Chapitre 12
Unissons-nous
Avant le trait d’union de notre clavier d’ordinateur, l’écriture manuscrite usait déjà du trait en bout de ligne pour signaler la coupure des mots. C’est de cette pratique qu’est né le mot « division » (« div. ») qui est aujourd’hui synonyme de notre inestimable allié, le trait d’union.
Il joue un rôle essentiel dans la graphie des nombres (voir le chapitre 1 à ce sujet) et dans les noms composés (voir le chapitre 13).
Il occupe de multiples fonctions : indication typographique des inversions verbales ou des expressions démonstratives, mais aussi de la nature des noms communs, repère dans le langage administratif, mais c’est surtout son usage dans les préfixes qui suscite de vives inquiétudes. C’est sur ces derniers sujets que ce chapitre met l’accent.
Substantivation
Qu’est-ce que ce mot savant ? C’est tout bonnement la fabrique des noms communs. Prenons la locution « face à face ».
Les journalistes ont organisé un duel télévisé où les candidats seront face à face.
Si l’on substantive cette construction, autrement dit si on la transforme en nom commun, il est indispensable de placer des traits d’union entre les différents éléments.
Un face-à-face des deux politiques est annoncé pour l’émission de ce soir.
Et si on se préparait un petit tête-à-tête entre amoureux ?
Mais
Je suis convoquée pour un entretien professionnel, je redoute que ce soit en tête à tête…
Le sujet de philo du bac portait sur la non-violence.
Il se définit comme un militant non violent.
Il arrive aussi que la div. permette de distinguer deux locutions de sens différent.
Je vous ordonne de quitter cette entreprise sur-le-champ. (Immédiatement)
C’est sur le champ de bataille qu’ils ont noué leur amitié. (Sens propre)
Exception – Un petit creux ?
Un mot, un seul, ne se plie pas à cette règle typographique : petit déjeuner.
Le petit déjeuner n’est pas « divé » (c’est-à-dire n’a pas de trait d’union) bien que ce soit un substantif. Curieusement, c’est le verbe qui hérite du trait d’union.
Je petit-déjeune toujours d’un bol de céréales avant de commencer la journée.
Même si l’on crée un néologisme de fantaisie en guise de groupe nominal, il ne faut pas omettre ce petit indicateur.
La femme-au-chat était de tous les cocktails.
Préfixes
Le préfixe est un élément chargé de sens qui se lie au radical (racine d’un mot) pour former un mot. À l’origine, les préfixes se plaçaient systématiquement avec un trait d’union, tel un témoignage de la constitution du mot. Puis, le temps entérinant la construction, celle-ci perd progressivement la trace de sa formation, et les deux éléments n’en font plus qu’un. C’est ainsi que de nombreux mots adoptés par l’usage ont fini par s’écrire en un seul mot alors que d’autres pour lesquels l’usage s’est montré moins généreux continuent de s’orthographier « divés ».
Quand on observe attentivement chaque cas de préfixe, on en conclut une grande complexité, le trait d’union se place devant certaines voyelles pour les préfixes « infra », « intra », « supra » et « ultra », mais ce ne sont pas les mêmes pour « anti » et « anté », ni pour « micro »…
Comme nous nous faisons un devoir d’unifier une présentation dans un texte, il semble judicieux d’adopter une ligne de conduite applicable à tous les préfixes.
La distinction, comme on a tendance à le penser, ne repose pas sur le principe simpliste du trait d’union devant une voyelle et de la soudure devant une consonne.
- La soudure s’impose chaque fois que possible, que ce soit devant une consonne ou une voyelle !
Le siège archiépiscopal vient d’être pourvu.
- Le trait d’union se glisse entre le préfixe et le mot dans les cas suivants :
- • Si le son de la dernière syllabe du préfixe se modifie lors de la soudure. Le préfixe « micro » associé à un nom commençant par un « i » génère le phonème « oi » (phonème : son d’une unité lexicale).
Nous sommes alors obligés d’insérer un trait d’union pour éviter un changement de prononciation. Nous obtiendrons donc la « micro-injection » (terme de biologie) ou la « micro-informatique ». Ce sont bien les voyelles qui posent problème, mais certaines ne modifient pas les phonèmes existants, et nous collons alors les deux éléments. « Antialcoolique », « antiéconomique », « macroévolution » (terme de biologie), « mégaoctet », « microampère », « radioactif »…
La recherche en cosmétologie a fait des progrès considérables sur les antioxydants.
C’est un spécialiste de la chirurgie intraoculaire.
Mais C’est un documentaire sur la vie intra-utérine du fœtus.
Pour échapper au phonème « trau ».
De même si le mot reproduit la même voyelle que la finale du préfixe : « anti-infectieux », « micro-ondes », « micro-ordinateur »…
Exceptions – Les latins et les autres
Quelques exceptions figurent dans le paysage de la division, là où on ne s’y attendrait pas.
« Intra-muros », du fait de son origine latine, s’équipe d’un trait d’union devant la consonne.
« Ultra-petita », de source latine également, s’écrit avec trait d’union. C’est un terme du langage juridique qui signifie « au-delà de ce qui a été demandé ».
Le préfixe « cardio » s’agglutine ou non selon le sens de son acolyte. Si les deux éléments désignent des organes, ils doivent s’unir par la div. « Cardio-pulmonaire », « cardio-rénal »…
L’hypertension artérielle est la plus fréquente des maladies cardio-vasculaires.
Si l’on ne fait référence qu’au cœur, on colle l’ensemble. « Cardiotonique », « cardiorespiratoire »…
Son médecin lui a prescrit une cardiographie.
« Cardio-training » adopte le trait d’union parce que le préfixe s’associe à un mot étranger. La langue est encore timide dans la mixité linguistique.
Super exige le trait d’union dans quatre cas spécifiques
Le super-huit (format de film),
Le super-géant (épreuve de ski),
Le super-léger (boxe et judo),
Le super-lourd (boxe).
Les préfixes ne varient jamais dans l’accord du nom composé. (Voir le chapitre 13.)
- • Si le préfixe est accolé à un nom propre, trait d’union impératif, d’autant que ce dernier portera une capitale (majuscule) initiale.
Un Néo-Zélandais conversait avec un Néo-Calédonien.
Ces deux gouvernements se sont ligués pour mener une politique anti-Occident (attention à l’homophone antioxydant, voir chapitre 11).
Ils sont parvenus à établir un mini-État dans cette principauté.
L’institution étatique s’écrit toujours avec une majuscule, et, en ce sens, on l’assimile pratiquement à un nom propre.
Déjà athlétique à l’école, il était considéré comme un super-Tarzan.
- • Div. si le préfixe s’associe à un nom composé.
Le navire était équipé de grenades anti-sous-marines.
C’est un nouveau système anti-pince-doigts.
Il n’est pas réellement natif de la région, je le considère comme un pseudo-Franc-Comtois. (On cumule ici nom composé et nom propre !)
- • Lorsque l’on crée un composé de circonstance, le trait d’union indique que l’entité n’est pas homologuée dans les dictionnaires.
Pourquoi as-tu fait l’acquisition d’une machine ultra-compliquée ?
Elle est en congé de maladie, une pseudo-grippe, je pense !
- • Si la construction relève d’un registre familier, on évitera de lier les deux éléments, on pourra choisir la division ou la séparation en deux mots, cette dernière semblera de meilleur goût.
L’information transmise aux services concernés était archi fausse (archi-fausse).
C’est super chouette (super-chouette) de me tenir compagnie.
À plus forte raison, si l’adjectif employé seul est déjà familier.
Le tréma à la rescousse
On fait quelquefois appel au tréma dans la soudure d‘un préfixe et d‘un autre mot. Ce tréma permet de dissocier la prononciation des deux syllabes : « thermoïonique » (terme de physique) et d’éviter le phonème « oi ».
Ils ont été arrêtés et coïnculpés, ce n’est certes pas une coïncidence.
Les démonstratives et les autres
Le trait d’union requiert deux conditions ici : il doit être précédé d’un nom ou d’un adjectif déterminé par un démonstratif (« ce », « cet », « cette », « ces ») et suivi d’un adverbe « ci » ou « là ».
Cette voiture-là me fait rêver depuis bien longtemps.
Ces deux-là préparent un mauvais coup.
C’est ce gâteau-ci que je voudrais.
On devine « plutôt que celui-là ». En l’absence de véritable opposition, l’usage favorise l’emploi de « là ».
Normalement la nuance qui distingue « ci » de « là » est d’ordre spatiotemporel. « Ci » désigne quelque chose de proche, « là » de plus éloigné.
Je préfère ce livre-ci à cette brochure-là. (Le livre est plus proche que la brochure.)
Les deux adverbes sont couramment utilisés sur le modèle de « ceci » et « cela ». Le premier (« ceci ») doit être employé pour annoncer quelque chose, le second (« cela ») pour reprendre ce qui vient d’être dit.
Racontez ceci à vos amis : « Je ne serai jamais des vôtres ! »
Je renoncerai à tout pour elle, dites-lui bien cela.
C’est en raison de cette subtile distinction qu’il ne faut surtout pas dire « ceci dit » après avoir achevé la narration d’un fait, mais « cela dit ».
C’est donc cette proposition-là que je lui ai faite. (Sous-entendu celle que je viens d’expliquer.)
Le trait d’union s’impose dans toutes les expressions suivantes : « ci-après », « ci-contre », « ci-dessous », « ci-dessus », « ci-devant », « ci-joint », « celui-ci », « celle-ci », « celui-là », « celle-là », « ceux-là », « de-ci » indissociable de « de-là », idem avec « par-ci » et « par-là »… (Ces dernières expressions fonctionnant par paire sont généralement séparées d’une virgule.) Et « là-bas », « là-dedans », « là-dessous », « là-dessus », « là-haut », « jusque-là », « par-delà », « par-dessus », « par-dessous », « par-devers »…
Là contre et là même n’en prennent pas.
Les petites expressions avec « au » et « par » s’écrivent avec div. : « au-delà », « au-devant », « par-dedans », « par-dehors »…, mais sans avec la préposition « en » : « en dedans », « en dehors », « en dessous », « en dessus »…
Inversions verbales
- Il est d’usage dans une inversion verbale de relier le verbe à son pronom par un trait d’union.
Viendras-tu dîner ce soir ?
Dans la vraie vie – en dehors de la littérature – il est rare de respecter cette construction inversée qui est l’apanage de la forme interrogative. Aujourd’hui, à l’oral, on adopte le plus souvent la forme affirmative en y mettant le ton pour formuler notre question.
Pour une harmonie dans la liaison, on est quelquefois contraints de placer un « t » euphonique, qui n’a aucune autre fonction. Il doit être entouré de traits d’union.
Rompra-t-elle son contrat ?
- Au mode impératif :
Rappelle-toi les consignes de l’exercice.
Couvre-la bien pour qu’elle ne prenne pas froid.
- • Après un verbe, les pronoms personnels compléments (« le », « la », « les », « lui ») lui sont reliés par une div., exactement comme dans le cas d’une inversion verbale.
Dites-le-lui, s’il vous plaît !
- • Si les deux pronoms dépendent tous les deux de l’impératif, deux traits d’union.
- • Si le second dépend d’un infinitif, un seul trait d’union entre l’impératif et le premier pronom.
« Rendez-les-nous », « prends-le-leur »…
Laisse-le nous emmener en voiture.
Pour savoir quand placer le ou les trait(s) d’union, il suffit de remettre la phrase au présent de l’indicatif. Les pronoms situés devant le verbe conjugué se rapportent à celui-ci et devront être reliés par un trait d’union au verbe. Ceux qui sont placés derrière n’en prendront pas.
Venez nous l’expliquer de vive voix. → Vous venez nous l’expliquer de vive voix.
Donne-le-moi. → Tu me le donnes.
Tenons-nous-en là. → Nous nous en tenons là.
Laissez-la venir. → Vous la laissez venir.
- Avec un verbe pronominal, le pronom se place immédiatement après le verbe et il lui est rattaché par la div.
Amusons-nous avant qu’il ne soit trop tard.
- Si le verbe est suivi de l’un des pronoms « en » ou « y », il se reliera au verbe par la div.
Cueilles-en, vas-y, prends-en !
(Pour l’ajout du s, voir le chapitre 19.)
Il est impératif que les pronoms personnels « en » ou « y » soient bien compléments du verbe et non suivis d’un infinitif. Sinon, plus de div.
Allons y goûter. « y » est complément de « goûter ».
Partez en acheter.
Un combat perdu d’avance
Lorsqu’on rencontre l’apostrophe, le trait d’union disparaît.
Va-t’en.
Donne-m’en.
Mets-t’y est une forme juste, mais on évitera de l’employer pour ne pas choquer l’oreille, on choisira plutôt Mets-toi là.
On élide donc aussi les pronoms « me », « te », « le », « la » devant « en » et « y » sauf si ceux-ci dépendent d’un infinitif.
Envoie-la y acheter des provisions.
Vie privée et vie publique
- La typographie impose les traits d’union entre les différents éléments des noms de rue, comme pour les stations de métro. Ces indications n’apparaissent pourtant pas sur les plaques, qui ne sont que rarement corrigées. Mais vous pourrez l’observer dans votre hebdo favori, à la rubrique Où déjeuner ? ou Week-end à la campagne...
Nous avons passé trois jours merveilleux au Domaine des oiseaux, 18 route du Moulin-de-La-Ronce, à Crécy-la-Chapelle.
La rue Neuve-des-Boulets est fermée à la circulation.
Il s’est aménagé un loft rue du Faubourg-Saint-Antoine.
Pouvez-vous m’indiquer l’itinéraire de Barbès-Rochechouart à Notre-Dame-des-Champs ?
- Le nom de baptême d’un établissement public est souvent emprunté à un personnage illustre. Pour éviter une éventuelle équivoque avec ladite personne, on insère un trait d’union entre le prénom et le nom ou entre les éléments de l’entité (école, lycée, hôpital, église, théâtre, stade...).
Il suit des études musicales au collège Henri-Matisse.
L’Hôtel-Dieu de Paris est le plus vieil hôpital de la capitale.
(Pour la graphie de « saint », voir chapitre 8.)
La div. symbole de l’Administration
- Les départements, les villes et villages, lieux-dits, toutes dénominations reconnues officiellement par l’Administration sont estampillés par la marque du trait d’union.
Les Hauts-de-Seine et la Seine-et-Marne dépendent de la région Île-de-France.
Il quitte les Bouches-du-Rhône pour les Pyrénées-Orientales afin de s’adonner à sa passion, l’escalade.
Connaissez-vous les remparts de La Charité-sur-Loire, bien connue pour son Festival du mot ?
- Les communautés d’agglomérations n’échappent pas à la règle.
A-t-on créé un gentilé pour les habitants de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
(Gentilé : dénomination des habitants d’un lieu.)
- À ces divisions administratives françaises se joignent les anciennes provinces françaises et les entités étrangères (pays, État, province…) dont le nom est francisé. Toutes les divisions administratives se soumettent à cette règle.
Je suis le descendant d’un croisé du Bas-Languedoc, région où l’on entend encore un peu parler la langue d’oc de nos jours.
La « Nouvelle-Calédonie », les îles du « Cap-Vert », la « Forêt-Noire », le cap de « Bonne-Espérance »…
Les New-Yorkais connaissent une criminalité endémique.
Le principe même de la francisation induit le placement d’un trait d’union, au même titre que lors d’une substantivation (voir le début de ce chapitre).
- Certains noms géographiques désignant un lieu bien déterminé s’orthographient aussi avec un trait d’union.
Le « Mont-Blanc », le « Mont-Saint-Michel »…
L’essentiel pour un Nul pressé
- Création d’un nom à partir d’une locution quelconque → trait d’union.
De magnifiques trompe-l’œil décorent les murs du quartier du conservatoire.
- Préfixes : soudure devant une consonne comme devant une voyelle, sauf
- • Si le son de la syllabe se modifie au contact de la voyelle finale du préfixe.
Le médecin a diagnostiqué une auto-intoxication. (Pour éviter le son « toin ».)
- • Si le préfixe est suivi d’un nom propre :
Par sa gestuelle, ce comique est considéré comme un mini-Charlot.
- • S’il se lie à un nom déjà composé.
Ce grand tableau lui servait de super-pense-bête.
- • Si l’on invente un nom composé pour la circonstance.
Ce n’est pas hyper-simple de venir chez toi.
- Quand le déterminant est un adjectif démonstratif (« ce », « cet », « cette » ou « ces »), trait d’union entre le substantif et l’adverbe « ci » ou « là » qui le suit.
Cette espèce-là est en voie de disparition.
- Dans les inversions verbales, div. obligatoire entre le verbe et le pronom.
Prendrez-vous un dessert et un café ?
- À l’impératif, entre le verbe et le ou les pronom(s) complément(s).
Cette rose, offre-la-lui !
- Noms de rue et établissements publics → div.
Nous sommes installés rue Fort-du-Sanctuaire, près de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde.
- Qui dit division administrative dit div.
Je quitterais bien Saint-Pierre-des-Corps pour Saint-Pierre-et-Miquelon.