Épilogue 
Les facteurs humains
Je me suis demandé comment ce programme Excedel pourrait sortir du lot les rares étudiants qui ne se plient pas aux conventions de l’écriture, non qu’ils soient incompétents mais parce qu’ils possèdent une intelligence supérieure particulièrement originale. Je connaissais la réponse : il ne verrait rien. L’ordinateur, comme le faisait remarquer Weizenbaum, obéit à des règles, ne juge pas, et remplace la subjectivité par des formules toute faites. L’article révélait précisément combien le concepteur d’ELIZA avait été clairvoyant quand, il y a plusieurs dizaines d’années, il avait tiré la sonnette d’alarme en disant que, quand nous serons plus habitués à l’ordinateur, et plus dépendants de lui, nous serons tentés de lui confier « des tâches qui requièrent du discernement ». Et alors, tout retour en arrière sera impossible. On ne pourra plus se passer de l’informatique pour effectuer ces tâches.
Cet article d’Excedel m’a aussi, une fois de plus, rappelé la scène finale de 2001. Elle m’a hanté depuis la première fois que j’ai vu ce film, adolescent dans les années 1970, en pleine jeunesse dans l’ère de l’analogique. Ce qui la rend si poignante et si bizarre, c’est la réaction émotionnelle de l’ordinateur au démembrement de son esprit : son désespoir quand ses circuits plongent l’un après l’autre dans l’obscurité, la supplique enfantine qu’il adresse au cosmonaute : « Je le sens. Je le sens. J’ai peur », et finalement son retour à ce que l’on ne peut appeler qu’un état d’innocence. Cette effusion de sentiments de HAL contraste avec l’impassibilité caractéristique des personnages humains du film qui vaquent à leurs occupations avec l’efficacité des robots. Leurs pensées et leurs agissements donnent l’impression d’être préprogrammés, comme s’ils suivaient le déroulement d’un algorithme. Dans le monde de 2001, les individus en sont arrivés à ressembler à des machines au point que le personnage le plus humain se révèle être une machine. C’est là l’essence de la prophétie inquiétante de Kubrick : quand nous en sommes au point de nous en remettre à l’ordinateur pour connaître le monde, c’est notre propre intelligence qui se nivelle en intelligence artificielle.
 
 
 
 
[1]. William Stewart, « Essays to Be Marked by “Robots” », Times Education Supplement, 25 septembre 2009.