On en parlait partout. À la caisse du supermarché, sur Facebook et dans les cantines à l’heure du déjeuner. Comme sous l’effet d’une hypnose collective, personne ne semblait pouvoir penser à autre chose qu’aux événements de la nuit sur l’autoroute au niveau de Helsingør.
Le genre d’esclandre qui irritait Kim Sleizner par-dessus tout. Il n’avait qu’une envie : monter sur une chaise, brandir un mégaphone et hurler aux gens de se taire. Ou encore mieux : se défouler sur quelqu’un. N’importe qui, ça n’avait aucune importance, du moment qu’il pouvait taper des pieds et des mains jusqu’à épuisement.
Le matin même, il n’avait pas pu sortir tranquillement de chez lui pour aller à la gym de la résidence sans qu’un de ses imbéciles de voisins lui demande d’un ton sarcastique s’il avait vraiment le temps de faire de l’exercice, alors que les coupables couraient en liberté. Sans parler du vieux couple qu’il avait croisé en rejoignant sa voiture, qui avait évidemment voulu en discuter avec lui – où donc le pays allait-il si les jeunes s’en prenaient aux sans-abri ?
Il se doutait bien que la nouvelle ferait la une des journaux, mais il ne s’attendait pas à un tel tapage. Télé, radio… Tous les médias consacraient leur antenne à ce sujet. Certaines chaînes retransmettaient en direct les images de l’autoroute barrée, où l’on voyait quelques agents incompétents en uniforme chercher des indices derrière un ruban de signalisation.
La nouvelle avait même dépassé les frontières du Danemark. Elle était d’abord arrivée aux oreilles de leurs voisins suédois, avant que le Guardian et le New York Times en fassent un désastre aussi grave qu’une tuerie en milieu scolaire.
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Ce qui était étrange, c’était que ni Dunja Hougaard ni cette couille molle de Magnus Rawn n’étaient mentionnés. Sleizner avait eu beau éplucher tous les articles de presse et écouter tous les flashs d’infos depuis 5 heures du matin, leurs noms ne figuraient nulle part.
Mais il n’était pas dupe. Évidemment qu’elle était impliquée.
La confiture était bien trop appétissante pour que cette satanée guêpe n’y touche pas. Ib Sveistrup pouvait jurer qu’elle avait été exclue de l’enquête et qu’elle était en arrêt maladie depuis des jours, il n’y croyait pas. En arrêt maladie… Quel gros naïf !
Le problème, c’était qu’il avait perdu sa trace. Rien d’étonnant à ce que Sveistrup ignore ce qu’elle trafiquait, mais il était plus curieux que tous ses contacts n’en sachent rien. Personne ne l’avait vue au commissariat ou sur les lieux du crime. Et elle n’était pas chez elle. On aurait dit qu’elle se terrait, qu’elle se tenait consciemment loin des radars. Impossible de se renseigner. Était-elle sur une piste, soupçonnait-elle quelqu’un, voire était-elle proche de la solution ?
Le pire des scénarios serait qu’elle résolve brillamment l’affaire. Tous ses arguments contre elle tomberaient alors et il ne pourrait plus l’empêcher de travailler à Copenhague.
Hors de question d’en arriver là. Après mûre réflexion, il se résolut à envoyer le message qu’il rédigeait depuis un bon quart d’heure :
Vous avez réfléchi à ma proposition ? Je vous conseille de le faire avant que ça dégénère.
Il y avait un risque que tout lui retombe dessus. Un risque qu’il était prêt à prendre, même si le sort semblait ligué contre lui. Et malgré le non cordial, mais catégorique, qu’il s’était entendu répondre quelques jours plus tôt, quand il avait appelé son interlocuteur pour en parler de vive voix.
À ce moment, le but était surtout de se présenter et de soumettre l’idée, pour la laisser germer et s’enraciner jusqu’à ce qu’elle finisse par s’imposer. Sleizner réfléchissait déjà à un deuxième SMS à envoyer. Un message qui devait sous-entendre des menaces, montrer qu’il était l’homme le plus bienveillant du monde et qu’il se souciait simplement des conséquences. Mais aussitôt, son portable vibra dans sa main :
J’y ai réfléchi et finalement, c’est d’accord.
Les yeux rivés sur son écran, Sleizner lut ces quelques mots à plusieurs reprises pour s’assurer qu’il ne se trompait pas. Mais non, sa vue ne lui jouait aucun tour.
Il entrait dans la danse et bientôt, il la collerait de si près qu’elle sentirait son haleine dans sa nuque. Elle aurait beau se retourner, elle ne le verrait pas. Alors, il frapperait et elle n’aurait aucune chance de se relever.