54

SUÈDE

– Je répète : Mattias Ryborn a été tué et le suspect vient de prendre Tuvesson en otage, retentit la voix tranchante de Lilja dans l’oreillette de Fabian.

– Police ! s’exclama-t-il en montrant son insigne aux quelques clients de la banque. Veuillez dégager les lieux au plus vite !

Les trois personnes ne se firent pas prier pour décamper.

– Appel à toutes les unités : les secours viennent d’arriver et attendent l’autorisation d’intervenir, déclara Molander. Où se trouve le suspect ?

– Il a fui par un escalier qui, apparemment, mène à l’entrée ouest du personnel, répondit Lilja.

– OK, les ambulanciers, vous pouvez y aller, dit Molander. Équipes 1 et 2, enfilez vos gilets pare-balles et tenez-vous prêts.

Malgré toutes les précautions du monde, le criminel avait réussi à les surprendre en mettant sa menace à exécution et en abattant le banquier sans hésitation. S’ils restaient là sans rien faire, l’homme ne tarderait pas à disparaître. Et cette fois pour de bon.

– On vient de passer la porte, reprit Lilja. Le suspect se dirige là-haut, non pas vers la sortie. Je répète : le suspect et Tuvesson montent dans les étages.

Vers le toit, peut-être ? Fabian s’empressa de rejoindre l’entrée principale, où Klippan tenait la porte aux ambulanciers chargés d’un brancard et de sacs contenant leur matériel d’urgence.

– Reste là, dit-il à son collègue et il s’élança vers Stallgatan.

– Tu vas où ? cria Klippan dans son dos.

Ne sachant pas lui-même, il continua à l’angle du bâtiment sans rien répondre, passant devant les trois jardiniers qui avaient enfilé leurs gilets pare-balles et sorti leurs armes automatiques, braquées sur l’entrée latérale.

– On a retrouvé Tuvesson ! annonça la voix de Lilja dans son casque. Il l’a laissée derrière lui !

– En vie ? demanda Klippan.

– Elle est inconsciente et elle saigne… Au front… Merde… Ne bouge pas… Est-ce qu’on peut avoir les secours ? Putain ! J’ai besoin des secours… Là, maintenant, tout de suite !

Pas elle, se dit Fabian. Pas Tuvesson. Il s’arrêta et leva les yeux vers le toit du bâtiment, mais, de si près, il ne voyait que la façade s’étirer de tout son long vers le ciel.

– Elle est en vie ! s’écria Lilja. Tuvesson est en vie ! Elle a juste perdu connaissance.

Fabian poussa un soupir de soulagement et recula de quelques mètres. Il avait beau s’approcher du massif de fleurs circulaire qui ornait le centre de la place Rådhustorget, il n’apercevait que le bord de la toiture.

– Très bien. Et vous voyez le suspect ? demanda Klippan.

– Non, on dirait qu’il s’est échappé sur le toit. Est-ce qu’on a des caméras là-bas ?

– Négatif, répondit Molander.

Le silence qui s’imposa en disait long. Ils avaient tous sous-estimé le criminel et se trouvaient maintenant coincés, incapables de faire autre chose que de le regarder se volatiliser.

Fabian s’efforça de ne pas se laisser paralyser. Au bout d’un instant, il se rappela que, la veille, l’homme s’était posté à l’angle de Norra Strandgatan et de Kolmätaregränden, le regard dirigé vers le nord.

– La porte est verrouillée et le lecteur de carte fracassé, déclara un homme des forces spéciales.

Tel était donc son plan ? Monter sur le toit pour rejoindre l’un des bâtiments voisins et redescendre d’une manière ou d’une autre en passant par une boutique.

Quand trois détonations retentirent dans son casque, Fabian courut à travers la ruelle jusqu’à l’endroit précis où il avait vu le criminel s’arrêter la veille.

– La porte est forcée, on est sur le toit.

Il y avait foule, les gens affluaient de partout. Manifestement, tout le monde avait décidé de quitter son travail en même temps et de faire quelques courses avant de rentrer chez soi.

– Le suspect n’est pas en vue.

– Cherchez, il doit bien être quelque part, lança Molander.

Malgré les dix mètres qui les séparaient, Fabian reconnut immédiatement la femme en jogging qui avait attendu avec lui à la banque. Elle sortait d’un magasin de jouets et de vêtements d’enfants avec sa poussette et un grand sac estampillé du nom de l’enseigne. Mais ce qui l’intéressait, c’était l’homme qui apparut derrière.

Il ne portait ni lunettes de soleil, ni ceinture cloutée, ni veste en velours bordeaux. Ses cheveux longs avaient disparu et son visage était différent, le nez peut-être, qui semblait plus court. Pourtant, c’était lui et personne d’autre. Il avait le regard de celui qui s’efforce de paraître calme, mais qui ne veut qu’une chose : déguerpir au plus vite.

– Risk à toutes les unités, le suspect se trouve rue Kolmätaregränden et se dirige vers Kullagatan. Il a retiré sa perruque et s’est changé. Il porte maintenant une casquette bleue, des baskets marron, un chino beige et un blouson gris.

– Bien reçu, répondit Molander. Équipe 1, remontez vers Hästmöllegränd et barrez le nord de Kullagatan.

– Entendu.

Fabian prit le criminel en filature. Pas trop vite, juste ce qu’il fallait pour le rattraper au bout de la rue, où il l’appréhenderait par-derrière et procéderait à son arrestation.

– Équipe 2, continua Molander. Dirigez-vous vers Strömgränden pour qu’il ne s’échappe pas par là-bas.

– On est en route.

Mais soudain, le criminel se mit à courir, se frayant à toute vitesse un chemin à travers la foule. À croire qu’il avait des yeux dans le dos et qu’il avait compris qu’on le suivait.

– J’ai l’impression qu’il m’a vu, déclara Fabian.

Il n’avait d’autre choix que de se mettre lui aussi à galoper et à zigzaguer entre les gens.

– Il tourne à gauche rue Kullagatan. Je répète : le suspect remonte Kullagatan vers le nord.

– Équipe 1 sur place. Nous sommes prêts à le recevoir.

– Parfait. Équipe 2, continuez vers Norra Storgatan.

– À vos ordres.

L’homme ondulait, valsait presque entre les piétons. Fabian le perdit de vue quand un groupe de touristes japonais sortit d’un magasin, lui barrant la route.

– Je l’ai perdu, dit-il en regardant autour de lui. Équipe 1, vous le voyez ?

– Pas encore.

Fabian se faufila à travers la meute.

– Toujours pas ?

– Négatif.

Les secondes commençaient à se faire longues, les renforts auraient dû le repérer depuis longtemps. Le criminel n’avait pourtant aucune échappatoire. Sauf peut-être… Comment n’y avaient-ils pas pensé plus tôt ?

– Il doit être chez Åhléns, s’écria Fabian tout en se précipitant vers l’entrée du grand magasin.

Une fois à l’intérieur, il tourna sur lui-même pour tenter d’étudier la multitude de visages qui l’entouraient.

– J’y suis, mais je ne le vois pas.

– Une voiture l’attend peut-être sur le parking installé sur le toit, suggéra Molander.

– Je monte.

Fabian se hâta vers l’escalier en colimaçon.

– Équipe 2, reprit-il en commençant à monter. Vous êtes arrivés à Norra Storgatan ?

– Oui, on est juste derrière le magasin.

– Bien. Occupez-vous de l’entrée arrière et de la sortie du parking. Équipe 1, je vous charge des deux entrées avant.

Le périmètre était bouclé. Si le criminel se cachait par là, ils le trouveraient d’une minute à l’autre.

– On arrive d’ici trente secondes, la voix de Lilja retentit, accompagnée du souffle lourd de Klippan.

– Parfait, fit Molander. Fouillez tous les rayons. N’oubliez pas la boutique de sport à l’étage. À sa place, c’est là que je me cacherais et je crois qu’il y a aussi un accès au parking.

– OK, on y va, répondit Lilja. Klippan se charge du rez-de-chaussée.

Fabian atteignait tout juste le toit du bâtiment. À droite, une rampe qui descendait vers la sortie, et en face, des voitures garées le long du parapet. Visiblement, le parking était complet, mais il n’y avait personne. L’endroit était même étonnamment silencieux si près du centre-ville, à deux pas des rues grouillantes de monde.

Il braqua son arme devant lui et commença à contrôler les lieux, jetant un œil entre les voitures, sous la carrosserie, puis à l’intérieur, derrière le volant et sur la banquette arrière. Tout à coup, un moteur se mit à gronder. Fabian se redressa, mais ne pouvant repérer de quelle voiture il s’agissait, il s’élança vers la rampe et se posta en plein milieu. L’une des voitures garées tout au bout sortit de sa place en marche arrière, puis tourna dans sa direction.

Avec le reflet du ciel dans le pare-brise, il ne voyait pas le conducteur, mais il n’y avait aucun doute à avoir : le véhicule lui fonçait droit dessus.

– Ici Fabian. Le suspect est au volant d’une voiture. Une Skoda blanche immatriculée KFL 231 qui s’apprête à sortir du parking.

– Équipe 2, vous êtes prêts ? demanda Molander.

– Affirmatif.

Fabian se tenait en plein milieu, les jambes écartées et son arme pointée droit devant lui. L’écho des cris de ses anciens collègues n’avait pas surgi dans sa tête depuis longtemps. Il avait beau trembler, il tenait fermement son pistolet. S’il n’appuyait pas maintenant sur la détente, la voiture l’écraserait.

Les trois coups étaient les premiers qu’il tirait en dehors d’une piste d’entraînement. Comme si la scène se déroulait au ralenti, il vit les balles percer le pneu avant gauche, avant d’avoir juste le temps de se jeter sur le côté pour éviter la voiture qui filait à vive allure. Mais elle manqua le virage et s’écrasa contre le mur en béton où elle s’immobilisa, le capot fumant.

Fabian se dépêcha de se relever, de rejoindre le véhicule et d’ouvrir la portière avant. L’homme était là, coincé derrière l’airbag, un rictus apeuré aux lèvres.

– Équipe 2, vous pouvez monter. Les autres, arrêtez les recherches. Je le tiens.

– Yes ! s’exclama Lilja.

La jubilation de Molander, de Klippan et des autres ne se fit pas non plus attendre.

– Beau travail tout le monde, complimenta Tuvesson qui, de toute évidence, avait non seulement repris connaissance, mais suivi de près les événements.

Fabian se décala pour laisser l’équipe des forces spéciales faire descendre le criminel de la Skoda. Une fois que ce dernier fut neutralisé, mains dans le dos, il osa enfin respirer.

L’homme ne s’était pas simplement rendu coupable d’usurpation de signature. Il avait abattu le banquier sous les yeux de Tuvesson, ce qui signifiait que la procureure avait tout ce qu’il lui fallait pour le condamner à la perpétuité. Empreintes digitales, traces ADN, pièces à conviction… Plus rien de tout cela n’avait d’importance.

Et pourtant, le criminel affichait un sourire insouciant.