PROLOGUE


SUÈDE
28 octobre 2010

Il était un peu plus de minuit lorsque le taxi s’arrêta devant la maison. L’homme tendit deux billets de cinq cents, puis sortit de la voiture sans attendre la monnaie. Dans le vent glacial qui soufflait depuis l’étendue d’encre du Cattégat, il ne sentait pas les embruns salés que projetaient les vagues en s’écrasant sur la jetée, une quarantaine de mètres plus loin dans l’obscurité.

Par terre, une fine couche de glace indiquait que la température avait chuté. Il fit le tour du véhicule, ouvrit la portière arrière et aida son invitée à descendre, de peur qu’elle ne glisse avec ses talons hauts.

Plus que trente mètres, se dit-il en claquant la portière derrière elle. Plus que trente mètres à jouer les gentils garçons et à s’efforcer d’inspirer confiance, sans paraître non plus trop acharné. Lui faire croire que l’idée qu’elle l’accompagne venait bien d’elle.

Elle frissonna, agrippa d’une main sa pèlerine en fourrure et lui laissa prendre l’autre, tandis qu’ils se dirigeaient vers l’entrée de la maison. C’était bon signe, surtout s’il repensait au dîner. Quel chemin de croix. Il avait dû utiliser tout son talent pour qu’elle ne remarque pas combien son sourire était faux, qu’elle ne voie pas clair dans son jeu et quitte la table.

Comme prévu, ils s’étaient retrouvés au Grand Hôtel Mölle. Elle l’attendait dans le hall, installée dans un fauteuil en cuir, un cocktail à la main, les jambes croisées. De longues jambes bien fines. Avec ses cheveux bruns coupés court, presque à la garçonne, ses lèvres grenat et ses pommettes saillantes, elle était fidèle à sa photo de profil et exactement telle qu’il se l’était imaginée. Son visage lisse, sans doute retouché, semblait n’avoir jamais été exposé au moindre rayon de soleil.

Ça n’arrivait quasiment jamais. Dans la grande majorité des cas, la réalité s’avérait bien décevante. Peau flétrie, sourcils non épilés et autres bourrelets pointant sous des vêtements pourtant amples. Parfois, face à la triste réalité, il avait tourné les talons avant même de se présenter.

Mais ce soir-là, il s’était battu. Tandis qu’il remontait l’allée en pierres à l’éclairage automatique, il se dit qu’il avait bien mérité de s’amuser. S’amuser au point qu’elle ne pourrait plus marcher pendant au moins une semaine. Mais avant tout, il lui fallait une garantie, sans laquelle il ne pourrait pas grand-chose. Il s’arrêta là où la lumière était la plus forte et où la caméra de surveillance aurait un bon angle, puis se tourna vers elle.

Elle rencontra son regard, et il pressa ses lèvres contre les siennes. Elle n’avait pas besoin de lui rendre son baiser, il suffisait qu’elle le reçoive. Tant qu’elle ne le repoussait pas, qu’elle ne le giflait pas, il aurait toutes les preuves nécessaires pour montrer qu’elle était consentante, que les accusations à son encontre n’étaient que mensonges inventés après coup pour lui soutirer de l’argent. Autrement dit, il pourrait bientôt faire d’elle ce qu’il voulait.

Il l’aida à retirer son manteau et la fit entrer. Comme la plupart de celles qui s’étaient risquées aussi loin, elle eut du mal à cacher qu’elle était impressionnée par le bel agencement de son intérieur, le feu qui crépitait déjà dans la cheminée et les meubles design sur mesure.

Il lui proposa de descendre boire un verre dans son bar privé, se vantant de savoir préparer de succulents mojitos. Le visage de la jeune femme s’illumina et elle le suivit dans l’escalier. Dans le couloir aux lambris blancs, il la fit passer devant, lui indiquant de longer le spa et de tourner tout au fond, à gauche de la vitrine.

Elle obéit. Mais une fois dans la pièce aveugle, elle se retourna vers lui, l’air déconcerté comme toutes les autres avant elle. Où était donc le bar qu’il lui avait promis ? Elle se trouvait devant un grand lit entouré de quatre solides anneaux en métal dotés de sangles fixées à des câbles, tendus le long des murs et du sol grâce à des poulies. Le tout peint en blanc pour se fondre dans le décor.

Le coup fut un peu plus violent qu’il ne le pensait. Il ne voulait pas amocher son joli visage, en tout cas pas pour l’instant. Elle tomba à la renverse sur le lit : tandis qu’il lui attachait le premier câble au poignet, il vit du coin de l’œil qu’elle saignait du nez. Bien trop étourdie pour résister, elle se retrouva en quelques secondes pieds et poings liés. Il put tranquillement la mettre en position à l’aide du treuil.

Il s’attendait à ce que, comme toutes les autres, elle s’épuise en tentant de se libérer. Mais elle le fixait sans bouger, étendue là, bras tendus et jambes écartées. À croire qu’elle le priait d’y aller. Pourquoi risquer de la décevoir ?

Il ouvrit le placard qui contenait tous les jouets et accessoires accumulés au fil des années, se saisit d’une paire de ciseaux de couture et du bâillon-boule qu’il avait récemment acquis. Il le lui fourra dans la bouche et serra les sangles. Toujours aucune résistance. C’était presque trop beau pour être vrai ; en même temps, l’opposition de sa partenaire était le petit plus nécessaire à son vrai plaisir.

Après lui avoir découpé ses vêtements, il se redressa à califourchon au-dessus d’elle pour l’observer dans toute sa nudité. Un corps svelte et tonique, un peu trop mince à son goût. Ses hanches, comme sa coupe de cheveux, lui donnaient un air de garçon. Ses abdominaux saillaient au rythme de sa respiration. Une accro au sport. Sans tout cet exercice qui lui abîmait les seins, elle aurait fait au moins deux bonnets de plus. En revanche, elle avait de beaux bras aux biceps et triceps parfaitement dessinés. Quant à son sexe… Il aimait qu’ils soient rasés et le sien était si lisse qu’aucun poil ne semblait jamais y avoir poussé.

Il la dévora des yeux, remontant le long de son buste jusqu’à croiser son regard qui le déconcerta. Elle était entre ses mains, livrée à l’inconnu et pourtant, ses yeux laissaient transparaître une quiétude absolue. Ça ne pouvait signifier qu’une seule chose : elle en avait envie. Il jeta un crachat qui atterrit sur sa joue et coula le long de son cou. Pas de réaction. Il s’assit sur elle, lui pinça le téton droit et serra violemment.

Là. Enfin il percevait dans ses yeux la douleur et la peur. Heureux de savoir qu’il parviendrait à lui faire du mal, il quitta la pièce et se rendit au spa, où il se déshabilla, alla aux toilettes puis à la douche. Il se savonna de la tête aux pieds et monta la température jusqu’à ce que l’eau le brûle.

Après s’être séché et brossé les dents, il plaça une éponge dans un bol d’eau chaude et de savon, avant de retourner dans la pièce aveugle. Une pression sur la télécommande et la porte dans son dos se referma sans bruit. Il regarda la jeune femme fixer l’éponge tandis qu’il grimpait sur le lit et commençait à lui faire sa toilette. Ce rituel l’excitait et il se branla en même temps jusqu’à ce que le sang pulse dans ses veines.

Il était temps de la goûter. Il jeta l’éponge et se pencha, mais soudain, il reçut un coup. Étourdi par la douleur et le son perçant qui hurlait dans son oreille droite, il manqua s’effondrer par terre.

Que se passait-il ? C’était elle ? Impossible, elle était ligotée. Il porta le poing à son oreille et se tâta les tempes. Il n’avait pas l’air de saigner, mais sentait poindre une grosse bosse.

Alors, il remarqua qu’un des câbles avait été coupé. Qu’est-ce que… ? La tenaille que la fille tenait d’une main n’avait rien à faire là. Ni le maillet en caoutchouc qu’elle serrait de l’autre. Où avait-elle trouvé ça ? Il se mit à fouiller de mémoire le contenu du placard – une collection de fouets, un… De nouveau, elle le frappa avec le maillet. Le coup était d’une telle violence que cette fois, il n’éprouva rien. Il perdit conscience et s’écroula sur elle.