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DANEMARK

Fareed Cherukuri n’aurait jamais cru que ce jour arriverait. Depuis le temps qu’il travaillait chez TDC, il avait pour la première fois quitté son poste contre son gré. À minuit passé, alors qu’il était occupé à mener cette policière récalcitrante dans la bonne direction, son écran était soudain devenu noir et n’avait plus affiché qu’un mot clignotant en lettres rouges :

DÉCONNEXION.

Ils l’avaient découvert. Après toutes ces années, ils l’avaient démasqué. Fareed en transpirait d’angoisse dans son T-shirt en synthétique estampillé du nom de la société, qui lui collait au dos comme un rideau de douche trempé. Comment était-ce possible ? Il n’en avait pas la moindre idée. Lui qui ne laissait jamais la moindre trace derrière lui, qu’avait-il pu manquer ?

Tout ce qu’il avait cru bon de faire était de raccrocher au nez de la policière, fermer son ordinateur portable et décamper au plus vite, avant que n’arrivent les deux gardiens déjà en train de descendre dans l’ascenseur en verre.

En arrivant chez lui, il avait commencé par se servir un bon bol de Frosties, avant d’essayer de se détendre avec une dizaine de parties de Bop It. Quelques minutes après avoir battu son record personnel de 348 points, il s’était rendu compte qu’il n’y avait qu’une seule explication rationnelle à toute cette histoire : les économies.

S’il avait été déconnecté automatiquement, ce n’était pas parce qu’il avait été découvert, mais parce qu’il avait largement dépassé son temps de travail réglementaire. Plus tôt dans la soirée, une notification était d’ailleurs apparue sur son écran pour le prévenir. Or après minuit, le tarif des heures supplémentaires doublait, ce que cette bande de radins à la tête de l’entreprise n’étaient évidemment pas prêts à payer.

Dans ce cas, qu’est-ce qui avait amené les gardiens ? Il les avait évités en sortant par les escaliers et n’avait pas vu ce qu’ils étaient venus faire. Ce n’était sans doute qu’une fâcheuse coïncidence.

Le lendemain matin, il hésita pourtant un instant avant de biper son badge et de taper son code. Mais personne ne surgit pour l’arrêter et il put tranquillement descendre, se mettre à sa place et s’identifier, s’apprêtant à prendre les appels et à répondre aux questions plus idiotes les unes que les autres.

Ce jour-là, il apprécia même étonnamment son travail. Aucun des clients ne lui tapait sur les nerfs. Maintenant que le danger était écarté, il se sentait soulagé comme à l’arrivée des premiers rayons de soleil du printemps.

Mais le plaisir ne fut que de courte durée. Au bout de quelques heures, l’ennui le rongeait déjà et après la pause déjeuner, il ne put s’empêcher de pénétrer de nouveau dans le système.

Pour une raison obscure, le fameux téléphone était toujours allumé. Sa position clignotait tel un phare en pleine mer au milieu de la carte de Helsingborg.