Toujours plus au nord

 

... où l’on reprend le voyage, fort des renseignements précieux de Kitorak…

 

Au grand dam de leurs hôtes si avenants de l’habitat de Kitorak, Apuluk et Leiv décidèrent de repartir dès le lendemain de la grande fête.

Le soleil était maintenant haut sur le ciel et il faisait si chaud dans la journée que de petites flaques de fonte se formaient sur la glace où ils allaient passer. Il n’y avait donc pas de temps à perdre s’ils voulaient atteindre cet été-là le détroit menant au Helluland.

Kitorak, qui connaissait bien les lieux, leur avait méticuleusement décrit le chemin à prendre pour le détroit. Il leur avait donné des informations précises sur les passages coupés par les courants, et sur les grottes dans lesquelles ils pourraient trouver refuge pour la nuit.

Tôt le matin, ils partirent sur la banquise pour reprendre le voyage interrompu.

Au nord de la presqu’île de Nugssuaq, ils trouvèrent à nouveau de la neige profonde. Difficile de la traverser, les chiens s’y enfonçant constamment et les traîneaux se bloquant sans arrêt.

Au début, ils allaient de l’avant à tour de rôle pour faire la trace. Les chiens s’épuisaient rapidement et la distance parcourue quotidiennement se faisait de plus en plus courte, jour après jour.

Apuluk savait que là où il y avait beaucoup de neige, c’était dangereux. Il savait que l’épaisse couche de neige empêchait la glace d’entrer en contact avec l’air froid de la nuit, et que la glace s’usait par en dessous du fait des courants. Elle était de plus en plus fine et pouvait facilement se rompre.

C’est pourquoi il voulait être seul à marcher en avant, enfonçant son long piquet dans la glace. Mais les autres ne voulurent pas en entendre parler. Ce travail délicat devait être partagé à égalité entre eux, disaient-ils. C’est seulement quand Sølvi passa à travers la glace à la hauteur de quelques îlots rocheux qu’Apuluk obtint ce qu’il voulait. Il avait une plus grande expérience, il fallait que les autres se plient à cela.

D’ailleurs, les autres avaient suffisamment de choses à faire, parce qu’il fallait maintenir les chiens constamment en mouvement. D’une part pour que le traîneau ne se coince pas, d’autre part pour éviter que les chiens ne se blessent les pattes. Dès que les traîneaux s’arrêtaient, les chiens se mettaient à se lécher les coussinets pour en ôter la neige. Et sans rien ressentir, ils s’arrachaient les poils. Les pattes se mettaient à saigner et devenaient très vite douloureuses.

Aux pattes des chiens blessés, ils nouèrent les petits kamiks que les filles avaient confectionnés avant le départ. Mais les kamiks eux aussi posaient des problèmes. Il fallait les vérifier chaque fois qu’on faisait halte, parce que s’ils étaient trop serrés, les pattes pouvaient facilement gangrener. Après s’être débattus pendant une semaine dans une neige lourde et molle, ils arrivèrent enfin dans une zone que la neige avait pratiquement désertée. Ici la glace était brillante et lisse à perte de vue.

Ils se rapprochèrent de la terre ferme à la recherche d’une grotte que Kitorak leur avait décrite et conseillée pour une nuit.

La grotte était située tout près de la glace, mais difficile à trouver pour celui qui n’en aurait pas entendu parler, parce qu’elle était protégée par un nœud de montagnes au nord et par des récifs longs et dentelés qui s’étendaient comme un bras replié autour de l’ouverture de la grotte.

Au creux de ce bras replié, ils installèrent les chiens, et quand ils eurent déchargé les traîneaux, Apuluk et Leiv partirent à la chasse pour trouver de la nourriture pour les chiens, pendant que les filles rendaient la grotte habitable pour leur retour.