La tempête

 

... où Leiv fait preuve d’un certain manque d’expérience, mais se sort malgré tout d’un mauvais pas grâce à Narua…

 

Après des jours et des jours de voyage – ils ne savaient pas combien, parce qu’aucun d’entre eux ne tenait le compte du temps qui passait – ils furent surpris par une tempête. Elle se leva brusquement, comme les tempêtes de printemps ont la fâcheuse habitude de le faire, avec pour seul présage quelques minutes de bourrasques.

Apuluk fit signe à Leiv qui menait son attelage un peu en retrait du sien, et lui cria qu’il fallait immédiatement dételer les chiens et se mettre à l’abri.

Mais Leiv n’entendit rien. Avant même qu’il soit parvenu à hauteur de son compagnon, un vent brutal l’avait rattrapé. Narua qui, comme son frère, avait compris ce qu’annonçaient les violentes bourrasques, arrêta illico les chiens. Elle courut vers l’avant détacher les traits de manière à ce que les chiens puissent eux-mêmes se mettre à l’abri des bourrasques. Alors qu’elle était encore là, sur le point de libérer les harnais, elle fut bousculée par un coup de vent si violent qu’elle tomba à la renverse.

Leiv se jeta sur elle pour la maintenir plaquée contre la glace.

« Qu’est-ce qu’il faut faire ? » hurla-t-il, désemparé. Il regarda autour de lui à la recherche d’Apuluk, mais il n’avait que de la neige dans les yeux.

« Tourne le dos au vent, cria Narua, ce n’est que le début, ça va être bien pire ! »

Elle prit Leiv par la main et ils tournèrent tous les deux le dos au vent.

« Il faut qu’on essaye de renverser le traîneau ! » cria-t-elle à son oreille, mais il ne l’entendit pas. « Renverser le traîneau ! Renverser le traîneau ! » hurlait-elle aussi fort qu’elle le pouvait. Elle s’obstina jusqu’au moment où Leiv lui fit signe qu’il avait compris.

Il se mit à genoux, rampa jusqu’à l’arrière du traîneau dont il agrippa le montant. À ce moment-là, une violente rafale souleva à moitié le traîneau. Leiv en profita pour pousser de toutes ses forces, et réussit à retourner le traîneau avec son lourd chargement qui glissa sur quelques mètres avant de s’immobiliser, le montant profondément enfoncé dans la neige.

« Narua, Narua ! » cria Leiv.

« Je suis là, juste derrière toi, répondit-elle. Il faut qu’on essaye d’entasser de la neige côté vent. »

Ils pelletèrent à mains nues la neige contre le traîneau jusqu’à en couvrir totalement le triangle entre le montant et l’extrémité du patin côté vent. Puis, ils s’enfoncèrent dans le petit abri ainsi créé sous le traîneau.

Narua se tourna vers Leiv.

« Les chiens n’ont pas eu le temps de se libérer des traits. Il faut qu’on essaye de les détacher, sinon ils risquent de s’étrangler. »

Leiv se tâta pour vérifier qu’il avait bien son couteau sur lui, puis il ressortit dans les hurlements de la tempête. Le vent se jeta sur lui de toute sa force. Leiv se colla contre la glace pour éviter d’être emporté. Entre les violentes bourrasques, il rampa jusqu’à l’endroit où ils avaient laissé les chiens. Ils étaient encore couchés entre les traits qui étaient à moitié emmêlés, comme toujours quand on fait du traîneau. Les chiens étaient rassemblés en un gros tas, la tête enfouie sous leur queue touffue, et ils couinèrent de plaisir quand ils le flairèrent. Leiv se fraya un chemin jusqu’au milieu du tas, et commença à détacher les traits qui étaient encore liés aux harnais avec de courtes clavettes d’os rentrées dans de petits anneaux en os eux aussi. Quand il eut fini, il tira les traits vers lui et les enroula autour de sa taille pour que le vent ne les emporte pas.

Puis il chercha à revenir vers le traîneau et Narua. Mais tout n’était qu’un grand tourbillon de neige, et les traces de ses pas étaient déjà totalement recouvertes. Il avait bien un vague sentiment de la direction qu’il lui fallait prendre, mais il n’était plus sûr de rien.

Pour ne pas trop s’éloigner, il s’arrêta de temps à autre pour écouter. Et soudain il entendit la voix de Narua à travers les hurlements du vent. Elle ne venait pas du tout de là où il la croyait, et vers où il se dirigeait en rampant.

Rapidement, il se releva et se jeta en avant vers la voix. Mais elle disparut à nouveau dans le fracas de la tempête et dans le sifflement rageur des bourrasques. Il fut renversé et roula dans la neige, poussé par le vent. Sa bouche se remplit de neige ; il eut l’impression de s’étouffer. Puis, il heurta quelque chose de dur qu’il agrippa avec les mains et sentit l’extrémité d’un patin.

« Leiv, Leiv ! » hurla à nouveau Narua.

« Ici ! » cria-t-il désespéré. « Ici, près du traîneau ! »

Narua se pencha en dehors de l’ouverture qu’elle avait maintenu dégagée, et elle tâtonna le long du patin jusqu’au moment où elle toucha un des kamiks de Leiv.

« Tu peux lâcher, cria-t-elle. Je te tiens ! »

Leiv lâcha le patin et se tourna de manière à pouvoir attraper la main de Narua. Lentement, il réussit à se glisser sous le traîneau.

Longtemps, il resta à haleter péniblement pour retrouver son souffle. Il sentit à peine que Narua lui retirait la fourrure extérieure.

« Il ne faut pas que tu te mouilles, dit-elle, parce que nous n’avons pas de feu pour sécher nos habits. »

Leiv se releva autant qu’il le put sous l’exigu plafond du traîneau. Il retira son pantalon en peau de phoque et le passa à Narua qui le brossa soigneusement de la main pour enlever jusqu’au dernier flocon de neige.

« Mets-toi sous les peaux, dit-elle, sinon tu vas prendre froid. »

Pendant que Leiv se débattait avec les traits, Narua avait découpé les peaux du chargement et les avait étalées sous le traîneau. Leiv se glissa entre les peaux, et quand Narua eut enlevé toute la neige de leurs habits à tous les deux, elle se glissa à côté de lui.

« Tu devrais enlever tous tes vêtements, comme moi, dit-elle, et les mettre sous les peaux. Cela chassera l’humidité et tes vêtements ne seront pas raides. »

Leiv fit comme elle avait dit, et bientôt ils furent couchés tous les deux entre les épaisses peaux, se réchauffant l’un l’autre.

« C’est bizarre, j’ai la tête lourde », dit-il.

Narua hocha la tête. « C’est normal. Beaucoup de gens réagissent comme ça pendant les tempêtes. C’est comme quand un capuchon d’anorak est trop serré. »

Leiv enfonça son long couteau dans les planches du fond du traîneau.

« Que peut-il être arrivé à Sølvi et Apuluk ? » demanda-t-il.

Narua rit. « Ils s’en sortent sûrement mieux que nous, vu que c’est eux qui ont le sac de provisions. »

 

Narua avait raison. Dès qu’Apuluk avait senti les premiers coups de vent, il avait dirigé son traîneau vers la terre ferme. Il s’était arrêté derrière un grand tas de neige, avait rapidement libéré les chiens des harnais et crié à Sølvi :

« Essaye de renverser le traîneau de manière à ce que le vent ne l’emporte pas. »

Sølvi fit comme il avait dit, sans poser de questions. Elle réussit à retourner le traîneau sur le côté, et aidée par les bourrasques, elle parvint même, après bien des tentatives, à le retourner complètement. Elle se blottit en dessous et attendit Apuluk.

Une fois le traîneau entièrement recouvert de neige, elle commença à avoir peur qu’Apuluk n’ait été emporté par le vent. Mais soudain elle entendit sa voix et vit un trou apparaître dans le mur de neige.

« Essaye de passer par le trou ! cria-t-il. Attrape ma main et ne la lâche pas ! »

Sølvi réussit à passer par le trou et à sortir au dehors. Le temps était effroyable. Le ciel se mêlait à la terre, tout n’était plus qu’un enfer blanc, hurlant et beuglant, piquant comme mille aiguilles son visage. Elle agrippa la main d’Apuluk et se laissa tirer sur la glace. Et soudain, elle fut à l’abri. Apuluk la lâcha, et elle enleva la neige de devant ses yeux. Elle se trouvait dans une petite grotte qu’Apuluk avait creusée dans une congère. Le plafond était tout juste assez haut pour qu’elle puisse s’asseoir, et l’abri était suffisamment large et long pour qu’ils puissent s’allonger complètement.

Elle se tourna joyeusement vers Apuluk, mais il avait déjà redisparu dans la tempête.

Cette fois-ci, il revint très vite. Il lui passa les peaux pour dormir et le sac de provisions. Lui-même suivit. Après s’être nettoyé de toute la neige, il obtura le trou d’entrée, en laissant simplement un tout petit triangle en haut : il appela cela « le nez ».

Sølvi étala la nouvelle peau d’ours pour dessous, et posa dessus les peaux de rennes qui étaient cousues ensemble.

« Où peuvent bien être Narua et Leiv ? » demanda-t-elle, inquiète.

« Ils se débrouillent, répondit Apuluk. Narua sait ce qu’il faut faire. »

Il poussa le sac de provisions contre le bas du mur.

« Tu penses que cette tempête va durer combien de temps ? » demanda Sølvi.

Apuluk secoua la tête. « Difficile à dire, répondit-il, deux jours, trois peut-être. »

« Trois jours ? » Sølvi regarda autour d’elle dans la petite grotte. « Nous allons rester ici pendant trois jours ? »

Apuluk rit. « Oui, sauf si tu préfères sortir. Ici, nous sommes en sécurité, nous pouvons dormir et rester au chaud, et nous avons même à manger. »

Il fouilla un peu dans son sac et en sortit sa planchette à feu, le foret, et sa courroie de tendon.

Sølvi observa, ébahie, la manière dont il transforma une braise dans la planchette, en très peu de temps, avec sa vrille à feu, en petites flammèches dans la mousse sèche. Bientôt, sa lampe brûla avec de nombreuses flammes jaunes qui donnaient à la fois lumière et chaleur.

« Tu as faim ? » demanda Apuluk.

Sølvi secoua la tête. « Pas trop. Il vaut mieux économiser nos provisions. Mais je suis fatiguée, et je me sens la tête étrangement lourde. »

« C’est la tempête, dit Apuluk. Dormons. » Il enleva tous ses habits et se glissa nu entre les peaux.

 

Sølvi resta quelques instants à regarder la lampe, hésitante. Bien sûr, elle avait déjà vu des gens nus, et elle avait déjà été nue avec d’autres. Dans l’étuve à Stockanæs, filles et garçons se retrouvaient ensemble, et dans la maison commune de l’habitat d’hiver, les Inuit étaient également nus parce qu’il faisait souvent très chaud à l’intérieur. De même, ils avaient dormi sans leurs habits au cours du voyage parce que les peaux se révélaient plus chaudes si on couchait nu. Mais à ce moment-là, ils étaient ensemble, tous les quatre. Maintenant, il n’y avait qu’Apuluk et elle.

Elle voyait bien que Leiv et elle ne vivaient pas leur nudité avec le même naturel que Narua et Apuluk. C’était comme s’ils en avaient un peu honte.

Apuluk leva la tête et lui sourit.

« Tu n’es pas fatiguée ? » demanda-t-il.

Sølvi hocha la tête. Puis, elle se défit résolument de tous ses habits et se coucha à côté d’Apuluk. Elle resta étendue sur le dos, sans faire le moindre mouvement, et elle sentit la chaleur se répandre depuis les poils creux des peaux de rennes.

Quand Apuluk se leva pour moucher quelques-unes des mèches afin d’économiser le suif, elle vit combien son corps était beau. Et sans se rendre compte de ce qu’elle faisait, elle avança la main et la laissa glisser sur la peau dorée du dos d’Apuluk.

Apuluk se retourna et la regarda, un peu surpris. Il lui prit la main et se glissa à nouveau sous les peaux.

 

Cette nuit-là, Sølvi pensa à Helga. Et elle pensa à toutes les autres filles qu’elle avait connues, à Stockanæs. Elles racontaient toujours plein d’histoires au sujet de ce que les garçons leur faisaient dans les prés ou dans les étables. Elles avaient aussi parlé de façon péjorative d’Apuluk alors qu’il était alité dans la halle, chez Thorstein, avec une jambe cassée, pouffant et disant qu’il n’était sûrement pas fait comme les autres garçons, vu que c’était un skrælling. Helga avait souvent mis le holà à leurs bavardages en les réprimandant sévèrement. Dieu avait créé tous les hommes à Son image, disait-elle, et pour Dieu tous étaient égaux.

 

Sølvi serrait la main d’Apuluk et se sentait en sécurité. Aucun garçon norrois, excepté Leiv, n’avait été aussi bon envers elle qu’Apuluk. Avec lui tout était merveilleux et amusant. Elle s’étira et se tourna vers lui. Il murmura quelque chose d’incompréhensible dans son sommeil et posa un bras lourd par-dessus sa poitrine.

Sølvi mit beaucoup de temps à s’endormir.

 

Toute la journée du lendemain, ils restèrent sous les peaux à bavarder.

Sølvi raconta sa vie à Apuluk. Elle était née dans des îles qu’on appelait les Féroé. Ces îles se trouvaient au sud de l’Islande qui se trouvait elle-même, comme il le savait, au sud du Groenland.

Elle ne se rappelait plus grand-chose de là-bas, parce que sa mère et elle avaient été capturées par des pirates anglais lorsqu’elle n’avait que quatre ans. Son souvenir le plus net était celui du capitaine des pirates qui était gros comme un ours et avait une barbe grasse qui pendait en longues tresses fines.

Sa mère et elle avait été emmenées en Norvège, où elles avaient été vendues comme esclaves à un riche négociant qui, immédiatement, les avait revendues à un fermier islandais. Pendant sept ans, elles avaient été esclaves chez ce fermier. Puis sa mère mourut, et elle-même fut vendue à Thorstein de Stockanæs où elle devait s’occuper de la petite Frida qui venait de naître. Comme elle était esclave, elle avait été obligée de suivre Thorstein au Groenland, quand celui-ci avait été banni pour avoir tué le père de Leiv.

Apuluk écouta toute son histoire en silence. Quand elle eut fini, il s’exclama, indigné :

« Mais on ne peut pas vendre des gens ! »

Sølvi hocha la tête. « Si, en Islande et dans beaucoup d’autres pays, ça se fait. Chaque année beaucoup de gens se retrouvent en esclavage. »

Apuluk fixa le plafond de neige. Puis, il dit : « Ta mère venait elle aussi des îles Féroé ? »

« Non, elle était née en Angleterre. Mon père était des îles Féroé, et quand il a épousé ma mère, elle l’a suivi jusqu’à ces toutes petites îles loin dans la mer. Mon père a été assassiné quand les pirates ont attaqué sa ferme et nous ont capturées, ma mère et moi. »

Apuluk se tourna et la dévisagea d’un air scrutateur.

« Je n’arrive pas à comprendre, dit-il, mais sans doute suis-je un peu bête. Comment quelqu’un peut-il posséder quelqu’un d’autre ? »

« C’est comme ça, répondit Sølvi. Et je suis toujours l’esclave de Thorstein. Je suis sa propriété, et il peut me vendre et me traiter comme ça lui chante. »

Apuluk fixa le couteau qu’il avait enfoncé dans le mur de neige.

« Si je tuais Thorstein et que je te volais, est-ce qu’à ce moment-là tu m’appartiendrais ? »

Sølvi hocha la tête. « Oui. Mais Thorstein et Helga ont toujours été gentils avec moi. Ce n’était pas trop dur d’être esclave à Stockanæs. »

« Mais tu lui appartiens » – Apuluk montra du doigt la lampe à graisse – « un peu comme cette lampe m’appartient. »

« Oui, c’est ça. Lui seul peut me rendre ma liberté. » Sølvi lui jeta un coup d’œil. « Tu aimerais me posséder, Apuluk ? »

Apuluk réfléchit longuement. « Oui, répondit-il enfin, mais pas en tant qu’esclave. Chez nous, il n’y a pas d’esclaves. Nous sommes tous libres et chacun décide pour soi. »

Sølvi trouva sa main sous la peau. Elle dit doucement :

« J’aimerais bien être à toi, même si c’était en tant qu’esclave. »

« Si Thorstein mourait, est-ce que tu serais libre ? »

« Non, Frida m’aurait en héritage. Je lui appartiendrais à elle. »

« Mon vœu à moi, c’est que tu sois libre », dit Apuluk. Il serra sa main un instant, puis se leva pour élargir le petit trou de respiration dans le mur.

 

La tempête s’apaisa aussi brusquement qu’elle s’était levée.

Au cours de la deuxième nuit qu’ils passèrent enfouis sous la neige, Sølvi fut réveillée par le froid. Elle se tourna vers Apuluk et se rendit compte qu’il avait disparu. Puis, elle vit qu’un trou avait été creusé vers l’extérieur et qu’une lumière aveuglante pénétrait par le trou.

Elle bondit hors des peaux et se fraya un chemin à travers le trou. Et là-bas, à seulement une cinquantaine de mètres de leur congère de neige, Leiv, Narua et Apuluk étaient en train de dégager le traîneau de Leiv qui était renversé et enfoui sous la neige.

Sølvi bondit vers eux en criant de joie.

Tous les trois se retournèrent et la regardèrent, ébahis. Puis, ils éclatèrent tous de rire.

« Le vent a emporté tes habits, Sølvi ? » plaisanta Leiv.

Sølvi s’arrêta et se regarda. Elle était entièrement nue, comme elle l’avait été sous les peaux, mais la joie la remplissait de chaleur et elle ne sentait pas le froid ambiant. Elle se mit à rire avec eux, et à la surprise de Leiv, elle se mit à danser sur la neige durcie. Sølvi n’avait jamais été si heureuse. Elle se sentait complètement libre, elle n’appartenait qu’à elle-même, et elle aimait Narua et Leiv et le monde entier. Et surtout Apuluk.

 

« Quelle mouche l’a piquée ? murmura Leiv déconcerté. Est-ce que la tempête l’a rendue folle ? »

« Quand un Être Humain ressent une très grande joie, dit Narua, il ne peut pas faire autrement que de chanter et danser. C’est une habitude chez les Êtres Humains. Dans ces moments-là, les jambes ne peuvent plus se tenir tranquilles et la joie jaillit de la bouche avec des mots un peu bêtes. »

Apuluk contempla Sølvi avec un grand sourire.

« Sølvi est un Être Humain comme Narua et moi, dit-il à Leiv. Toi, tu es encore un vrai Norrois si tu peux t’étonner à la vue de quelqu’un qui a reçu le cadeau de la joie. »

Sølvi tomba dans la neige, étourdie par sa danse. Elle riait toujours à pleine gorge. Puis, elle sauta sur ses pieds et courut vers l’abri pour récupérer ses vêtements. Elle s’habilla, renroula les peaux et rangea le sac de provisions.

Quand elle ressortit, Apuluk était en train d’atteler les chiens. Elle attacha le sac au montant et étala les peaux sur le chargement.

 

Les deux traîneaux se remirent en route au moment où le soleil pointait comme un immense arc de cercle rouge tendu au-dessus du dos bleuâtre de l’inlandsis.

Assise sur le traîneau, Sølvi contempla, émerveillée, la lumière grandissante qui lentement se répandait comme un éventail sur les flancs de montagnes couverts de neige. Elle avait le visage tourné vers l’est, le côté de son corps exposé au vent.

Apuluk, lui, était concentré sur les chiens qui cherchaient le meilleur passage à travers les amas de glaces.

Sølvi posa sa main sur son dos, et il tourna la tête pour la regarder. Elle se mit à rire, et son rire était à ce point contagieux qu’Apuluk ne put s’empêcher de rire avec elle.

Sur le traîneau derrière eux, Leiv pinça les lèvres, un peu inquiet.

« Je crois qu’ils sont devenus fous, ces deux-là », murmura-t-il.

Narua ne lui répondit pas. Elle enfonça sa tête dans le capuchon de son anorak, et au fond d’elle-même, elle rit avec les deux autres.