La journée de Kim Sleizner n’aurait pas pu mieux commencer. À 6 heures moins le quart, de joyeuses notes d’orgue s’échappant de son téléphone l’avaient tiré du lit. Autrefois, il se réveillait d’une humeur de chien au son des « Cloches » préenregistrées sur l’appareil. Mais six mois plus tôt, il avait eu l’idée de changer la mélodie par défaut pour le prometteur « Chant marin », et depuis, il émergeait avec le sourire.
Ce jeudi, un soleil radieux brillait sur Copenhague et il avait fait son jogging habituel de près de dix kilomètres le long d’Islands Brygge. Le tout en cinquante-cinq minutes, ce qui était remarquable pour un vieux bougre de son espèce.
Jamais il n’avait été aussi en forme. S’il ne courait pas dans le quartier, il passait la matinée à la salle de gym de la copropriété. Il ne s’accordait de repos que le week-end, malgré au moins une séance de yoga. En réalité, il se sentait beaucoup plus jeune que quelques années plus tôt et il était certain que Viveca regrettait amèrement de l’avoir quitté. Surtout quand on voyait la brioche de son nouveau partenaire.
Il avait gardé un œil sur son ex-femme et savait précisément à quoi ressemblait son quotidien. Il connaissait son salaire, son bistro fétiche pour le déjeuner et même la boutique où elle achetait ses sous-vêtements. Le genre d’informations que, dans sa position, il obtenait en quelques clics. Ce n’étaient pas tant les renseignements qui l’intéressaient que le fait d’y avoir accès.
En ce qui concernait Dunja Hougaard, c’était différent. Jusqu’à six mois plus tôt, il l’avait constamment surveillée, cherchant à savoir qui elle fréquentait, à quels jobs elle postulait et où elle se rendait pour dénicher son pathétique plan cul du mardi soir. Il notait le moindre de ses pas, comme si elle était sa souris de laboratoire.
D’une certaine manière, il la considérait comme telle. Son petit animal domestique qui remuait dans sa cage sans se douter de l’emprise qu’il avait sur elle. Il décidait de tout : quand elle méritait de manger et de s’hydrater, quand elle aurait droit à une nouvelle roue et quand il était l’heure d’éteindre la lumière et de se coucher.
La haine qu’il éprouvait pour cette femme était sans limites, même s’il commençait peu à peu à s’en détacher. Il partait de très haut, mais le plaisir face à sa chute n’était plus si enivrant. Comme un enfant qui aurait juré de promener, nourrir et soigner sa boule de poils, il avait fini par se lasser. Le poste de gardien de la paix qu’elle avait décroché à Helsingør avait été un véritable calmant : ce dernier mois, elle n’avait pas occupé son esprit une seule fois.
Mais dans la matinée, son intérêt avait été piqué au vif lorsqu’il avait appris qu’elle s’était débrouillée pour se faire voler son arme de service par une toxico. Ce n’était sans doute qu’une bavure, même s’il ignorait tout des circonstances et des conséquences. Peu importe : il veillerait à ce que cette erreur lui soit fatale. À partir de maintenant, il ne la quitterait plus des yeux et, cette fois, il ne la laisserait pas s’en sortir aussi facilement. Il l’écraserait jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus jamais se relever.
Alors seulement, il serait satisfait. Il éteindrait la lumière, l’heure serait venue de se coucher.