Jeudi, première semaine

23

« Regarde ça », dit Kalle en tendant un document que venait de cracher le fax.

Il était seize heures, ils étaient presque seuls à l’étage : beaucoup étaient en vacances et ceux qui travaillaient sur le meurtre du Tour de Gotland étaient occupés ailleurs.

Erik prit le document. Il reconnut aussitôt l’en-tête : le laboratoire de police scientifique de Linköping.

« Les analyses biomédicales ?

Yes », opina Kalle.

Erik s’assit en face d’elle et parcourut rapidement le rapport de trois pages.

« Bon », dit-il ensuite en se grattant la tête. Ses cheveux bruns étaient rejetés en arrière avec un peu de gel. Son polo blanc remontait en découvrant des reins bronzés.

« Apparemment, il n’y a aucun doute. » Il brandit la page deux.

« Très peu, en effet.

— Il y a des traces de cocaïne dans le sang de Juliander.

— Les soupçons de Winbergh étaient donc justifiés.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? »

— Oui, c’est bien la question. Je dirais même plus, qu’est-ce que ça veut dire ? »

 

« Nora, quelle bonne nouvelle ! Quelle chance ! » La voix enthousiaste de Monica Linde se déversait du combiné. « Henrik m’a mise au courant. Maintenant, vous allez pouvoir acheter la maison de vos rêves à Saltsjöbaden. Félicitations ! Après tout ce qu’a fait cette affreuse bonne femme… Comme on dit, à quelque chose malheur est bon, non ? »

C’était comme si sa belle-mère, snob et totalement dénuée de tact, savait exactement sur quel bouton appuyer pour faire enrager Nora.

Elle n’avait jamais beaucoup apprécié Monica Linde, qui ne manquait pas une occasion de se faire mousser en évoquant tout le beau monde qu’elle avait côtoyé au cours de sa longue carrière d’épouse de diplomate. Un jour comme celui-ci, où Henrik et elle ne se parlaient presque plus après la visite cauchemardesque de l’agent immobilier, supporter sa belle-mère était au-dessus de ses forces.

Ce n’est qu’à grand-peine que Nora parvint à se maîtriser.

« Là, je ne vous suis pas vraiment, dit-elle. Qu’est-ce qu’il vous a raconté ?

— Mais que vous allez vendre la villa Brand, bien sûr. Et qu’on vous a fait une proposition fantastique.

— Ah, je vois. »

Monica Linde ne sembla pas remarquer son ton glacial.

« J’ai toujours trouvé ce pavillon où vous habitez d’une tristesse… On y est serré comme des sardines. Et puis le voisinage n’est pas fameux. Aucun style. »

Courte pause pour reprendre son souffle.

« Depuis qu’il est tout petit, Henrik est habitué à de grandes surfaces. Je n’ai jamais compris comment il a supporté de vivre jusqu’ici dans cette bicoque. Ce serait quand même merveilleux que vous puissiez acheter quelque chose qui ait plus de standing.

— Nous nous plaisons beaucoup là où nous habitons », dit Nora en serrant la mâchoire.

Elle faillit lui raccrocher au nez. Mais elle savait qu’elle aurait à le payer pendant des années. Et si elle faisait semblant d’être à court de batterie ? L’idée était tentante.

« Je suis tellement bouleversée par la mort d’Oscar, continua Monica. Tellement bouleversée. Mais où va le monde ? Vous avez vu les journaux, ces derniers jours ?

— Oui.

— Comment un homme si charmant a-t-il pu être assassiné ? C’est incompréhensible. Et comme d’habitude, la police ne fait rien. Avec tous les impôts qu’on paye ! Des incompétents. »

Simon déboula soudain dans la pièce derrière son ballon de football : Nora était sauvée.

« Simon aimerait vous parler. » Elle passa le téléphone à son fils sans dire au revoir.

Simon la regarda avec des yeux ronds en secouant la tête. Nora prit son air sévère et souffla : « Grand-mère » tout en lui mettant l’écouteur sur l’oreille.

« Dis quelque chose, chuchota-t-elle le plus fort qu’elle put sans qu’on l’entende à l’autre bout du fil. Allez, dis quelque chose, parle de tes cours de natation. »

De mauvais gré, il marmonna quelques phrases avant de demander avec des grimaces la permission de raccrocher.

Grand-mère n’avait pas non plus la cote chez ses petits-enfants : elle ne manquait pas une occasion de les corriger ou de dire à Nora comment les élever. Elle n’était pas très discrète et les enfants étaient assez grands pour que cela ne leur échappe pas.

Pour ne rien arranger, ils adoraient les parents de Nora, Lars et Susanne, qui de leur côté encensaient Adam et Simon. Depuis que Lars avait vendu son entreprise et que Susanne avait pris sa retraite, ils étaient en outre très disponibles pour leurs petits-enfants.

Nora embrassa rapidement son fils sur le front pour le remercier d’avoir fait l’effort de parler à sa grand-mère. Il prit le ballon et courut rejoindre Adam qui l’attendait dehors avec des copains. Le seul fait de voir combien les garçons s’amusaient lui redonna le moral.

Il fallait qu’elle discute de cette histoire de vente avec quelqu’un d’autre que Henrik. Elle aurait préféré ne pas avoir à mettre son mari à l’écart, mais il y avait urgence. Et dans ces cas-là, il n’y avait qu’une seule personne sur qui compter : Thomas. Et puis il était bien au courant de toute cette histoire autour de la villa de tante Signe.

Nora lui envoya un SMS.

Appelle-moi dès que tu as le temps.

Une minute plus tard la réponse arrivait.

Suis à Sandhamn. Il s’est passé quelque chose ?

Nora sourit intérieurement.

Rapide et efficace, comme toujours. C’était tout Thomas.

Elle répondit directement :

Une bière au bar des Plongeurs vers dix-huit heures ?

La réponse fut tout aussi prompte :

OK/T.