have to pause and think about a word and I’m like “No! No! I don’t want to lose it!” ». En effet, elle répète plusieurs fois qu’elle veut garder son français. Sarah aimerait travailler dans les deux langues officielles lorsqu’elle sera plus vieille et elle songe à suivre des cours de français à l’université. Elle ajoute également que son bilinguisme représentera un atout sur le marché du travail : « It gives you the upper hand in an interview or whatever over people who aren’t bilingual. » Elle dit que le français a beaucoup d’importance pour son avenir — elle l’a déjà indiqué dans le sondage et le répète lors de l’entrevue.
Sarah fait partie de l’équipe de ballon-volant à l’école Sacred Heart et elle est impressionnée par la qualité de ce programme, fait qu’elle attribue au grand nombre d’élèves. En effet, la taille de l’école était un autre facteur important pour Sarah :
The size of school is really important. Like the biggest schools like us (with 900 students) have better extracurriculars and sports. Like for volleyball there were real tryouts and they were tough, it’s not like everyone just made the team because it’s a small school.
Pourtant, Sarah reconnaît qu’une petite école peut avoir ses avantages aussi : « Most of the kids at [l’école de l’Ange-Gardien] are happy there, it’s a small schoool so there’s like a bond with all of them », mais ce n’est pas ce qui l’intéresse. En effet, elle se dit plus heureuse à Sacred Heart. Elle ajoute, tout comme l’a fait David, qu’elle préfère la politique de port d’uniforme à sa nouvelle école. Elle explique : « I would get in trouble all the time for uniforms and it made the relationship between my teachers and me just more tense », alors qu’elle n’a pas ce problème à Sacred Heart.
Sarah, contente du choix de sa nouvelle école, indique que le facteur géographique a joué un rôle déterminant. 40 kilomètres séparent sa maison de l’école secondaire de langue française la plus proche, alors que l’école Sacred Heart est à deux minutes de chez elle. Ce ne sont pas seulement la distance ou même le temps de déplacement qui représentent une préoccupation pour elle, mais également leur effet sur sa participation aux activités parascolaires :
Like at [l’école de l’Ange-Gardien] I wanted to do sports and sometimes they had practices at like 7:30 in the morning and my mom would have had to drive me all the way. So I couldn’t do any extracurriculars down there.
Cependant à sa nouvelle école, la situation est très différente : « Here, even if there’s a 6 a.m. practice I can just wake up at 5:45. It’s like so much more easy. » En y réfléchissant, elle pense qu’elle n’aurait pas fait le même choix si l’école de langue française n’était pas si éloignée : « Yeah if the French High school was right here I think I would have stayed there. » Elle souligne que vivre en milieu minoritaire a un impact sur son choix scolaire :
I mean it’s not easy in Central Ontario like go to Quebec sure there’s French schools all over and you don’t have to wake up at 6 a.m. every morning to get to the closest one so you aren’t stuck in the situation I am.
Ce n’est donc pas la langue qui était un facteur déterminant dans le choix scolaire de Sarah.
Lors de notre entrevue, je me suis aperçue que Sarah portait un bracelet avec un drapeau franco-ontarien sur lequel on peut lire les mots « vu et entendu ». Elle m’explique : « Yeah I still wear this bracelet a lot. It’s like being connected with Francophones, like we’re a little group of people that would wear this bracelet. » Elle précise qu’elle a eu ce bracelet à l’école de l’Ange-Gardien où il était utilisé pour punir ceux qui parlaient anglais :
I got it at my old school. It was like if we got caught speaking English they would take away our bracelet and at the end of the month you couldn’t do a specific game or activity if you didn’t have it.
Pourtant, elle continue à le porter une année après avoir quitté son école. Elle l’associe à quelque chose de positif : son appartenance à la communauté franco-ontarienne. « I would proudly say that I’m Franco-Ontarian… yeah I’m Canadian and I speak both languages like a pure Canadian and I am just so proud to able to speak both languages », ajoute Sarah. De plus, Sarah est reconnue comme francophone dans sa nouvelle école et son cercle d’amis. Dans ses cours de français, elle impressionne ses camarades de classe avec ses capacités linguistiques. Elle a même des amis qui lui demandent de leur enseigner le français : « Me and my best friend we have this other friend and her dad speaks French. So when we go to her house we speak French with him and she’s like “Guys! Teach me words, I don’t know anything.” » Elle explique qu’elle aime apprendre le français à ses amis et ajoute qu’elle aimerait faire du tutorat en français à son école. Sarah insiste sur le fait qu’à son école de langue anglaise, son français est valorisé et elle est reconnue comme francophone.
À la fin de notre entrevue, j’ai expliqué à Sarah qu’un nombre important de chercheurs dans le domaine de l’éducation utilisent le terme « décrocheur culturel » pour qualifier un élève qui quitte une école de langue française pour une école de langue anglaise. La réaction de Sarah face à ce terme était vive : « I don’t think that’s fair. Like I still have my French, I’m still Franco-Ontarienne and I don’t know, it’s the convenience of the school that’s here, but yeah I don’t agree with that at all. » En discutant, je pouvais voir qu’elle était visiblement affectée par ce terme. Elle a ajouté : « Just because you don’t do every single thing in French that doesn’t mean you’re giving up on it. » Ces mots sont puissants. Sarah ne considère pas que son choix scolaire constitue un décrochage de sa langue, de sa culture ou de son appartenance à la communauté francophone en milieu minoritaire.
Sarah indique que son choix d’étudier en anglais lui permettra de mieux réussir au niveau postsecondaire. Étant donné qu’elle souhaite étudier en droit en anglais soit au Canada ou préférablement aux États-Unis, elle croit que sa scolarité en anglais au secondaire la préparera mieux pour les réalités de son futur programme :
I need to work on my English and make connections with everything because I learned all my subjects in French and I don’t understand how coming here could be a bad thing for my education. Especially because universities are obviously going to look at schooling and how I did studying in English.
D’ailleurs, Sarah croit que même le cours d’English qui est offert à Sacred Heart demeure plus complexe et exigeant que son équivalent dans une école de langue française : « I feel like English classes at French schools are kind of pushed to the side because French is the most important class. » Cependant, à sa nouvelle école anglaise elle a une meilleure expérience : « I come here and my English teacher is like “Ok, this is going to be hard” and I need that. » À son avis, son choix d’une école de langue anglaise est donc le meilleur choix pour s’assurer qu’elle pourra suivre fidèlement les traces de ses parents et de ses demi-sœurs et devenir avocate.
Sarah aimerait que son enfant aille à une école de langue française : « Yeah I would definitely send my kids to a French school… it like opens up so many doors down the road and why wouldn’t you want your child to speak another language and be bilingual? » Pour l’école secondaire, elle dit que ça serait à son enfant de choisir son école et la langue d’instruction selon ses intérêts et ses buts.
Une première constatation qui se dégage des données du sondage et des entrevues est le désir de la part des élèves d’être entendus par leurs parents, surtout pour ce qui est d’avoir la faculté de choisir leur école. Sarah et David ont tous les deux souligné le fait que leurs parents les ont encouragés à choisir leur école secondaire de façon indépendante. Cependant, ni un ni l’autre n’a mentionné l’implication ou l’aide du conseil scolaire, du personnel enseignant ou de l’orienteur lorsqu’ils ont décidé de partir de leur école. Il reste donc à savoir si les élèves sont adéquatement accompagnés à l’école primaire lorsqu’ils vivent l’expérience du choix d’une école. À mon avis, il importe qu’on offre aux élèves toutes les ressources et l’information dont ils pourraient avoir besoin pour choisir une école secondaire afin que la décision de quitter l’école de langue française ne soit pas une décision mal informée.
Un autre constat qui est apparu lors des entrevues est la réalité que le choix d’une école de langue anglaise équivaut au choix de ne plus avoir accès à un enseignement de qualité de la langue française. Sarah et David ont travaillé fort jusqu’à la 8e année pour développer des compétences en français, et ce, en milieu minoritaire. Or, aucun accompagnement en français ne leur est offert lorsqu’ils quittent le système de langue française. Puisqu’ils ont maintenant rarement la chance de parler la langue, malgré leurs efforts et leur bonne volonté, et surtout en raison du fait qu’ils n’ont pas accès à une formation suffisante en français à l’école de langue anglaise, le risque que les compétences linguistiques en français de ces deux élèves se figent ou se fossilisent est important. David et Sarah ont tous deux dit à plusieurs reprises ne pas vouloir perdre leurs capacités en français, mais on ne leur propose pas vraiment de stratégies pour y arriver.
Pour revenir à la question du choix d’une école secondaire, selon David et Sarah, il n’y a pas un facteur unique qui détermine nécessairement ce choix. La taille de l’école, ses programmes, ses activités parascolaires, sa situation géographique et sa langue d’instruction ne sont que des exemples de facteurs qui influencent les élèves lorsqu’ils s’apprêtent à prendre une décision. Qui plus est, aucun d’eux n’a mentionné l’importance des choix de leurs amis. Cependant, il semble que le choix d’un frère ou d’une sœur peut avoir une influence importante puisque Sarah a suivi le même parcours que ses demi-sœurs et que le frère de David et la sœur de Sarah comptent fréquenter la même école qu’eux. De ce fait, on ne peut pas réduire le choix scolaire à un seul facteur déterminant. En effet, nous sommes encore loin de bien saisir la façon dont les parents et les élèves s’y prennent pour choisir une école en milieu minoritaire en Ontario.
Le thème de la construction identitaire est également revenu maintes fois au cours des deux entrevues. Les termes « bilingue », « anglophone », « francophone » et « Franco-Ontarien » ont tous été utilisés par David et Sarah pour se caractériser eux-mêmes, ou pour caractériser des membres de leur famille. Ils sont donc familiers avec ses termes. Sarah répète plusieurs fois qu’elle se considère à la fois comme Franco-Ontarienne et comme bilingue et qu’elle en est fière. David n’emploie pas le terme « Franco-Ontarien » lors de notre entrevue, mais il indique qu’il se pense Franco-Ontarien dans le sondage. Il préfère utiliser le terme « bilingue » lorsqu’on en parle une année plus tard, un exemple possible du fait que l’identité est toujours en mouvance, toujours à construire. Ni l’un ni l’autre n’ont qualifié le français de langue seconde, malgré le fait qu’il représente pour eux la deuxième langue qu’ils ont apprise. Ceci est peut-être le résultat de leur scolarité dans une école de langue française où le français est enseigné comme langue première et qui a pour but de guider les élèves dans leur construction identitaire (EDU, 2004). Ce qui importe est que le choix de parler en anglais lors de l’entrevue et de faire ses études secondaires en anglais ne semble pas en contradiction avec l’identité bilingue ou francophone de David ou de Sarah. Aucun d’eux n’a « décroché » de la langue ou de la culture française en milieu minoritaire, surtout que leur affirmation identitaire est plurielle et en évolution constante. On ne peut donc pas réduire les identités de David ou de Sarah à une étiquette, raison pour laquelle le terme « décrocheur culturel » ne semble pas approprié pour ces deux élèves ou pour tout autre élève qui choisit une école autre qu’une école de langue française.
Pour mieux guider les élèves dans leurs années de transition et peut-être même pour tenter d’améliorer la rétention des effectifs dans les écoles de langue française, il importe avant tout de mieux comprendre les réalités que vivent les élèves en milieu minoritaire.
Pour mieux expliquer les raisons qui m’ont motivée à écrire cet article, je terminerai en présentant mon parcours d’enfant, d’élève et aujourd’hui d’étudiante, un tout qui influence continûment mes intérêts de recherche et ma perspective. Étant donné que l’identité est un construit social, des commentaires tels que « Wow you speak great French for an Anglophone! » ou « Ton prénom c’est Megan ? Ton nom Cotnam ? Alors t’es une anglophone ? » ont influencé ma perspective, ma sécurité linguistique et mon parcours. Mon identité, qui résulte de ma trajectoire unique et des contraintes que j’ai vécues socialement, est complexe dans un monde qui essaie de la réduire.
L’influence de mes parents sur mon cheminement scolaire se doit d’être soulignée. Mon père est anglophone et ma mère francophone. Leur identité n’est pas limitée à ces étiquettes, par contre. L’effort de mes deux parents pour assurer un environnement francophone, sinon bilingue, en milieu minoritaire était incomparable, surtout que nous habitions une région où la population francophone ne représente que 1,8 % de la population (Orillia, ON). Jeune enfant, on parlait seulement le français à la maison, malgré les difficultés que cela représentait pour mon père unilingue. Qui plus est, me faire instruire en français n’a pas toujours été facile. J’ai dû prendre un taxi pour faire les 70 km aller-retour entre ma maison et mes écoles primaire et secondaire de langue française. Malgré cela, j’ai fait la majorité de ma scolarité dans des écoles de langue française et j’ai toujours été encadrée dans mes nombreuses tâches de bénévolat au sein de mon école et de la communauté francophone. Effectivement, au-delà d’une simple transmission linguistique et culturelle, mes parents m’ont fait connaître la mission du fait francophone en milieu minoritaire.
Lorsque j’ai décidé en 10e année de changer d’école, tout comme David, en raison de l’excellent programme de musique d’une école anglaise, ils m’ont appuyée dans ce choix. J’y suis seulement restée un semestre parce que j’ai constaté que cette nouvelle école anglophone n’était pas l’endroit pour moi. Je savais que j’appartenais toujours à mon école de langue française et à cette communauté, malgré l’absence de certains cours ou de certaines activités. Je vis toujours dans et entre les deux langues et je m’identifie à la fois comme bilingue et Franco-Ontarienne puisque je ne considère pas que ces identités s’excluent. De ce fait, mon parcours d’enfant m’a conduite à m’intéresser à l’éducation dans la langue minoritaire.
Le temps que j’ai passé sur le terrain pour mon projet et la chance que j’ai eue de connaître les parcours d’élèves tels que Sarah et David m’ont inspirée à continuer à creuser le phénomène de transition scolaire et de choix scolaire en milieu minoritaire — une question d’actualité en éducation. En ce moment, je mène un projet de recherche doctoral sur les choix scolaires à l’Université d’Ottawa et à l’Université de Corse (financé par une bourse d’études supérieures du Canada Vanier). J’espère que ce projet contribuera aux connaissances théoriques dans ce domaine, mais qu’il se traduira également par des retombées pratiques pour mieux aider les élèves qui vivent le processus de choix scolaire en milieu minoritaire.
Originaire d’Orillia (Ontario), Megan Cotnam est doctorante en éducation inscrite en cotutelle à l’Université d’Ottawa et à l’Università di Corsica Pasquale Paoli. Dans le cadre de sa cotutelle, Megan a la chance de travailler avec deux directeurs de thèse : Phyllis Dalley (Université d’Ottawa) et Alain Di Meglio (Università di Corsica). Megan est enseignante et jeune chercheure passionnée par la cause des communautés linguistiques minoritaires et les droits des enfants. Dans le cadre de sa thèse, elle s’intéresse aux enjeux associés au processus de choix scolaire en milieu minoritaire en Corse et en Ontario. Elle espère que cette recherche lui permettra de contribuer à la recherche et aux discours sur les droits linguistiques des communautés minoritaires au Canada et dans le monde, surtout en ce qui a trait à la langue de scolarité.
1. Le projet de recherche auquel je fais référence dans cet article était mon projet de maîtrise à l’Université d’Ottawa. Cependant, puisque j’ai effectué un passage accéléré du programme de maîtrise au programme de doctorat, je n’ai ni soumis, ni défendu une thèse de maîtrise. Ce projet sert donc de projet pilote pour mon projet de recherche doctoral.
2. Pour assurer l’anonymat, les noms des écoles et des participants ont été remplacés par des pseudonymes.