Chapitre III

DU DÉSIR À LA RECONNAISSANCE

La fondation hégélienne de la conscience de soi

Il n’est guère de texte dans l’œuvre de Hegel qui ait d’emblée suscité un intérêt aussi vif que le chapitre sur la « conscience de soi » dans la Phénoménologie de l’Esprit. Si difficile, si inaccessible soit l’ouvrage dans son ensemble, ici, où l’Esprit, selon les propres termes de Hegel, devait passer « de la nuit vide de l’au-delà suprasensible dans le grand jour spirituel de la présence » (p. 150 1), la compréhension semblait enfin trouver un point d’appui. Le récit de l’expérience de l’Esprit se découvrant lui-même prenait d’un coup des couleurs plus vives, la conscience de soi solitaire se voyait inopinément rejointe par des co-sujets, ce qui n’était jusque-là qu’un processus cognitif abstrait se transformait dans le drame social d’une « lutte à mort » — bref, ici se trouvaient réunis tous les éléments susceptibles d’apporter à la faim de réalité de la philosophie post-idéaliste une matière plus concrète et plus décorative. Les disciples directs de Hegel tirèrent déjà parti de ce chapitre pour ramener sa philosophie spéculative du royaume éthéré des idées et des concepts sur le terrain de la réalité sociale ; de Lukács à Kojève, en passant par Brecht, les tentatives n’ont plus cessé depuis pour découvrir dans la séquence désir-reconnaissance-lutte l’ébauche d’un scénario politique, historiquement situable.

Toutefois, cette insistance sur la dimension concrète et palpable comportait toujours le danger de laisser l’interaction conflictuelle occulter le noyau argumentatif du chapitre. Pour Hegel, il ne s’agissait pas seulement de démontrer que les sujets doivent entrer en lutte sitôt qu’ils prennent conscience de leur dépendance à l’égard de leur vis-à-vis social. Il voulait autre chose et bien davantage : prouver à l’aide de sa méthode phénoménologique qu’un sujet ne peut accéder à la « conscience » de son propre « Soi » qu’en s’engageant dans une relation de « reconnaissance » avec un autre sujet. Les objectifs de Hegel étaient beaucoup plus fondamentaux que l’interprétation historicisante ou sociologisante ne voulait l’admettre : ce qui l’intéressait, ce n’était pas un événement historique ou un processus conflictuel, mais un fait véritablement transcendantal, qui devait signaler une condition de toute socialité humaine. Si le chapitre de la Phénoménologie sur la « conscience de soi » décrit un processus socio-historique, ce processus ne commence qu’après que ce soit produit ce qui réellement importe à Hegel : le sujet est suffisamment sorti de l’auto-référentialité du désir pour avoir conscience du lien de dépendance qui l’attache à son vis-à-vis humain. C’est le passage de l’être naturel à l’être spirituel, de l’animal humain au sujet rationnel, rien de moins, que Hegel entreprend de présenter ici : et tout ce qui a trait au conflit social, dans la suite du chapitre, ne doit être compris que comme un déploiement processuel des implications qu’entraîne pour l’homme la dimension spirituelle ainsi mise en évidence.

J’essaierai dans les pages suivantes de reconstruire la démonstration décisive dans l’argumentation de Hegel : le passage du « désir » à la « reconnaissance ». Combien l’entreprise est malaisée, c’est ce que suffit à montrer la longue série de lectures qui, sans y regarder de trop près, parviennent à des interprétations très personnelles, pour ne pas dire fantaisistes, de ce texte 2. Un des motifs de cette tendance à la hâblerie tient peut-être au déséquilibre quantitatif entre ce raisonnement central et le reste du chapitre : des quarante pages qu’occupe le chapitre sur la « conscience de soi », une et demie seulement sont effectivement consacrées à la thèse selon laquelle la conscience de son propre Soi requiert la reconnaissance par un autre Soi. Je placerai ces quelques lignes au centre de ma reconstruction, en éclairant d’abord le point de départ du « désir » (I), pour ensuite expliquer la transition interne à la « reconnaissance » (II). À l’issue de cette interprétation qui restera au plus près du texte, il apparaîtra que Hegel dispose de plus d’un argument pour établir que l’accès à la conscience de soi est lié à la reconnaissance intersubjective.

I

On sait que Hegel, dans sa Phénoménologie, présente selon deux perspectives le processus par lequel nous parvenons à discerner les présupposés de tout savoir : selon la perspective du philosophe en position d’observateur, et selon celle des sujets concernés. Chaque étape dans l’accomplissement de cet acte de discernement doit être restituée de telle sorte qu’elle devienne compréhensible, non seulement pour l’observateur supérieur, mais aussi pour les acteurs impliqués. Le point de départ du présent chapitre réside dans le constat que les deux parties, au cours des étapes précédemment décrites par Hegel, ont déjà appris à reconnaître combien l’objet de la connaissance est dépendant de leur propre intervention, de leurs propres actes ; ils ne trouvent plus le monde des objets face à eux comme un simple « donné », dont ils doivent s’assurer du dehors, il s’est dévoilé comme la « modalité » dans laquelle ils se rapportent à lui : « Désormais cependant est né quelque chose qui n’était pas advenu dans les rapports antérieurs [de la certitude sensible, de la perception et de l’entendement (A. H.)], savoir, une certitude qui est identique à sa vérité, étant donné que la certitude est pour elle-même son propre objet, et que la conscience est pour elle-même le vrai. » (p. 143)

Pour Hegel, cela signifie d’abord que le sujet peut savoir qu’il est lui-même la source autorisée de son savoir sur le monde : tout ce qu’il peut découvrir en fait de « vérité » sur la réalité, il le doit non pas à un constat passif, mais à un acte de conscience actif, par lequel il a préalablement constitué son prétendu « objet ». En un sens, l’observateur et le sujet observé sont ainsi parvenus à ce point du processus cognitif que Kant avait mis en exergue dans sa philosophie transcendantale ; de sorte que les deux parties sont amenées à se demander maintenant de quelle nature est le savoir que des sujets peuvent avoir d’eux-mêmes en tant qu’auteurs d’énoncés véridiques. Le « Soi », à la conscience duquel Hegel va s’intéresser par la suite, est donc l’individu rationnel, qui sait déjà d’une manière abstraite que ses actes de connaissance comportent une part de production, de constitution du monde.

Hegel cherche à résoudre le problème ainsi esquissé en permettant à l’observateur phénoménologue, selon un schéma désormais éprouvé, d’anticiper les niveaux d’expérience que le sujet impliqué devra effectivement traverser. Dans la perspective du premier, on distingue aisément quel défaut ou quelle insuffisance caractérisent d’emblée le nouveau stade, et contraindront le sujet observé à s’engager dans le processus d’expérience suivant : pour posséder effectivement une conscience de soi, le sujet devrait se connaître lui-même dans son rôle actif, en tant que producteur du réel. Tant qu’il ne se connaît que comme cette « conscience » qui d’après Kant doit accompagner toutes les « représentations », il ne s’est pas encore découvert dans son activité propre, constitutive de l’objet. Avoir conscience que toute réalité est en dernière instance le contenu de mon état mental ne suffit pas à m’assurer réellement de mon activité synthétisante et causatrice. Au contraire, je me représente dans cette position ma conscience aussi ponctuelle et passive que l’attention mentale que je lui porte à cet instant 3. C’est pourquoi Hegel, avec une évidente intention critique à l’adresse de Kant et Fichte, parle ici d’un simple doublement de la conscience : « [Mais] dès lors qu’elle [la conscience de soi] ne différencie de soi qu’elle-même en tant qu’elle-même, la différence est pour elle immédiatement abolie en tant qu’être-autre ; la différence n’a pas d’être, ce qu’il y a, c’est seulement la tautologie immobile du : Je suis Je ; dès lors que la différence n’a pas non plus pour elle la figure de l’être, elle n’est pas conscience de soi. » (p. 144)

Entre le genre de conscience que j’ai de mes activités mentales, et ces activités elles-mêmes, il doit exister une différence qui ne peut déjà être présente au stade initial de la conscience de soi ; il me manque pour cela une expérience qui pourrait me faire comprendre que mes actes de conscience, à la différence de l’attention flottante qui accompagne mes pensées habituelles, possèdent un caractère actif, capable de transformer la réalité. L’observateur philosophe qui connaît les insuffisances de ce premier stade de la conscience esquisse donc par anticipation le genre d’expérience qui serait nécessaire pour prendre conscience de cette différence. D’une façon qui paraît ici encore très surprenante, il choisit pour désigner ce deuxième stade le concept de désir, c’est-à-dire un terme qui ne renvoie pas à une activité mentale, mais à une activité corporelle. Avant de pouvoir parvenir à une telle posture, qualifiée d’« érotique » par Brandom 4, le sujet impliqué doit d’abord apprendre par lui-même à appréhender la réalité comme quelque chose vers quoi il tend dans le but de satisfaire des besoins élémentaires. Cette étape intermédiaire, qui doit éclairer ce qui amène les sujets observés à adopter la posture du « désir », Hegel l’explique à l’aide du concept de la vie : celui-ci occupe ici une position-clé, car sans lui nous ne comprendrions pas la transition qui oblige les individus à prolonger le processus d’exploration de leur conscience de soi.

Hegel avait déjà parlé de la « vie » dans le chapitre précédent, où l’« entendement » était introduit comme une forme du savoir de l’objet, supérieure à la « perception » (Partie A, chap. III). Comprendre, avec l’aide de l’entendement, l’ensemble du réel comme « vie », cela ne signifiait pas seulement soumettre les données disparates de la perception à la « force » d’un principe unitaire, mais avant tout apprendre à comprendre l’action synthétisante de sa propre conscience dans cette nouvelle sorte de savoir. En ce sens, la production de la catégorie de la vie représentait le tournant qui créait les présupposés nécessaires du chapitre qui nous occupe, car le sujet commence désormais à interpréter le monde comme dépendant de sa propre connaissance, et ainsi à développer une « conscience de soi ». Or, d’une manière surprenante, cette catégorie de la vie réapparaît maintenant dans ce nouveau contexte, à l’endroit précis où doit être ménagé le passage de la première forme vide, ou simplement dédoublée, de la conscience de soi, à une forme seconde, supérieure : après que l’observateur a établi par anticipation que le sujet ne pourra parvenir à une meilleure conscience de son « Soi » que dans la posture du désir, le texte s’attache à exposer toutes les implications du concept de vie, dans une analyse qui est clairement marquée comme un acte de réflexion du sujet impliqué : « Ce que la conscience de soi distingue de soi-même comme étant a, dans la mesure de sa position d’étant, non seulement chez soi la modalité de la certitude sensible et de la perception, mais est être réfléchi en soi, et l’objet du désir immédiat est quelque chose de vivant. » (p. 145) On doit conclure de cette phrase que Hegel entreprend ici de nous présenter le sujet observé au moment où il commence à tirer les conséquences, pour sa propre compréhension de soi, du concept de vie précédemment développé : alors qu’il ne pouvait jusqu’à présent se représenter ce « Soi » que d’après le modèle que lui fournissait l’observation purement passive de ses activités mentales, de ses « représentations », c’est-à-dire comme un Moi non situé, privé de monde et de corps, il commence maintenant à se comprendre lui-même à partir de son rapport d’opposition avec la notion, déjà disponible sur un plan cognitif, du « vivant ». Ce que l’observateur sait déjà — que le sujet doit passer à une attitude désirante pour accéder à une meilleure, à une plus complète conscience de soi — ce sujet lui-même ne le découvre que progressivement, en appliquant par la réflexion le concept de vie à son propre rapport au monde. Il découvre que son Soi n’est pas une conscience sans lieu, ponctuelle, mais se rapporte par son action pratique à la réalité organique : face à un monde plein de vie, il ne peut plus se comporter sur un mode purement épistémique, il doit intervenir activement, comme un être vivant qui se reproduit d’une manière naturelle. Dans cette mesure, nous pouvons nous accorder avec le constat méthodologique de Frederick Neuhouser quand il dit que le sujet fait ici une expérience transcendantale 5. Celui-ci découvre rétrospectivement qu’il n’a été en mesure de concevoir la notion de « vie » que parce qu’il a d’abord rencontré l’objet dans l’attitude pratique de sa saisie active.

Avant de pouvoir attribuer une telle expérience à son sujet, Hegel doit certes avoir développé le concept de « vie » jusqu’au point où ses conséquences pour la relation individuelle au monde apparaissent comme par elles-mêmes ; car la transformation qui s’opère au cours de la réflexion sur ce concept ne doit pas consister seulement en une détermination extérieure identifiée par l’observateur, mais bien en une conclusion interne tirée par le sujet observé lui-même. Dans la réflexion sur ce qu’il en est de cette unité du réel produite à l’aide de la catégorie de la vie, l’individu ne peut s’empêcher d’établir simultanément deux choses : il constate que le monde qu’il a lui-même construit constitue un tout qui se conserve par une transformation permanente, qu’il est une totalité de genres, dans lesquels les caractères génériques se reproduisent constamment à travers le cycle de vie des individus : « C’est l’ensemble de ce circuit qui constitue la vie […] c’est le tout qui se développe et qui dissout son développement et qui se conserve simplement dans ce mouvement. » (p. 147 sq.) Mais comme seule la conscience individuelle peut avoir connaissance de cette spécificité du vivant, de son caractère générique, le sujet doit en même temps constater qu’il se trouve partiellement exclu de ce processus vital. En tant que doué de conscience, il semble d’une autre nature catégoriale que ce à quoi il attribue désormais la qualité de genre vivant : « … dans ce résultat, la vie renvoie aussi à un autre que ce qu’elle est, savoir, à la conscience pour laquelle elle est en tant que cette unité, en tant que genre. » (p. 148) Arrivé à ce point, résultat provisoire de l’application à soi-même du concept de vie par le sujet impliqué, le texte de Hegel devient particulièrement obscur. La difficulté bien connue, liée au fait que le lecteur ne sait pas si les déterminations dégagées doivent être comprises simplement comme des caractérisations effectuées par l’observateur ou déjà comme des résultats acquis par le sujet observé à travers sa propre expérience, cette difficulté se trouve ici redoublée. La formule de Hegel est la suivante : « Mais cette autre vie, pour laquelle le genre est en tant que tel et qui est pour soi-même genre, la conscience de soi, n’est d’abord quant à soi que comme cette essence simple, et se prend elle-même pour objet en tant que pur Je ; nous verrons que dans son expérience, que nous allons maintenant examiner, cet objet abstrait gagnera pour elle en richesse, et connaîtra le déploiement que nous avons vu s’agissant de la vie. » (p. 148) Je comprends la première partie de la première phrase de cet énoncé compact comme une anticipation du résultat auquel doit parvenir le sujet observé, tandis que la deuxième partie de la phrase, introduite par un « d’abord », enregistre l’état actuel de sa conscience de soi : pour l’instant l’individu impliqué comprend encore son propre « Soi » sur le modèle d’une pure conscience non située, mais en s’élevant au point de vue de l’observateur il arrivera lui aussi à se comprendre comme membre individuel d’un genre vivant. Hegel veut dire maintenant que le sujet se trouve contraint de passer ainsi d’une pure conscience de soi à une conscience de soi « vivante », pour autant qu’il reconnaît dans la réalité vivante qu’il a construite le même mouvement vital qui l’anime lui-même ; il ne peut en quelque sorte s’empêcher de découvrir rétrospectivement dans son propre Soi, au miroir du concept qu’il s’est fait du processus de vie organique, les traits naturels qu’il partage avec cette réalité dont il est l’auteur. Mais Hegel escamote ce niveau intermédiaire — où le sujet découvre sa propre naturalité à partir du caractère vivant de l’objet qu’il a lui-même produit —, et passe directement à l’attitude par laquelle le sujet observé confirme sa nouvelle découverte : dans le « désir », l’individu s’assure de lui-même comme conscience vivante, qui partage certes avec toute réalité les caractéristiques de la vie, mais lui reste supérieure dans la mesure où elle la tient sous sa dépendance. De ce point de vue, le désir est la forme de manifestation corporelle par laquelle le sujet s’assure qu’il possède en tant que conscience des traits vivants et naturels : « La conscience de soi n’a de certitude d’elle-même que par l’abolition de cet autre qui s’expose, se présente à elle-même comme existence autonome ; elle est désir. » (p. 148)

Au concept de « désir », qui dessine le deuxième degré de la conscience de soi, Hegel associe manifestement une vaste critique de la philosophie de la conscience de son temps. Quand la philosophie transcendantale de Kant ou le système de Fichte présentent la conscience de soi comme une conscience qui s’observe elle-même, ce n’est pas seulement son côté actif, synthétique, qui se trouve occulté. Le sujet, autrement dit, ne perd pas seulement la possibilité de découvrir son propre Soi comme l’instance active qui garantit le vrai : une telle approche suggère aussi que ce Soi rationnel dont le sujet doit prendre connaissance est dépourvu de toute détermination naturelle, et donc de toute vie organique. La philosophie de la conscience, semble vouloir dire Hegel, refuse au sujet l’expérience directe, immédiate, de sa propre corporéité. C’est aussi pour combattre cet antinaturalisme de ses contemporains idéalistes que Hegel intègre le stade du « désir » dans le processus d’acquisition de la conscience de soi. Dans l’attitude ainsi décrite, le sujet s’assure de sa nature biologique d’une manière qui exprime en même temps sa supériorité à l’égard du reste des vivants ; d’être capable de distinguer dans cet environnement organique entre ce qui lui est bénéfique et ce qui lui est contraire lui donne aussi la certitude permanente de se distinguer en tant que porteur d’une conscience. L’activité désirante, c’est-à-dire la satisfaction de besoins organiques élémentaires, produit donc pour Hegel un double effet relativement à la conscience de soi : le sujet s’éprouve à la fois comme partie de la nature, parce qu’il est intégré dans le « mouvement de la vie » et en subit les déterminations hétéronomes, et comme son centre actif et organisateur, parce qu’il peut grâce à sa conscience y opérer des discriminations essentielles. Peut-être pourrait-on même dire que Hegel, avec son concept de « désir », veut montrer combien l’homme a d’abord conscience de sa « position excentrique » (Helmuth Plessner) : tant qu’il se comprend lui-même comme un être qui cherche à satisfaire ses besoins, qui déploie son activité dans le cadre de ses besoins, il possède un savoir immédiat de ce double statut, qui l’installe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la nature.

Il importe d’être au clair sur ces effets du « désir », parce que de nombreux commentateurs tendent à dénigrer ce deuxième stade comme quelque chose de purement négatif qu’il faudrait dépasser. Hegel me semble au contraire insister sur le fait que l’expérience liée à la satisfaction des pulsions produit une conscience de soi infiniment plus riche et plus complexe que la forme précédente : au lieu que le sujet s’éprouve lui-même comme une conscience ponctuelle, qui reste toujours présente dans toutes ses activités mentales, la satisfaction de ses désirs lui apporte la certitude immédiate d’un Soi à qui est assignée une place excentrique dans la nature. Parce que cette forme de conscience de soi rend justice à la nature biologique de l’homme, Hegel est convaincu que son apport fondamental ne devra plus être abandonné : quelles que soient par la suite les conditions nécessaires pour que le sujet prenne adéquatement conscience de lui-même, elles devront toujours inclure la conscience d’être un « membre vivant » de la nature. Mais plus les pouvoirs du « désir » sont ainsi valorisés, plus il importe de savoir contre quel obstacle se manifeste finalement l’insuffisance de ce stade de la conscience de soi. Un seul bref paragraphe suffit à Hegel pour justifier la nécessité de passer de là à un stade supérieur (p. 148 sq.) ; c’est à ces quelques lignes que nous nous intéresserons dans la prochaine étape de notre reconstruction.

II

À peine Hegel a-t-il exposé la signification essentielle du désir pour la conscience de soi, qu’il entreprend déjà d’esquisser les raisons de l’échec de l’expérience liée au désir. Contrairement à ce qui se passait dans le passage au désir, c’est-à-dire du premier au deuxième degré de la conscience de soi, il manque ici une distinction claire entre la perspective de l’observateur et celle de l’acteur. Hegel n’esquisse pas d’avance, d’un point de vue philosophique, le but de l’étape suivante pour ensuite amener le sujet lui-même à effectuer cet apprentissage : les deux processus, cette fois-ci, semblent en quelque sorte coïncider. Le point de départ de cette analyse extrêmement sommaire, on pourrait même dire précipitée, est le bilan du bénéfice du désir. Dans cette attitude, le sujet est sûr de la « nullité » de ce qu’il a devant lui, de la réalité vivante, il se sait, dans sa position excentrique, supérieur au reste de la nature. La manière appropriée d’exprimer cette supériorité consiste pour lui, en tant qu’animal humain, à satisfaire son besoin dans la consommation de l’objet naturel. Dans le désir, dit Hegel, le Soi se donne « la certitude de soi-même, comme certitude vraie, c’est-à-dire comme une certitude devenue telle pour elle de manière objectale. » (p. 148) Le renversement s’opère dès la phrase suivante, où Hegel dit laconiquement : « Mais dans cette satisfaction elle fait l’expérience de l’autonomie de son objet. » (ibid.) Il écrit encore plus clairement, quatre lignes plus loin, que la conscience de soi « ne peut donc pas abolir l’objet en ayant une relation négative à lui ; ce faisant, elle le réengendre plutôt, de même que le désir. » (ibid.) Il est clair que Hegel veut ainsi mettre en évidence dans l’attitude du désir une composante d’auto-mystification : le sujet s’illusionne sur son propre compte, il opère, pourrait-on dire, avec des idées fausses sur sa relation au monde, quand il croit pouvoir anéantir l’objet dans la satisfaction du besoin, dans l’assouvissement de ses désirs. Mais savoir pourquoi une telle auto-mystification doit amener le passage à un nouveau stade, pourquoi la déception provoquée par l’autonomie de l’objet doit conduire à la rencontre avec l’Autre et à la reconnaissance, c’est une question autrement plus difficile à résoudre ; presque toutes les interprétations que je connais se tirent d’affaire, face à ce passage, par des assimilations métaphoriques ou par des constructions auxiliaires passablement éloignées du texte 6.

Il est d’abord nécessaire de préciser en quoi consiste selon Hegel le déficit du désir relativement à la conscience de soi : la référence à l’auto-mystification ne peut valoir ici que comme une première indication, qui pointe certes la direction dans laquelle il convient de chercher, mais ne contient pas encore la solution elle-même. En tant que lecteurs qui suivons les indications de mise en scène de l’observateur philosophique, nous savons déjà ce qu’il en est de ce Soi dont le sujet observé doit arriver à prendre conscience à travers les stades analysés jusqu’à ce point du texte : ce sujet doit effectivement prendre possession de lui-même, il doit par lui-même éprouver qu’il est cet acteur rationnel, constitutif du réel, dont il n’avait connaissance au début du chapitre que d’une manière générale et abstraite ; nous pouvons dire aussi que le Moi doit arriver à se comprendre dans l’activité constructive par laquelle il produit un monde objectif. Mais en même temps, la conscience de soi se voit adresser au cours de cette expérience une exigence nouvelle, dont le sujet ne pouvait encore rien savoir au commencement : parce que le sujet a été amené par déduction « transcendantale » de son propre concept de la réalité vivante à se projeter dans la nature comme un être de consommation, il doit maintenant pouvoir éprouver l’activité par laquelle il produit la réalité non plus seulement comme une particularité de son Soi, mais comme un caractère fondamental du genre humain dans son ensemble. En effet, la découverte du caractère générique de la vie, la découverte donc que la réalité naturelle existe indépendamment de la perpétuation de ses composantes individuelles, oblige aussi le sujet à comprendre son propre Soi comme l’instanciation d’un genre entier, à savoir du genre humain. Au premier stade, où la conscience en quelque sorte s’accompagne et s’observe elle-même, le sujet était encore aussi éloigné que possible d’une telle forme de conscience de soi ; au deuxième stade, poussé par les implications rationnelles de son propre concept de la vie, il pouvait s’avancer au moins jusqu’au seuil où il commençait à se voir intégré dans la nature comme un être supérieur doté d’une conscience. Il se comprenait comme un Soi naturel, organique, qui, en satisfaisant ses besoins, acquiert la certitude de pouvoir anéantir le reste de la nature. De cette hypothèse ontologique, à présent, Hegel affirme brusquement qu’elle doit nécessairement échouer, parce que la réalité naturelle continue à subsister malgré tous les actes de consommation. Si frénétiquement que le sujet entreprenne de satisfaire ses désirs, le « processus de la vie » dans son ensemble se perpétue malgré l’anéantissement de ses composantes particulières, de sorte que l’objet conserve son « autonomie ». À proprement parler, l’insuffisance de l’expérience du « désir » est double : premièrement, elle suscite dans le sujet un fantasme de toute-puissance qui lui fait croire que toute réalité est un produit de l’activité de sa propre conscience individuelle, et, deuxièmement, elle l’empêche par là de se comprendre comme membre d’un genre. Malgré tous les avantages substantiels que ce stade apporte à la conscience de soi, il est donc voué à l’échec dans la mesure où il génère la fausse représentation d’un Soi omnipotent. Le sujet, dans le cadre du désir, ne peut se comprendre ni comme producteur de la réalité, ni comme membre d’un genre, parce que la réalité dans sa totalité vivante n’offre aucune prise à l’activité par laquelle il satisfait ses besoins d’une manière purement individuelle.

Les termes que je viens d’employer : « fantasme de toute-puissance », « omnipotence », ont été délibérément choisis pour permettre une comparaison avec l’ontogenèse, qui pourrait se révéler utile en l’occurrence. L’ingénieux psychanalyste Donald Winnicott a décrit l’univers du nourrisson comme un état dans lequel l’enfant obéit au besoin quasi ontologique de se prouver à lui-même que son environnement dépend de ses propres intentions. En détruisant les objets à sa portée, il veut démontrer que la réalité obéit à son pouvoir absolu 7. Ce qui m’intéresse dans ces observations, ce n’est pas leur degré d’exactitude empirique, mais seulement la question de savoir si elles peuvent en quelque manière contribuer à éclairer le propos de Hegel. Sans il est vrai se référer à l’ontogenèse, mais en considérant cependant le vécu du sujet observé, Hegel semble vouloir dire la même chose que Winnicott : en cédant à ses pulsions de consommation, ce sujet essaye de se donner la certitude individuelle que la réalité qui lui fait face n’est rien d’autre qu’un produit de son activité mentale, alors même qu’il découvre, selon les termes de Hegel, que le monde conserve son « autonomie », parce qu’il est indépendant de la perpétuation de ses composantes particulières. Chez Winnicott, le nourrisson arrive à sortir de sa phase omnipotente quand il apprend à voir dans sa mère ou dans la personne de référence un être qui réagit à ses actes destructeurs d’une manière intentionnellement différenciée. Selon les circonstances et l’humeur, la mère ou la personne de référence répondra tantôt avec compréhension, tantôt par une rebuffade aux attaques de l’enfant, de sorte que celui-ci va progressivement apprendre à accepter à côté de lui une autre source d’intentionnalité, dont il doit faire dépendre son emprise sur le monde. Ce raisonnement de Winnicott nous offre une clé pour comprendre la réflexion par laquelle Hegel cherche à expliquer le passage du deuxième au troisième stade de la conscience de soi.

La phrase qui dans le texte de Hegel suit immédiatement le constat de l’échec du « désir » est sans doute la plus difficile que nous réserve le chapitre sur la « conscience de soi » ; sans que ce mouvement soit annoncé par l’observateur informé, il est affirmé ici que le sujet, pour accéder à la pleine conscience de soi, a besoin d’un vis-à-vis qui accomplit maintenant « sur lui » la négation que le sujet avait auparavant accomplie sur la réalité naturelle : « C’est pourquoi, en vertu de l’autonomie de l’objet, elle [la conscience de soi] ne peut parvenir à la satisfaction que dès lors que celui-ci accomplit lui-même la négation sur lui ; et il faut qu’il accomplisse cette négation de soi-même à même soi, car il est en soi le négatif, et doit nécessairement être pour l’autre ce qu’il est. » (p. 148 sq8) Il convient peut-être de commencer par se demander quel est ce besoin dont Hegel affirme qu’il ne peut être satisfait que dans les conditions d’une négation réciproque. Il ne peut plus s’agir de cette pulsion organique qui s’exprimait dans le « désir » précédemment analysé, puisque celui-ci trouvait déjà sa satisfaction dans la consommation du monde naturel ; malgré la déception qu’il s’infligeait à lui-même, le sujet parvenait du moins à tirer de la réalité, conformément à ses propres préférences, les matériaux susceptibles de satisfaire ses besoins animaux ou « érotiques ». Non, Hegel doit penser ici à un besoin plus profondément ancré, également contenu dans le « désir », un besoin que nous pouvons appeler « ontologique », parce qu’il a pour objet la confirmation d’une certaine conception du caractère ontologique de la réalité. Dans l’activité destructrice qui devait satisfaire son désir, le sujet cherchait à se conforter dans la certitude de la « nullité » du monde, de son caractère simplement produit. De ce besoin ontologique, qui a été précédemment déçu, Hegel affirme à présent qu’il ne peut être satisfait qu’aux deux conditions suivantes : le sujet qui l’éprouve doit d’une part rencontrer un élément de la réalité qui accomplisse spontanément sur lui-même la négation que le sujet accomplissait auparavant sur lui, et d’autre part ce premier sujet doit de son côté opérer une telle négation sur lui-même ou vis-à-vis de lui-même 9.

On verra aisément dans cette idée complexe une manière de marquer la nécessité pour le sujet observé de rencontrer un autre sujet, une seconde conscience : car le seul « objet » qui soit par lui-même en mesure d’accomplir une négation, ce ne peut être qu’un être également doté d’une conscience. Dans cette mesure, la phrase par laquelle Hegel commence à caractériser le troisième stade de la conscience de soi ouvre clairement un nouveau registre dans le processus d’expérience du sujet. Celui-ci ne se voit plus seulement confronté à la réalité vivante, mais rencontre au sein de cette réalité un acteur qui est lui-même capable de nier consciemment son propre monde. Ce qui est plus difficile à comprendre qu’un tel virage vers l’intersubjectivité, c’est la remarque de Hegel selon laquelle ce second sujet doit manifestement pouvoir opérer une négation vis-à-vis du premier, du sujet observé, pour que la satisfaction du besoin ontologique puisse avoir lieu. C’est du moins ainsi qu’on interprète traditionnellement la formule selon laquelle le nouvel « objet » effectue une « négation sur lui ». Mais nous ferons mieux de ne pas prendre cette idée au pied de la lettre, comme si Hegel pensait à un acte de destruction ou à un geste de consommation dicté par des pulsions. Il faut plutôt comprendre « sur lui » au sens de « sur lui-même », de sorte que la formulation de Hegel viserait à imputer au deuxième sujet une sorte d’autonégation. Le premier sujet rencontre dans le deuxième un être qui, à partir de sa négation ou en réaction à elle, opère à son tour une négation sur lui-même. À tout le moins, une telle interprétation permet de comprendre pourquoi le besoin ontologique du sujet observé ne peut être satisfait que dans la rencontre avec l’autre. Avec ce deuxième sujet qui n’entreprend de se nier, ne se décentrer, que parce qu’il prend conscience de la négation que lui oppose le premier, celui-ci découvre en effet un élément de la réalité dont il peut transformer la condition par sa seule présence. En reprenant le parallèle avec la thèse de Winnicott, nous pouvons dire que le sujet découvre dans l’autre un être qui, à travers son acte d’autolimitation, lui révèle sa dépendance « ontologique ».

Hegel, cependant, ne s’en tient pas à ce premier mouvement de négation : il lui donne pour pendant et complément un mouvement de négation de la part du sujet observé. Ce n’est pas seulement l’alter ego qui accomplit ici une sorte d’autolimitation, mais aussi et du même coup cet ego dont le philosophe retrace l’expérience. Avec ce deuxième pas, Hegel ne fait que tirer la conséquence de ce qu’il a dit précédemment. Si le second sujet se nie lui-même parce qu’il a rencontré en la personne du premier un être du même genre que lui, alors celui-ci doit à son tour opérer une autolimitation similaire, sitôt qu’il découvre ce congénère. Au type de rencontre intersubjective qu’il met en scène ici comme une condition nécessaire de la conscience de soi, Hegel attribue donc une forme de stricte réciprocité : à l’instant où ils se rencontrent, les deux sujets doivent chacun accomplir une négation vis-à-vis de soi-même, consistant à prendre leurs distances relativement à leur être propre. Si nous complétons cette pensée par la détermination kantienne du « respect » comme ce qui « porte préjudice à mon amour-propre 10 » ou qui le nie, nous voyons apparaître pour la première fois ce que Hegel visait en introduisant cette relation intersubjective. La rencontre entre deux sujets ouvre une nouvelle sphère d’action dans la mesure où ils se trouvent chacun contraints d’accomplir un acte de limitation de leur désir « égoïste », sitôt qu’ils découvrent l’autre. À la différence de la forme d’action de la satisfaction des désirs, où la réalité vivante restait en dernière instance inentamée, l’interaction donne spontanément lieu à un changement d’état pour les deux personnes impliquées dans l’action : l’ego et l’alter ego réagissent l’un à l’autre en limitant ou en niant leur propre désir égocentrique de telle manière qu’ils puissent se rencontrer indépendamment de tout projet de consommation.

Si nous supposons en outre que Hegel avait parfaitement conscience des affinités entre son idée de l’autonégation et la définition kantienne du respect, nous pouvons lui attribuer ici une intention d’une portée encore beaucoup plus vaste : il veut manifestement dire que le sujet observé par lui ne parvient à la conscience de soi qu’à travers une expérience qui possède déjà un caractère moral. Le philosophe n’attend pas le chapitre sur « L’Esprit », où il sera explicitement question de « moralité », pour caractériser cette autolimitation comme une condition nécessaire de toute morale. Il le fait déjà ici, en relation avec les conditions d’émergence de la conscience de soi. Ce processus, toutefois, présente dans la description de Hegel quelque chose de singulièrement automatique, pour ne pas dire mécanique ; loin que les deux sujets impliqués limitent leurs désirs respectifs par une décision volontaire, l’acte de décentrement semble presque s’accomplir comme un réflexe à la découverte du partenaire. Hegel veut manifestement dire par là que la morale spécifique de l’intersubjectivité humaine ne se fraye une voie, à ce stade précoce, que sous la forme d’un comportement réactionnel réciproque : l’ego et l’alter ego réagissent simultanément l’un à l’autre, en limitant chacun ses besoins égocentriques et en faisant dorénavant dépendre ses actes du partenaire. À partir de là, il n’y a plus qu’un petit pas à franchir pour comprendre pourquoi Hegel considère une telle protomorale comme une condition de la conscience de soi.

Il était déjà apparu que, pour Hegel, le besoin ontologique du sujet observé trouve sa satisfaction dans la rencontre intersubjective : sitôt en effet que ce sujet rencontre une autre personne, l’acte d’autonégation de cette dernière lui montre qu’un élément important de la réalité réagit à sa simple présence. À la réaction quasi morale de l’Autre, il peut en quelque sorte lire la dépendance de celui-ci relativement à sa propre conscience. Mais Hegel attend de la conscience de soi plus que la compréhension ontologique du fait que la réalité est un produit de son propre Soi conscient. Le sujet observé doit aussi pouvoir se percevoir lui-même dans l’activité à travers laquelle il produit la réalité. Hegel utilise ici le caractère réciproque de la situation d’interaction qu’il a introduite, pour expliquer que le sujet trouve à un moment donné la possibilité de percevoir sa propre activité : c’est sur l’acte d’autolimitation de l’alter ego que l’ego peut en quelque sorte observer devant lui le genre d’activité par lequel il produit lui-même, au même instant, la transformation pratique en cet Autre. Chacun découvre dans l’autre l’activité négative par laquelle il produit une réalité qu’il peut comprendre comme sa propre œuvre. Dans cette mesure, conclurons-nous avec Hegel, la possibilité d’émergence de la conscience de soi est liée à la présupposition d’une sorte de protomorale. C’est seulement dans l’autolimitation morale de l’Autre que nous pouvons reconnaître l’activité par laquelle notre Soi produit spontanément une transformation durable dans le monde, disons même : une réalité nouvelle.

Mais, pour Hegel, cet aboutissement du processus de constitution de la conscience de soi ne mène pas immédiatement dans un monde de la raison partagée : la création d’un tel « espace des raisons » n’aura lieu qu’à l’issue du combat que les sujets doivent maintenant se livrer, après avoir pris conscience de leur lien de dépendance réciproque. Ce qu’en revanche notre sujet a appris dans le passage à la conscience de soi, Hegel le formule encore dans des termes presque naturalistes, à l’aide de ce concept de vie qui prévalait au stade du « désir ». Une fois parvenu à la conscience de soi par la réciprocité morale, l’individu peut se comprendre comme un membre vivant du genre humain. Il est devenu, dit-il, « pour lui-même genre » (p. 149). Dans cette mesure, on peut considérer comme satisfaites ici, au terme de la déduction, les trois exigences que Hegel au fil de sa reconstruction avait adressées à la conscience de soi : le sujet, au même instant, découvre dans l’autolimitation de l’Autre l’activité par laquelle il produit lui-même la réalité (sociale), et se perçoit comme membre d’un genre dont l’existence est justement assurée par cette réciprocité. On ne sera donc pas surpris de voir que Hegel réserve finalement pour décrire la spécificité du genre ainsi constitué un seul et unique terme : la « reconnaissance », c’est-à-dire la limitation du désir égocentrique de chacun au profit de l’Autre.