Chapitre deux

Nous convenons que la première chose à faire est de trouver un batteur. Nous commençons nos recherches samedi après-midi. Nous ne sommes pas ce qu’on appelle des lève-tôt.

— Crado ferait l’affaire, me dit Dany au téléphone.

— Je ne savais pas que Crado était batteur, dis-je.

— Son frère a une batterie. Il était dans un groupe, tu te souviens? Quand nous étions en sixième année.

Je me souviens. Ils n’étaient pas mal du tout, même si, à l’époque, je disais le contraire.

— Son frère a une batterie, mais ça ne veut pas dire que Crado sait en jouer, dis-je.

— J’ai entendu Crado tambouriner avec son crayon dans la salle d’étude, dit Dany. Il est très doué.

Nous nous rencontrons à l’arrêt d’autobus. Crado habite trop loin de chez nous pour y aller à pied. Lorsque le bus arrive, Dany insiste pour se faufiler par les portes arrière. Peu de passagers descendent le samedi.

Le chauffeur nous interpelle immédiatement.

— Toi, le capuchon vert!

Dany regarde autour de lui comme s’il ne portait pas de capuchon vert. Il sourit de toutes ses dents.

— Ton copain aussi, appelle le chauffeur. Ce n’est pas un service gratuit. Venez devant. Vous payez ou vous descendez.

Tout le monde nous dévisage et ça me met mal à l’aise. Le sourire de Dany est plus épanoui que jamais. Nous avançons en traînant les pieds et en fouillant dans nos poches.

Nous descendons au septième arrêt. Lorsque nous sonnons chez Crado, c’est sa mère qui répond. Dany lui dit tout ce qui lui passe par la tête, comme il le fait avec tous les adultes.

— William! crie-t-elle en direction du sous-sol, des amis!

Le vrai nom de Crado est William.

Crado n’est pas exactement un ami, mais il était dans notre classe en troisième année. Puis sa famille a déménagé. Nous nous sommes revus cette année lorsque nous avons commencé le deuxième cycle du secondaire. Son surnom est ironique, parce qu’en réalité, il est maniaque de la propreté. Il a les cheveux coupés en brosse. Sa chemise est toujours rentrée dans ses jeans bien pressés. Même son casier est organisé. Il est bizarre.

Lorsque nous arrivons en bas, Crado est en train de cirer des bottes de combat. Je me demande s’il n’est pas un punk refoulé. Et comme prévu, une batterie est installée dans un coin.

Dany lui explique l’affaire. Crado écoute, puis incline la tête.

— D’accord, dit-il.

Crado n’est pas bavard. Il aurait pu jouer dans les films muets. Dany, lui, est bavard. C’est un vrai moulin à paroles. Moi, je peux être bavard avec mes amis, mais pas avec les adultes.

— Cool, dit Dany.

Nous nous tapons dans les mains. Je remarque que Crado porte des gants de latex pour protéger ses doigts du cirage.

— Je vais apporter ma Tely, dit Dany, et Toubon a une basse et un ampli et…

— Impossible, dit Crado.

— Quoi? demandons-nous.

— Impossible, dit Crado tout en continuant de cirer ses bottes. Ma mère ne nous laissera pas. Trop bruyant. Elle dit que le groupe de mon frère la faisait grincer des dents.

— Mais la batterie est ici, dis-je.

— Faut la déménager, dit Crado. Mon frère ne dira rien. Il est au collège jusqu’à Noël. Il y a aussi un microphone.

— Il n’y a pas de place chez moi, dit Dany.

Il a raison. Il ne reste plus que chez moi. Les deux autres me regardent. Je soupire.

— Il faut que je demande à ma mère.

— Alors appelle-la, dit Dany.

— Je ne peux pas l’appeler à moins d’un désastre. Elle fait visiter une maison.

Ma mère est agente immobilière. Et le marché est lent en ce moment.

— Nous n’avons qu’à tout apporter, dit Dan. Comment peut-elle refuser?

— Elle peut refuser de plusieurs façons. Laissez-moi plutôt lui en parler lorsqu’elle rentrera à la maison.

Dany prend quand même le hi-hat.

La pédale tombe sur son pied.

— Aïe! Merde et re…

Il s’interrompt. La mère de Crado est en haut.

— Allons-y, dis-je.

Dany sautille et boitille en sortant.

— Appelez-moi, dit Crado.

— Tu ne viens pas? demande Dany.

Crado ramasse une botte non cirée et l’indique d’un signe de tête.

— À plus tard.

— À plus.