Le garçon qui voulait devenir

un Être Humain

 

... où Leiv fait son choix.

 

Narua regarda d’un air curieux autour d’elle dans la grande maison. Elle était assise sur une étroite couchette, où l’on avait installé Apuluk, porté jusque-là par les frères de race de Leiv. La maison était plus grande qu’aucune maison qu’elle eût jamais vue. C’était là une gigantesque salle où tous les humains se rassemblaient, et cette salle continuait vers un bâtiment plus bas où les animaux domestiques étaient enfermés dans des petites stalles.

Elle écoutait les nombreuses voix étrangères en pensant que si Leiv n’avait pas été là, elle aurait été morte de peur.

Thorstein de Stockanæs écouta attentivement Leiv raconter son sauvetage et sa vie chez les Inuit. Quand Leiv eut fini, il dit :

« Tu nous as raconté beaucoup de choses sur ces gens que nous avons toujours traités de skrællings, et je crois que nous avons appris quelque chose de ton récit. Je vais maintenant raconter ce qui s’est passé dans les glaces, il y a trois ans. » Et puis Thorstein raconta leur miraculeux sauvetage.

Son drakkar avait effectivement sombré, pressé par les glaces, mais cela ne s’était pas passé aussi rapidement que l’on aurait pu craindre. Ils avaient eu le temps de descendre bêtes et gens sur la glace, et par chance ils s’étaient trouvés tout près d’une très grosse plaque qui résistait à la pression des plaques environnantes.

Les deux autres bateaux étaient vilainement endommagés, mais continuaient à flotter, malgré les nombreuses planches à clins défoncées. Une fois la tempête un peu calmée, ils avaient réussi à s’approcher de la plaque où se trouvait Thorstein, et c’est comme ça que son équipage et lui avaient pu être sauvés.

Puis, ils avaient gagné Vestribyggd, le Hameau de l’Ouest, pour y réparer les bateaux. L’année suivante, ils avaient trouvé cette vallée et construit leur ferme, nommée Stockanæs comme celle qu’ils avaient quittée en Islande.

Quand Thorstein eut achevé son récit, il effleura de la main le bras de Leiv.

« Tu as grandi, dit-il avec un sourire, tes bras seront bientôt presque aussi longs que les miens. »

Leiv rougit un peu. Il se souvenait du contrat passé entre eux.

« Il faut qu’ils poussent encore un peu, murmura-t-il, et je doute qu’ils arrivent jamais à devenir aussi longs que les tiens. »

« La paix doit régner entre nous, dit Thorstein, et la paix doit régner entre nous et tes amis inuit. »

Il se leva et détacha son épée. Puis il alla vers Apuluk, sortit l’épée de son fourreau et la tendit à Apuluk. Apuluk la reçut, il en examina méticuleusement le tranchant, la soupesa dans ses mains et la rendit ensuite à Thorstein en secouant la tête.

« Dis-lui que je lui offre », dit Thorstein.

Leiv traduisit, mais Apuluk continua à secouer la tête.

« Ça ne peut pas me servir, dit-il à Leiv dans sa langue, elle est beaucoup trop grande, beaucoup trop lourde, il vaut mieux qu’il la garde. »

Leiv traduisit.

« Les Inuit ne se servent pas d’épée, expliqua-t-il. Parce qu’ils ne font jamais la guerre. Donne-lui ton couteau, Thorstein, il peut s’en servir pour la chasse. »

Thorstein posa l’épée sur la table et dégaina son couteau. Et au large sourire qui éclaira le visage d’Apuluk, il comprit que c’était là un cadeau qui convenait.

« Et la fille, qu’est-ce qu’elle souhaite ? » demanda-t-il à Leiv.

Leiv regarda Narua. Elle était en train de contempler le couteau d’Apuluk, les yeux brillants.

« Tu désires quelque chose, Narua ? »

Elle secoua la tête sans répondre.

« Il doit bien y avoir quelque chose qui te ferait plaisir, insista Leiv. Tu veux un couteau aussi ? »

« Non. » Narua jeta un regard vers les femmes qui étaient assises autour de la table, en train de coudre. « Peut-être une aiguille, comme celle-ci », chuchota-t-elle.

Leiv traduisit, et Thorstein éclata de rire. Il passa le bras par-dessus la table, prit la boîte à couture d’une des femmes et la posa sur les genoux de Narua. Elle la regarda, effrayée. Puis, elle ouvrit la boîte et en sortit une aiguille. Après l’avoir examinée longuement, elle la cacha dans son toupet noir. Puis elle expliqua à Leiv qu’une telle aiguille était un cadeau merveilleux. C’était une aiguille extraordinaire qu’elle pourrait aiguiser chaque fois que cela serait nécessaire, et qui sûrement durerait toute sa vie. Et elle n’en avait besoin que d’une, puisqu’elle ne pouvait pas utiliser plusieurs aiguilles à la fois.

Thorstein, pensif, reprit la boîte, et la reposa sur la table.

« Un peuple étrange, murmura-t-il, un peuple admirable à tout point de vue. » Il regarda Leiv.

« Hum. Je suppose que tu restes ici à Stockanæs, Leiv ? » Il reprit son épée et la rattacha à sa taille.

Leiv regarda cette épée, et il eut le sentiment de contempler un passé cruel et dénué de sens. Puis, il regarda Narua et Apuluk, et se sentit envahi par une grosse bouffée de bonheur.

« Non, dit-il. Mais je reste au Groenland. »