Toute sa monnaie et son sachet de bonbons. Voilà ce qu’avait coûté à Dunja l’information que détenait l’homme aux cheveux décolorés : la suspecte se réfugiait souvent dans une cour abandonnée, à l’arrière du magasin de vélos, un peu plus haut dans la rue du centre d’hébergement. Par chance, Dunja n’avait que quatre-vingt-six couronnes sur elle. Elle était plus embêtée d’avoir dû se séparer de son dernier sachet de réglisse salée, à laquelle elle était accro depuis son premier séjour en Suède. La seule manière de s’en procurer était de traverser l’Øresund.
Par un drôle de hasard, il se trouvait que la cour en question faisait face à la pizzeria où Magnus était encore en train de se goinfrer. S’il s’était seulement donné la peine de lever les yeux de son déjeuner grotesque, il aurait vu Dunja se glisser dans l’étroit passage sombre séparant le bâtiment d’un garage, surmonté d’un panneau « Stationnement interdit » dessiné à la main, auquel les automobilistes ne prêtaient manifestement pas attention.
Il n’était pas exclu que la suspecte, qui avait remonté la rue piétonne vers le nord, soit venue de cette cour située au sud du centre-ville. Dunja n’était qu’à mi-chemin, mais elle respirait déjà une odeur infecte de chien mouillé et de toilettes publiques. Elle s’arrêta un instant pour sortir son pistolet, ôta la sécurité et le braqua droit devant elle des deux mains, avant de continuer.
L’endroit était lugubre. Çà et là, il y avait des caddies dont certains renversés par terre, débordant de vêtements, de restes de nourriture et de tout un bric-à-brac. Sous l’abri en plastique ondulé, destiné à protéger les vélos de la pluie, gisait une pile de vieux matelas crasseux, de sacs de couchage, de couettes et de couvertures. Un fatras de tissus empestant l’urine.
En revanche, pas une âme à l’horizon. On aurait dit que les gens qui vivaient là avaient abandonné leurs affaires. Y compris les sacs-poubelle remplis de bouteilles consignées qu’ils avaient dû mettre des semaines à récolter. Peut-être n’avaient-ils eu d’autre choix que de fuir. Mais quoi ?
Tout à coup, Dunja remarqua un godillot.
Elle avait d’abord cru à un objet oublié parmi les autres, mais en regardant de plus près, elle vit qu’il chaussait un pied dépassant du tas d’étoffes. Voilà donc de quoi parlait la femme : un garçon qui n’avait jamais fait de mal à personne, tant de ricanements qu’elle n’avait pas osé s’interposer.
Dunja s’approcha du godillot – une grande pointure, du 45 au moins. Elle commença par soulever prudemment les couvertures, découvrant le pied droit et le bas des jambes qui disparaissaient dans l’amas de chiffons. Elle donna en vain quelques coups sur les semelles, avant de continuer. Son regard remonta le long du pantalon de plus en plus maculé vers la taille. Elle crut d’abord à des taches d’urine, mais ce n’était pas ça.
À quoi s’était-elle attendue ? Il n’y avait rien d’étrange à ce qu’un sans-abri rende son dernier souffle sur un vieux matelas, en particulier en hiver. Mais c’était le printemps, et l’homme n’avait pas simplement trouvé la mort. Il s’était vidé de son sang.
Dunja se doutait depuis un moment qu’elle avait affaire à un meurtre. Il n’y avait pas de quoi suffoquer. Ni se laisser impressionner par les yeux écarquillés de la victime et la tache rouge d’un mètre de large dans son dos.
Mais quand son regard effleura la cage thoracique violemment enfoncée, elle détourna les yeux. Le pauvre homme devait avoir eu toutes les côtes brisées. Bientôt, elle n’eut plus qu’une seule vision : l’image d’un rouleau compresseur allant et venant sur le corps sans défense.