– Je m’appelle Fabian Risk et je travaille à la brigade criminelle de la police de Helsingborg.
– Bonjour Fabian, le salua l’homme assis de l’autre côté de la table, avec un accent du Sud aussi marqué que le sourire accroché à ses lèvres.
Compte tenu du contexte difficile lié au suicide d’Hugo Elvin, Tuvesson avait donné congé à toute l’équipe après l’arrestation du criminel. Mais Fabian avait insisté pour mener dès la nuit même le premier interrogatoire.
Était-ce parce qu’il avait un mauvais pressentiment ou simplement pour éviter de penser à Sonja, il l’ignorait lui-même.
– Pouvez-vous me donner votre nom complet et votre date de naissance ?
– Rolf Tore Stensäter, né le 25 octobre 1973. Tore, ça vient de mon grand-père paternel.
Fabian ne laissa pas transparaître que ces informations correspondaient à ce qu’ils avaient trouvé dans le portefeuille du suspect. Parmi quelques cartes de fidélité et un peu d’argent liquide y était rangé un permis de conduire délivré dix-huit mois plus tôt. Or ce n’était pas un renouvellement : l’homme venait manifestement d’apprendre à conduire.
Pourtant, Fabian n’osait pas croire un mot de ce que cet homme pouvait déclarer. Même s’il avait été interpellé et qu’il n’y avait plus aucun doute sur son identité, l’inspecteur sentait que quelque chose ne collait pas.
Peut-être était-ce ce sourire qui le perturbait. Ce sourire assuré, l’air de dire qu’ils pouvaient bien faire tout ce qu’ils voulaient de lui. Que ça n’avait aucune espèce d’importance puisqu’ils finiraient par perdre la partie. À moins que ce ne soit du bluff.
Surtout qu’il avait refusé l’assistance d’un avocat, ce que Fabian interprétait d’ordinaire comme un aveu d’échec – quand l’inculpé était coupable, il ne cherchait souvent même pas à se défendre. Cette fois, cependant, Fabian en était d’autant plus inquiet. Compte tenu de la rigueur dont le criminel avait fait preuve jusque-là, il pouvait à tout moment sortir un joker que personne n’avait anticipé.
– Rolf, reprit-il en regardant l’homme dans les yeux. Avez-vous tué Peter Brise ?
– Peter Brise… Ce n’est pas ce type dont on a parlé dans les journaux ? Celui qui a coulé dans le port avec sa bagnole ?
– Vous déclarez donc que vous n’étiez pas au volant de ce véhicule avec Peter Brise, le 9 mai dernier ?
L’homme émit un rire.
– J’espère bien ! Ce jour-là, j’étais chez moi à Magnalund, occupé à aiguiser la tondeuse à gazon d’un certain Håkan Jönsson. Pourquoi diable est-ce que…
– Parlons un peu de Chris Dawn, l’interrompit Fabian, s’efforçant de montrer qu’il n’était pas dupe.
– Qui ça ?
– Hans Christian Svensson. L’homme pour lequel vous vous êtes fait passer hier à la banque. Vous avez oublié ?
L’inculpé prit un air perdu.
– Je ne vous suis plus, là. J’ignore de quoi vous parlez.
– Hier, peu avant 17 heures, vous êtes entré dans l’agence de Handelsbanken située place Stortorget pour rencontrer Mattias Ryborn.
Fabian lui tendit une capture d’écran des caméras de surveillance qui montrait l’individu en train d’attendre à l’accueil, affublé d’une perruque et de lunettes de soleil.
– Voilà qui pourrait vous rafraîchir la mémoire.
L’homme regarda l’image et secoua la tête.
– Je suis désolé, mais ce n’est pas moi.
– Vous niez avoir pénétré dans cette banque hier et abattu Mattias Ryborn sous les yeux de ma chef, entre autres témoins ?
– Évidemment. C’est affreux ! Qui ferait une chose pareille ?
– Je vois.
Fabian soupira profondément bien qu’au fond, il soit impressionné par les talents de comédien de son interlocuteur.
– Si vous êtes aussi innocent que vous le prétendez, comment se fait-il que vous ayez essayé de prendre la fuite quand je vous ai rattrapé ?
– Je n’ai pas essayé de m’enfuir.
– Vous vous êtes mis à courir.
– Mon ticket de parking venait d’expirer et les flics font souvent du zèle vers chez Åhléns. Un jour, je suis arrivé trois minutes en retard et je me suis retrouvé avec une amende qui m’a coûté neuf tondeuses à aiguiser. Net d’impôts, mais tout de même…
– C’est aussi pour ça que vous avez essayé de m’écraser ?
L’homme lâcha un rire.
– Non, là, je vous demande pardon. J’ai paniqué. Je n’ai pas mon permis depuis très longtemps et j’ai perdu les pédales en vous voyant sortir votre arme. Excusez-moi, c’était idiot, j’accepterai sans broncher ma peine à ce propos.
L’homme était incroyablement convaincant. À vrai dire, de si près, il paraissait même différent. Pas simplement ses cheveux et ses vêtements, mais son visage était transformé.
– Vous avez des enfants ?
– Pas que je sache, ricana-t-il.
– Alors que faisiez-vous dans un magasin de jouets et de vêtements pour enfants ?
– Oliver, le fils de mon voisin, fête ses quatre ans dimanche prochain.
– Vous n’avez rien acheté.
– C’est hors de prix, là-dedans.
L’homme haussa les épaules et afficha de nouveau un sourire.
– Honnêtement, je ne comprends pas qui peut s’offrir ce genre de choses. En tout cas, mon métier ne le permet pas.
– Pourquoi êtes-vous aussi joyeux ? Si vous êtes tellement innocent, sachez que vous devriez vous faire du souci, parce que vous êtes sérieusement soupçonné de triple meurtre, de faux et usage de faux.
– Je sais… C’est peut-être stupide de ma part, mais je trouve toute cette histoire assez excitante. Voir les choses de l’intérieur, plutôt qu’à la télé. Je dois dire que ça n’a rien à voir. Le jour et la nuit, si vous voulez mon avis. Mais j’imagine que vous vous en étiez déjà rendu compte.
L’homme éclata de rire, puis se tut.
Fabian ne savait pas trop comment continuer l’interrogatoire. Il y avait un milliard de questions à lui poser, des questions auxquelles il était en théorie impossible de répondre sans reconnaître les faits. Pourtant, l’homme évitait les pièges avec une aisance déconcertante.
Le sourire vissé aux lèvres, il mentait comme un arracheur de dents. Le problème, c’était qu’il était si bon acteur que la question était maintenant de savoir comment le prouver.